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“Je connais les défauts de mes poulinières, et cela m’aide dans mes choix de croisements”, Werner Dierckx (2/3)

Werner Dierck et Koriganne de Toxandria.
samedi 19 octobre 2024 Mélina Massias

L’Artiste, Nasa, Medoc, Tabasco. Tous les quatre sont nés à Ranst, en Belgique, chez Werner Dierckx. Du haut de ses quarante-neuf ans, le sympathique éleveur connaît une réussite éclaboussante depuis plusieurs mois et voit ses têtes d’affiche arpenter les pistes internationales, week-end après week-end, avec beaucoup de réussite. Discret et franc, celui qui est passé par plusieurs grandes maisons avant de se consacrer à sa propre structure, où il gère tout de A à Z, de l’insémination à la formation, savoure son succès mais laisse toute la lumière à ses chevaux. Dans son manège, ses écuries ou ses prés, le Belge prône le naturel et la simplicité tout en espérant que sa recette continue de fonctionner dans les années à venir, pour voir éclore de nouvelles pépites. Reportage, en trois épisodes, au cœur de cette terre de champions.

La première partie de cet article est à (re)lire ici.

Le succès de l’affixe de Toxandria repose en grande partie sur le coup d'œil et l’instinct de Werner Dierckx. Grâce à sa rencontre fortuite avec Kadine du Boulanger, puis des choix de croisement parfois audacieux mais toujours bien sentis, l’élevage et son éleveur se sont bâti une solide réputation. L’une des clefs du succès ? Connaître ses juments. “C’est le plus important, je crois”, affirme le quadragénaire. “Je connais toutes les mères de la lignée de Kadine. J’ai monté Kadine en concours. Elle était très courageuse, mais manquait de moyens. C’est pour cela que je me tourne souvent vers des étalons avec des moyens : Thunder vd Zuuthoeve, Eldorado vd Zeshoek, ou encore Diamant de Semilly, que j’ai également utilisé. Je connais les défauts de mes poulinières, et cela m’aide dans le choix des étalons. J’utilise des étalons confirmés, mais je cherche aussi de bons jeunes, comme Extreme 111 (El Barone 111 x Bamako de Muze) ou encore Chaudfontaine JL, un fils de Chacco-Blue et Valentina van’t Heike qui est chez Jos Lansink. J’ai débourré Valentina, qui a fait les plus grands concours du monde, je la connais donc bien. Et j’ai aussi monté son fils, Epleaser van’t Eike, qui a ensuite concouru avec Christian Ahlmann. Lorsque j’utilise un jeune étalon, les mères et la lignée maternelle sont ce qu’il y a de plus important pour moi. J’établis mon plan de monte comme cela, en faisant aussi confiance à mon feeling. J’ai essayé d’autres grands sires, comme Toulon, qui m’a donné L’Artiste, mais avec lequel je n’ai pas eu beaucoup de réussite ensuite et que j’ai arrêté d’utiliser, ou Diamant. Diamant est incroyable, l’un des meilleurs étalons du monde. Mais mon sentiment me dit que ce courant de sang ne se marie pas forcément très bien avec mes juments. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment.”

Un plaisant poulain de Tiger van't Ruytershof. © Mélina Massias



Et Werner est allé encore au-delà de ce mélange entre pères confirmés et jeunes mâles aux origines prestigieuses et à la popularité grandissante, en faisant confiance à des étalons très confidentiels. Ce fut le cas pour deux de ses cracks, Nasa et Médoc de Toxandria, descendants respectifs de Vertigo Saint-Benoît (Ogano Sitte x Capital), modeste SBS n’ayant jamais foulé de terrain international en raison d’une blessure et à la tête d’une soixantaine de produits enregistrés sur la base de données Horsetelex, et Der Senaat 111 (President x Burgraaf), qui a évolué jusqu’à 1,60m mais compte moins de trois-cents poulains, toujours selon Horsetelex. “J’ai travaillé avec la famille Spits, à l’époque ou Patrick montait Vertigo. Deux ans plus tard, alors que j’étais dans une autre écurie, j’ai demandé à Patrick s’il lui restait de la semence de Vertigo. Le cheval n’était pas très populaire, et il m’a offert les paillettes de Vertigo ! Nasa ne m’a finalement rien coûté, ou presque ! À l’époque, je n’avais pas beaucoup d’argent, donc je cherchais des étalons bon marché. Ma démarche était un peu similaire pour Médoc, qui est par Der Senaat, un fils de President. Lorsque j’ai des idées, je les suis. Désormais, j’ai un peu plus de moyens, alors j’essaye d’utiliser de meilleurs étalons. J’espère donc que dans quatre ou cinq ans, les produits de mon élevage seront encore meilleurs ! Si ce n’est pas le cas, alors c’est que les étalons n’auront pas été les bons !”, rigole-t-il.

