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“Je ne demande qu’à avoir un cheval qui puisse faire concurrence à Nevados pour Paris”, Grégory Wathelet (2/3)

Interviews lundi 30 janvier 2023 Mélina Massias

Depuis qu’il a posé ses valises en Californie, Grégory Wathelet accumule les classements et les victoires. Clarity, Berline du Maillet et Argentina de la Marchette, trois des quatre montures qui l’accompagnent outre-Atlantique, ont toutes brillé sous le soleil de Thermal. Pour le Belge de quarante-deux ans, son départ, loin du Vieux Continent, dont il arpente les routes sans relâche depuis plus de deux décennies, sonnait comme une évidence. Le besoin et l’envie de découvrir un nouveau fonctionnement, de se ressourcer, avant de repartir de plus belle aux beaux jours. Le jeune père de famille a décidé de passer deux mois aux Etats-Unis, puis de revenir en mars, pour relancer la machine avec en ligne de mire, évidemment, les grandes Coupes des nations et, si l’occasion se présente, les championnats d’Europe Longines de Milan. Pour revêtir la veste rouge des Diables Rouges, le trente-troisième meilleur cavalier du monde le sait : il devra faire ses preuves avec ses montures. En effet, son gris, Nevados S, sera préservé cette année et n’ira pas en Italie pour l’échéance continentale. En parallèle, Grégory Wathelet n’oublie pas l’élevage, une activité qui lui tient à cœur et à laquelle il vient de donner une nouvelle dimension en lançant, en partenariat avec son ami Gilles Botton, un catalogue d’étalons. À l’occasion d’un entretien divisé en trois épisodes, le médaillé de bronze par équipe des derniers Jeux olympiques revient sur son expérience californienne, ses objectifs 2023, les départs d’Iron Man vd Padenborre et Cocktail de Talma, ainsi que sa vision de l’élevage. Deuxième partie.

Le premier volet de cette interview est à (re)lire ici.

Nevados n’a pas fait le voyage en Californie et a observé un peu de repos depuis le CSI 5* de Prague, qui s’est joué mi-novembre. Comment se porte-t-il ?

Il va bien. Nous avions décidé de lui octroyer une pause après les championnats du monde, où nous avions eu une petite interrogation à la suite d’un comportement qui ne lui ressemblait pas du tout lors du troisième jour de compétition. Je n’avais pas retrouvé mon cheval (le gris avait concédé trois fautes dans la deuxième manche de la Coupe des nations, ndlr). Nous nous étions dit que cela pouvait arriver, qu’il avait le droit de rater un parcours. Après ce petit creux, nous avons repris la compétition et il se comportait bien. Nous avions bien sûr effectué tous les contrôles physiques, mais tout était en ordre. Malgré tout, j’avais fait l’impasse sur Barcelone afin de le ménager (le Belge avait tout de même participé à la finale du circuit des Coupes des nations Longines avec Iron Man van de Padenborre et contribué à la qualification olympique de la Belgique, ndlr). Nous sommes ensuite allés à Riyad puis à Prague. De nouveau, lorsque j’enchaînais, je sentais que quelque chose le dérangeait. Nous avons mené des examens plus approfondis et avons trouvé un petit souci au niveau des cervicales. Ce n’était pas très grave et nous l’avons soigné. Nevados a déjà repris le travail, sur le plat et à l’obstacle, à la maison. Avec ma venue aux Etats-Unis, je n’ai pas voulu précipiter sa remise en route pour le concours de Malines, donc nous lui laissons un ou deux mois plus légers en plus. Au mois de mars, il refera des petits concours, avant de reprendre le vif du sujet. Il n’y avait pas d’urgence en janvier et février, donc j’ai préféré prendre le temps et le laisser respirer un mois de plus, sans toutefois l’arrêter complètement. À moins d’y être contraint par une blessure, je n’aime pas stopper complètement leur activité physique à cet âge. Nevados aurait d’ailleurs pu venir ici, mais je n’ai pas pris d’étalons, la gestion de la quarantaine étant trop compliquée. Sinon, je l’aurais amené. Cela aurait été intéressant qu’il participe à des concours plus simples.

