Jana Wargers : son ascension, ses rêves et son crack Limbridge
Discrète, mais toujours efficace en piste, Jana Wargers s'affirme de semaine en semaine au sein de la grande équipe allemande de saut d’obstacles. À trente ans, l’amazone a toutes les cartes en mains pour accomplir ses objectifs les plus ambitieux, qui comprennent les Mondiaux de Herning et, bien sûr, les Jeux olympiques de Paris 2024. Installée au sein des écuries Ashford Farm, en Belgique, la sympathique jeune femme peut compter sur son crack Limbridge, d’une régularité exemplaire sur la scène internationale, pour la conduire au sommet. Rencontre.
Confortablement installée sur un canapé en cuir, entouré de quelques souvenirs du mythique CHIO d’Aix-la-Chapelle, dont le musée, rempli de souvenirs, est ouvert aux visites à l’étage au-dessus, la discrète et souriante Jana Wargers s’est prêtée au jeu des questions-réponses. Rendez-vous était pris sur les coups de midi, samedi 2 juillet, à la veille du Grand Prix 5* de l’un des plus attendus rendez-vous équestre de l’année, pour rencontrer l’amazone, qui fait partie des nouvelles têtes de la grande Mannschaft. Encore à cheval quelques minutes avant de se livrer son parcours, ses objectifs et ses atouts actuels, en cette matinée sans compétition, Jana Wargers s’est présentée en toute décontraction, sous la chaleur allemande.
Derrière les fines vitres en verre du bâtiment donnant sur le paddock de détente, qui laissaient passer l’ambiance survoltée des milliers de spectateurs venus assister à l’épreuve de cross, Jana avait encore du mal à réaliser qu’elle aussi avait été adoubée par le public, son public, lors de la victoire de l’escouade germanique dans la Coupe des nations, deux jours plus tôt. “Cela m’a pris un moment avant de trouver les bons mots. Être ici, à Aix-la-Chapelle, participer à la Coupe des nations pour la première fois et gagner est juste impressionnant. C’est incroyable. Le sentiment procuré par le fait d’être sur la piste, avec tout ce public, cette ambiance… je n’ai pas de mots. C’est irréel”, sourit l’amazone.
Pourtant, depuis quelques mois, les succès de l’Allemande sont, eux, bien réels ; une victoire dans une épreuve à 1,55m à l’Hubside Jumping de Grimaud, sixième d’un Grand Prix 5* organisé sur la même piste, puis auteure de bonnes Coupes des nations à La Baule (4+0), Rome (4+0), Aix-la-Chapelle (1+4) et passée à un cheveu de la victoire dans le temps fort dominical de l’Officiel d’Italie, en plus de très bons résultats accumulés au Mexique, où elle avait posé ses valises en fin de saison dernière, et en CSI 2*. Tous ces résultats sont sans doute liés, en partie au moins, à Ashford Farm, une écurie de commerce qu'a officiellement investi Jana il y a un an et demi et avec laquelle elle collaborait déjà auparavant. “Actuellement, je suis en Belgique, où je travaille pour Ashford Farm, une structure gérée par l’Irlandais Enda Carrol. Il me soutient de la meilleure des manières et tout fonctionne très bien entre nous. C’est lui qui m’a trouvé Limbridge (Holst, Limbus x Cambridge), un cheval incroyable. Il le conserve afin que je puisse pratiquer mon sport avec lui, c’est fantastique. Je dois le remercier pour cela, car ce n’est pas fréquent qu’un tel cheval puisse rester dans une écurie de commerce”, savoure la jeune trentenaire, heureuse de la tournure que prennent sa vie et sa carrière. “Notre clientèle est tournée vers le haut niveau et notre structure est assez importante en Belgique. Nous avons également un marché important en Amérique. Notre travail consiste à acheter des chevaux, à les faire progresser un peu, puis à les revendre. Sauf Limbridge, le seul que nous conservons pour l’instant. Cela me rend très heureuse. J’ai trouvé une écurie où nous formons tous une grande famille. C’est tout simplement fantastique d’en faire partie.”