Nasa de Toxandria, sur la plage de La Baule. © Mélina Massias

Au-delà des étalons déjà cités, Werner a également fait confiance à Emerald van’t Ruytershof (Diamant de Semilly x Carthago), fils de l’incroyable Cartina, le bondissant Pegase van’t Ruytershof (Comme Il Faut x Cartani), arrière-petit-fils de Cartina, Chacfly PS (Chacco-Blue x Sir Shutterfly), Tiger van’t Ruytershof (Chacfly PS x Comme Il Faut), arrière-arrière-petit-fils de Cartina, Corydon van T&L (Cornado I x Chacco-Blue), neveu de Chaccos’ Son, ancien excellent étalon de Maurice Tebbel, ou encore Ermitage Kalone (Catoki x Kannan), dont il a notamment eu une fille… devenue porteuse pour ses voisines de prairie. “Ermitage Kalone est vraiment un crack dans le sport, mais pour l’instant, je ne sais pas trop ce qu’il vaut à l’élevage”, s’interroge l’éleveur, qui a également utilisé son propre étalon, Emir de Toxandria (Eldorado vd Zeshoek x Cento Lano), un frère utérin de Tabasco approuvé à l’AES. “Maintenant, j’aimerais bien utiliser davantage Chacco-Blue et ses fils”, complète le Belge. 

Un produit d'Extreme 111 et Chablis de Toxandria, ici aux côtés de sa mère porteuse... par Ermitage Kalone. © Mélina Massias

Medoc, Nasa et L’Artiste : trois itinéraires pour une même destination

Si Werner est bien conscient de son succès, sa modestie est telle qu’il était presque surpris de recevoir la visite d’un média francophone, alors que plusieurs grands élevages, établis de longue date, ornent le Plat-pays. Pourtant, en mettant en perspective le nombre de naissance par années - une ou deux à ses débuts - et la réussite de ses chevaux - quatre évoluent actuellement en Grands Prix 5* ! - la réussite de l’affixe de Toxandria est presque vertigineuse. 

Werner Dierckx dans ses pâturages, en route pour une distribution de carottes. © Mélina Massias



Cette année, Medoc, Nasa, Tabasco et L’Artiste ont tous participé à au moins un Grand Prix 5*, avec Tim Gredley, Teresa Blazquez-Abascal, Kendra Claricia Brinkop et Ioli Mytilenou. Tous ont grandi à Ranst, avant de suivre chacun un chemin bien différent. “L’histoire de Medoc est vraiment incroyable. Je l’ai vendu à quatre ans pour 4.000 € car il avait de mauvaises radios. Le vétérinaire avait dit qu’il ne pourrait jamais faire de sport !”, révèle son naisseur. Lancé en compétition par Jennifer Thompson, Guy Williams et Tim Wilks en 2017, au Sunshine Tour, le bai passe ensuite sous la selle de Caroline De Laet pendant un temps, pour le compte de Patrick De Roeck. Le hongre enchaîne ensuite plusieurs cavaliers : Noel Fauntleroy, Trevor Breen, Saïd Saad, João Marquilhas et David Simpson, avant de croiser la route de Tim Gredley, qui lui sera le plus fidèle. Ensemble, la paire a trouvé sa voie, faisant preuve d’une régularité impressionnante au plus haut niveau. Cette année, après avoir disputé les Européens de Milan à l’été 2023, le duo s’est tout bonnement classé dans les cinq Grands Prix 5* qu’il a disputé, terminant deux fois onzième à Wellington, troisième au CSIO de Hickstead, cinquième à celui de Calgary et sixième à celui de Barcelone ! Impressionnant. “J’ai recroisé Patrick De Roeck après que Medoc a fait sa première épreuve à 1,60m. Nous nous sommes dit que son histoire était vraiment folle ! À quatre ans, il sautait plutôt bien en liberté. Je pensais qu’il ferait un bon cheval d’amateur, pour sauter 1,40m. Le plus important est que les chevaux trouvent le bon chemin, le bon cavalier. Cela a été le cas pour Medoc”, apprécie Werner.

Medoc de Toxandria s'est classé dans tous les Grands Prix 5* qu'il a disputés cette année, sous la selle de Tim Gredley. © Mélina Massias

Nasa, de son côté, a passé trois années supplémentaires à Ranst, quittant ses terres natales à sept ans. “Pour moi, Nasa avait un respect infini, un mental incroyable, mais pas les moyens pour sauter 1,60m. Je pensais qu’elle serait davantage une bonne gagnante jusqu’en Grand Prix 2*. Mais je savais aussi que si on se dirigeait vers un obstacle de deux mètres, Nasa essairaie de le franchir quoi qu’il arrive”, témoigne Werner, premier cavalier de l’alezane. D’abord vendue à Joel Valles Rosell, la BWP a fait un passage dans les écuries de Jorge Juarez Blasco avant d’intégrer le piquet de Teresa Blazquez-Abascal, directrice du Sunshine Tour. Le couple féminin a, cette année, disputé plusieurs CSI 4* avec succès, s’offrant notamment une troisième place dans le Grand Prix CSI 4*-W de Tétouan, et s’est également produit au CSI 5* de Madrid et CSIO 5* de La Baule, où il a achevé la Coupe des nations Barrière avec une faute dans chaque manche. “Nasa et Teresa sont superbes ensembles. Teresa aime Nasa, mais je crois que c’est le cas de tout le monde !”, sourit celui qui fut le premier cavalier de la fille de Vertigo Saint-Benoît.