L'excellent Nevados S en démonstration à La Baule. © Mélina Massias

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“Si on ne forme pas la nouvelle génération maintenant pour dans deux ou quatre ans, on se retrouve vite démuni”

Plusieurs très bons chevaux ont quitté votre piquet de chevaux en 2022, notamment Faut-Il des 7 Vallons (Comme Il Faut 5 x Double Espoir), Iron Man van de Padenborre ou bien Cocktail de Talma. Bien que ces départs n’aient pas été des surprises, comment les avez-vous encaissés ?

Je n’ai pas dû les encaisser. Cela fait partie de mon fonctionnement. Chaque année, nous vendons plusieurs chevaux. Souvent, il s’agit de chevaux qui sont au second plan, moins sur le devant de la scène. Cette année, il est vrai que plusieurs montures de mon piquet de tête ont été vendues. Mais tout cela était prévu. Le cas de Faut-Il est un peu différent. J’avais subi une grosse chute avec lui il y a deux ans et je n’étais plus en totale confiance. En accord avec son propriétaire (Bernard Dandrifosse, ndlr), qui est un ami, nous avons décidé d’arrêter l’aventure. La vente de Cocktail était aussi prévue. Pour être honnête, je pensais que nous allions au moins attendre l’année prochaine. Je trouvais qu’il n’était pas encore arrivé à maturité pour être commercialisé, mais nous avons saisi l’opportunité qui se présentait à nous. Pour Iron Man, l’idée était aussi présente, notamment parce qu’il prenait un peu d’âge. Toutefois, je n’étais pas contre le garder jusqu’à la fin de sa carrière. Ses éleveurs et moi étions copropriétaires. Eux étaient plus ouverts à une vente, et, sur le même principe que Cocktail, nous avons saisi le train en marche. Son départ m’a un peu plus embêté, pas tant sur le plan sportif que par rapport au fait qu’il était dans mes écuries depuis huit ans. J’aurais aimé le conserver à mes côtés, mais c’était un choix décidé. Sur le volet économique, nous n’avons pas le choix. Sinon, nous les garderions tous ! Il y en a déjà cent-cinquante chez nous, alors on en aurait encore beaucoup plus ! (rires) Ces chevaux étaient en effet un peu plus importants, mais il n’y a pas de différence majeure par rapport aux autres années.

Iron Man van de Padenborre, ici à Dinard, quelques mois avant d'être vendu. © Mélina Massias

Fort heureusement, ces départs ont été compensés par plusieurs arrivées, notamment celles de Fahrenheit de Vains (Cornet Obolensky, ex Windows vh Costersveld x Qrédo de Paulstra), Beau Gosse du Park (Quaprice Bois Margot, ex Quincy x Kannan), ou, plus récemment, Bond Jamesbond de Hay (Diamant de Semilly x Kannan). Quels sont vos plans avec eux pour l’avenir ?