Limbridge, le cheval d’une vie
Limbridge. Voilà qui a permis à la souriante jeune femme de franchir un nouveau cap dans sa carrière, entamée alors qu’elle n’était encore qu’une jeune fille. “J’ai commencé à monter à cheval lorsque j’avais sept ans, avec un cheval qui appartenait à un ami de mon père. Au départ, j’allais là-bas deux fois par semaine, juste pour le brosser, le nettoyer un peu. Et puis, j’ai commencé à le monter. Alors, tout tournait autour des chevaux”, narre celle qui n’a jamais songé à une autre carrière. Le coup de foudre est immédiat et aucun doute ne fait : Jana sera cavalière professionnelle. “C’était clair pour moi que ce seraient toujours les chevaux”, précise-t-elle. Après cette première expérience, l’Allemande intègre la structure de Kurt Holz, un marchand de chevaux installé près de Emsdetten, une ville allemande de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. “Mes parents n’ont rien à voir avec l’univers équestre, mais dès que je me suis assise sur un cheval, je savais que ce serait mon futur. Alors, j’ai continué dans cette voie. Je suis ravie d’être toujours dans ce milieu et d’avoir autant progressé. De super personnes m’ont soutenue, des entraîneurs, des amis, ma famille ; ils ont tous été derrière moi. Bien sûr, je pense qu’il est plus difficile de se frayer un chemin lorsqu’on n’a pas d’historique préalable avec les chevaux, mais j’ai eu la chance d’être très soutenue par mes proches et mes partenaires, qui ont rendu mon ascension à ce niveau un peu plus simple.”
Déjà performante dans ses années jeunes, marquées par une septième place individuelle aux championnats d’Europe d’Ebreishdorf en 2012, la jeune femme à la chevelure blonde a connu une progression constante et rapide, jusqu’à éclore au plus haut niveau, en compagnie de son cher Limbridge. À les voir en piste, tous deux semblent fusionnels et laissent croire que chaque parcours est aisé. Particulièrement préservé, l’attachant bai, toujours prêt à faire plaisir à sa cavalière, est un exemple de régularité. Cette année, il n’a quitté une épreuve internationale avec plus d’une barre renversée qu’à… une reprise, lors d’une épreuve à 1,45m disputée à Vejer de la Frontera, en tout début de saison. “Limbridge est vraiment, vraiment spécial. Je crois qu’il est en quelque sorte le cheval d’une vie. C’est un vrai battant. Je n’ai jamais eu un tel sentiment sur un cheval avant et il me donne l’impression qu’il peut sauter n’importe quoi”, assure Jana, dont les grands yeux bleus brillent dès lors qu’elle évoque son complice. Et de reprendre : “C’est assez drôle, parce que Limbridge appartenait à Ashford Farm lorsqu’il était plus jeune. Enda l’a ensuite vendu à Eve Jobs, qui l’a monté deux ans. Pour diverses raisons, il est revenu dans nos écuries. Enda m’a alors dit ‘Jana, je crois qu’il y a un vrai bon cheval qui arrive et qui serait parfait pour toi.’ Je me suis mise en selle et je l’ai monté pour la première fois. Je n’ai pas eu le meilleur feeling du monde, parce qu’il n’était pas parfait sur le plat, mais ce n’était pas important. Je l’ai fait sauter une fois, et là, il m’a donné de super sensations. Alors, je me suis beaucoup investie dans son travail. Maintenant, je dirais que c’est le cheval parfait. Nous avons grandi tous les deux et nous nous connaissons par cœur. Il est le héros des écuries, et je crois qu’il le sait !”
Pour mettre en perspective les commentaires de Jana, il est sans doute bon de se rappeler qu’elle a initié la carrière internationale d’un certain Clooney 51 (Westph, Cornet Obolensky, ex Windows vh Castersveld x Ferragamo), crack du Suisse Martin Fuchs. “Un ami éleveur, qui nous a toujours confié quelques bons chevaux, est arrivé un jour avec Clooney. Il l’a fait entrer dans l’écurie et m’a dit ‘Jana, j’ai ton nouveau crack’. J’ai regardé le cheval et lui ai répondu ‘tu es sûr ? Il ressemble plutôt à une poulinière’. Il était en fait bien hongre, mais il avait un physique rigolo. J’ai commencé à le monter et il était déjà tellement intelligent et malin. Je ne me souviens pas qu’il ait touché la moindre barre ou qu’il ait commis la moindre faute. Il a fait tant de sans-faute ! Beaucoup de personnes l’ont repéré et je suis heureuse qu’il ait intégré les écuries de Martin, avec qui nous sommes également amis. Il a eu une super carrière. Ce qui lui est arrivé est très triste, mais je suis aussi très heureuse de tout ce que Martin et son équipe ont fait pour lui offrir une belle retraite”, confie la pilote de trente ans.