Nasa de Toxandria a défendu les couleurs de l'Espagne dans la Coupe des nations de La Baule cette année. © Mélina Massias

Un autre fleuron de l’affixe de Toxandria s’est distingué ces dernières années, participant à trois championnats consécutifs : les championnats du monde de Herning, les championnats d’Europe de Milan et enfin les Jeux olympiques de Paris. Sous la selle de Ioli Mytilineou, L’Artiste de Toxandra, le “i” de son nom originel ayant été perdu en cours de route sur sa fiche FEI, fait, lui aussi, preuve de beaucoup de constance au plus haut niveau et s’est classé dans plusieurs Grands Prix 5*, comme à La Corogne ou Monterrey en 2023. Contrairement à ses anciens voisins de pré, le plaisant bai ne provient pas de la lignée de Kadine du Boulanger et possède deux naisseurs : Werner, mais aussi Karel Sebrecht. “J’ai travaillé avec Karel, qui est à la tête d’une grande société de fruits et légumes. Les chevaux étaient sa passion et nous avons acheté une jument ensemble, Donnatella van de Zelm, une fille de Kashmir vd Schuttershof, chez Koen Geerts. Je l’ai débourrée et j’ai commencé à la monter, mais c’était une vraie Kashmir : un galop de cinq mètres de long et une mauvaise bouche. J’ai demandé à Karel quoi faire et je lui ai soumis l’idée de lui faire faire un poulain. Elle nous a donné Jeunesse, une fille d’Ogano Sitte, puis nous l’avons remise sous la selle. Mais rien n’avait vraiment changé… Alors, elle s’est définitivement consacrée à la reproduction. Nous avons eu L’Artiste, Ego, Palou du Rouet van’t Bisthof, etc”, retrace le Belge. “L’Artiste a été vendu à quatre ans, alors qu’il était encore étalon et admis à l’AES. Il a été repéré sur un petit concours local par un proche de Luc Tilleman, qui l’a essayé puis vendu à Anna et Tim Wilks. À mon sens, L’Artiste était très courageux, avait tous les moyens, mais je ne pensais pas qu’il avait autant de respect ! L’Artiste a ensuite été acquis par la famille Mytilineou.”

Ici à Milan, L'Artiste de Toxandria a également disputé les Mondiaux de Herning en 2022 et les Jeux olympiques de Paris en 2024. © Mélina Massias



Si Donnatella est restée la propriété de Karel Sebrechts, Werner continue de développer sa lignée. Il s’appuie notamment sur Jeunesse, qu’il a montée jusqu’en Grand Prix 2*, et dont le premier produit, Neon (Triomphe de Riverland) a aussi concouru jusqu’à 1,45m. La belle a, par la suite, donné une fille de Grandorado à Werner, prénommée Grande Dame de Toxandria et âgée de quatre ans. “J’ai également une sœur utérine de Jeunesse et L’Artiste, Corona, une fille de Cornet Obolensky. J’ai essayé de la monter : elle a tous les moyens, mais, comme son père et sa mère, elle a un peu de caractère. Je pensais que moins par moins pourrait faire plus, mais dans ce cas précis, cela n’a pas fonctionné ! (rires) Elle était très difficile en concours. Elle se consacre donc à l’élevage. Elle a un produit de quatre ans par Leandro VG (Gitano van Berkenbroeck x Chellano), Lector de Toxandria. Il est très gentil et facile. Je l’ai également croisée à Comilfo Plus (Comme Il Faut x Balou du Rouet), lui-même petit-fils de Cornet. Cela apporte un peu de consanguinité, mais je suis toujours mes idées et mon ressenti”, souligne l’éleveur, qui estime également que l’éducation des jeunes chevaux est primordiale. “Oui, les chevaux doivent avoir de la qualité, mais l’éducation joue pour beaucoup. Ce qui se passe à deux et trois ans est plus important qu’à cinq et six. Lorsqu’ils sont braves et bien dressés, cela donne un avantage”, dit-il.

Mais parmi les réussites de Werner, Tabasco de Toxandria reste sans aucun doute la plus belle.

Werner Dierckx et la grise Corona de Toxandria, issue de la même famille maternelle que L'Artiste de Toxandria. © Mélina Massias

La troisième et dernière partie de ce reportage sera disponible dimanche sur Studforlife.com…

Photo à la Une : Werner Dierckx et Koriganne de Toxandria, fille de Kadine du Boulanger et mère de Medoc de Toxandria. © Mélina Massias