Oui. Ce sont des chevaux qui sont arrivés il y a déjà quelques temps et avec lesquels j’ai fait une partie de saison l’an dernier. Fahrenheit est arrivé en milieu d’année. Balouton (PS, Baloubet du Rouet x Toulon, ndlr) m’a également rejoint en milieu d’année de sept ans. Ce sont des chevaux que nous avons achetés ou qui m’ont été confiés dans l’objectif de construire l’avenir. Ces deux-là ne seront pas prêts cette année puisqu’ils n’auront que huit ans. Balouton, par exemple, a déjà disputé la finale des championnats du monde de Lanaken. Forcément, c’est un cheval très prometteur. Mais ce sont des projets d’avenir. Il y en a chaque année. Nous avançons, essayons de trouver la relève. Si on ne forme pas la nouvelle génération maintenant pour dans deux ou quatre ans, on se retrouve vite démuni. Beau Gosse était déjà là également. Il était déjà venu chez moi il y a deux ans, mais était reparti car il n’était pas prêt. Rapidement après son retour, l'été dernier, je l’ai emmené à Aix-la-Chapelle, etc. Malheureusement, il a été embêté par une hernie inguinalequi l’a éloigné des terrains. Il va recommencer à sauter à la maison et sera bientôt prêt. Ce sont des chevaux qui s'inscrivent dans la continuité de mon fonctionnement. L’idée est toujours de trouver de nouveaux chevaux, en fonction de ce que l’on peut dénicher ou de ce que l’on me propose. Concernant Bond, il n’y a encore rien d’officiel. À ma connaissance, le cheval n’est pas dans mes boxes (entretien réalisé le mercredi 18 janvier ; depuis, l’arrivée de puissant bai chez le Belge a été confirmée et tous deux ont déjà commencé à prendre leurs marques, ndlr). 

Beau Gosse du Park et Grégory Wathelet à Aix-la-Chapelle, l'été dernier lors de leur deuxième sortie internationale ensemble. © Mélina Massias

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“Avoir des propriétaires, des gens qui me sont fidèles est gratifiant”

Les propriétaires et éleveurs français semblent vous accorder une grande confiance, qui plus est à quelques mois des Jeux olympiques de Paris. Il s’agit là d’une belle reconnaissance envers votre travail…

Oui, bien sûr, mais je ne vois pas les choses comme cela. Qu’ils soient français, belges, polonais ou allemands, ces propriétaires ont pris contact avec moi, se sont tournés vers moi d’une façon ou d’une autre. J’ai déjà travaillé dans le passé avec la plupart de ceux-là, que ce soit avec Monsieur Bihl de l’élevage de Vains, dont j’avais eu des chevaux dans mes écuries il y a plusieurs années, ou Corinne (Accary, ndlr) de l’élevage du Park. Nous avons même des jeunes chevaux ensemble. Cela n’est pas nouveau et ne date pas d’hier. Nous avions déjà des contacts ou des relations depuis un certain temps. Je ne fonctionne pas sur du one shot. Certaines situations ont été créées par un partenariat ou simplement par amitié, puis ont découlé sur autre chose, sur des chevaux plus importants, sur des investissements, etc. Je sais que l’histoire de Beau Gosse a été très, très mal interprétée en France, mais ce n’est pas grave. Je ne m’arrête pas là-dessus. Contrairement à ce qui a pu être dit, je n’ai pas pris le cheval à un cavalier français. Je n’écoute pas ce genre de remarques ; cela ne m’atteint pas. Si les gens ont du temps à perdre avec cela, ça ne me dérange pas. Je sais comment les choses se sont déroulées et j’ai d’ailleurs échangé directement avec Valentin (Besnard, ndlr), son ancien cavalier. Dans tous les cas, peu importe la nationalité ; ma meilleure propriétaire est allemande (Judith Goelkel, également fidèle supportrice de Marcus Ehning, ndlr), le propriétaire de Nevados était polonais, etc. Bien sûr, les Jeux ont lieu en France dans un an, et c’est important pour les Français. Mais, déjà, Fahrenheit sera trop jeune pour une telle échéance. Beau Gosse aurait peut-être une chance, mais nous sommes dans un autre registre. Il pourrait être très bon, mais il doit performer et confirmer. En tout cas, je crois vraiment pas mal en lui. Il m’a impressionné lorsque je l’ai récupéré. Et il faut dire ce qui est : Valentin a fait un excellent travail avec lui. On parle de Bond également, mais nous verrons. Il y a des contacts entamés, mais l’avenir nous dictera la suite. Peut-être même qu’un autre cheval pourrait s’ajouter à la liste, je ne sais pas. Dans tous les cas, il s’agit de situations créées dans le passé et solidifiées avec le temps. Est-ce gratifiant d’avoir des propriétaires français ? Oui, ça l’est. En tout cas, avoir des propriétaires, des gens qui me sont fidèles l’est. Cela montre que je fais certaines choses de façon juste et construite. Nous avions aussi le cas avec Cocktail, même s’il était à moitié belge (Michel Guiot, son naisseur et propriétaire, président de la Société hippique française, est de nationalité belge, mais installé en France, ndlr) ! (rires) Certains propriétaires belges confient parfois des chevaux à des Allemands, comme cela peut-être le cas avec Daniel Deusser par exemple (dont le patron, Stephan Conter, à la tête des écuries Stephex, est belge, ndlr), ou à des Brésiliens par exemple. Le marché est très ouvert, mais il l’est pour tout le monde. Finalement, peu importe le pays que représentent les propriétaires. Je sais que pour beaucoup de français le fait que les Jeux aient lieu dans leur pays joue un rôle : tout le monde rêve d’un tel événement, particulièrement lorsqu’il se déroule dans son pays. Pour moi, la situation est claire. Je compte sur Nevados, mais il aura seize ans en 2024. Je ne demande qu’à avoir un cheval qui puisse lui faire concurrence, et m’amène à me poser la question de quel cheval choisir si j’ai la chance d’avoir une place dans l’équipe. Nous n’en sommes pas encore là. J’espère que ce sera le cas. Ce serait un choix de luxe, que je préférerais avoir plutôt que l’inverse. Cela ne m’est encore jamais arrivé de devoir trancher entre deux chevaux pour un championnat ! Souvent, la réalité et la nature règlent les choses. Alors, lorsqu’on a déjà une monture prête, on est déjà très content.

Beau Gosse du Park. © Mélina Massias

“Corée est grosse et mange beaucoup d’herbe !”

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L’année 2022 a également été marquée par la mise à la retraite officielle de votre chère Corée (Cornet Obolensky x Liberty Life). Comment s’acclimate-t-elle à sa nouvelle vie ?

Elle est grosse et mange beaucoup d’herbe ! (rires) Elle va très bien. Elle a passé assez facilement le cap de la retraite. Parfois, l’arrêt des chevaux qui sont habitués à travailler est forcé ou contraint en raison de blessures. Ils peuvent alors arrêter de travailler du jour au lendemain et partir en prairie promptement. Alors, il peut leur arriver de perdre du poids, de perdre un peu de moral, etc. Pour Corée, cela a été différent. Depuis deux ans, elle était déjà dans un système où elle passait ses journées au pré, après avoir été montée le matin. Elle était donc habituée à manger de l’herbe. Aujourd’hui, la seule différence est qu’elle ne travaille plus ou peu. Elle est devenue énorme ! Pour le reste, elle est toujours dans les boxes avec mes chevaux de concours de haut niveau. Nous nous occupons d’elle tous les jours. Même en ce moment, qu’il gèle ou qu’il neige, elle passe toute la journée en prairie. Sa vie reste intégrée à l’écurie principale ; elle n’est pas du tout délaissée et, de fait, se porte très bien. En tout cas, elle a l’air de très bien le vivre. Cet été, nous nous poserons peut-être la question de la laisser dehors nuit et jour. J’aime bien qu’ils vivent à l’extérieur vingt-quatre heures sur vingt-quatre à la fin. Sinon, nous continuerons à la rentrer toutes les nuits. Nous n’avons pas encore pris de décision. Nous verrons cela aux beaux jours, à partir du printemps. Nous avons également fait quelques récoltes d’embryons avec elle, en ayant recours à l’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde, technique consistant à prélever un ovocyte de la jument pour le féconder in vitro avec un spermatozoïde de l’étalon, ndlr).

Corée et Grégory Wathelet à Barcelone en 2017. © Scoopdyga

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La troisième et dernière partie de cet entretien est disponible ici.

Photo à la Une : Grégory Wathelet et Nevados S à La Baule. © Mélina Massias