Jusqu’à Paris ?
Au cœur d’une équipe allemande qui ne cesse d’injecter du sang neuf dans ses rangs - en témoigne la victoire magistrale de Gerrit Nieberg dans le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle ou encore la confiance apportée à Christian Kukuk ces derniers mois -, Jana Wargers entend bien ne pas se laisser marcher sur les pieds. Dans quelques mois, peut-être sera-t-elle du voyage au Danemark, pour les championnats du monde de Herning ? “Sans aucun doute, c’est un objectif, un rêve. Limbridge a produit tant de bons parcours que je crois que nous avons notre chance. Mais, comme je le dis toujours, j’avance pas à pas et j’attends simplement la décision finale”, se projette-t-elle. Epaulée par les têtes d’affiches de son escouade nationale, qui n’hésitent pas à lui prodiguer des conseils et à l’aider en cas de besoin, Jana pourra aussi justifier d’un autre atout pour tenter de finir de convaincre Otto Becker. “J’ai la chance de rester très cool et de ne pas devenir nerveuse facilement. C’est une bonne chose que je parvienne à rester calme et concentrée. Cela me rend la tâche plus facile”, estime-t-elle.
Supervisée par Michael Cristofoletti au quotidien, un cavalier italien qui est aussi son compagnon à la ville, la jeune femme peut envisager l’avenir sereinement. “Michael est là pour moi, jour et nuit. Il m’apporte un soutien sans faille et je me sens vraiment en sécurité avec lui. Je suis chanceuse de l’avoir à mes côtés”, glisse-t-elle. Dans le même temps, Ashford Farm lui permet de compter sur plusieurs chevaux, capables d’épauler son crack Limbridge au plus haut niveau. “J’ai un très bon neuf ans, qui s’appelle Cadeau (Z, Carmena Z x Quattro B). Il a sauté l’épreuve à 1,60m d’hier (le Prix de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qu’il a conclu à la douzième place, ndlr). Il était sans faute et bien qu’il n’ait pas beaucoup d’expérience, je pense que c’est un très bon cheval pour l’avenir. Il a prouvé de quoi il était capable. J’ai également une jument de dix ans, Chacco's Lady 2 (Old, Chacco-Blue x Indoctro). Elle a déjà gagné quelques épreuves à 1,45 et 1,50m et elle est super compétitive. Et puis, bien-sûr, nous avons quelques jeunes de sept et huit ans qui attendent leur tour pour le grand sport”, détaille Jana.
Même si les écuries de commerce impliquent un important turn-over dans les piquets de chevaux, dicté par les ventes des uns et des autres, l’Allemande semble pouvoir se projeter à moyen et long terme. Et elle ne se prive pas de rêver et de nourrir son avenir d’objectifs. “Dans le sport, mon prochain objectif est certainement Paris 2024. En parallèle, j’apprécie aussi passer beaucoup de temps avec ma famille, alors, j’espère que tous mes proches resteront en bonne santé et que nous partagerons de bons moments ensemble. À un moment donné, je vais aussi songer à fonder une famille, mais j’ai trente ans et encore quelques années devant moi pour y penser”, révèle-t-elle. Un moment charnière, qui selon l’amazone, peut peut-être expliquer la domination numérique de la gent masculine à haut niveau. “Mais je ne crois pas que ce sport soit plus difficile pour les femmes. Je me sens bien, et je ne crois pas que les hommes sont plus forts que nous. Pour moi, cela n’est pas un argument”, martèle-t-elle.
Bien dans ses bottes, visiblement heureuse de la vie qu’elle mène, entourée par ses amis avec qui elle apprécie partager des moments conviviaux, et au cœur d’un système qui lui permet de rêver grand, Jana Wargers a toutes les raisons d’espérer que son travail porte ses fruits. En tout cas, aucun obstacle infranchissable ne semble pouvoir se mettre en travers de sa route. Et, Bocholt, où sont implantées les écuries d’Ashford Farm ne sont qu’à un peu plus de cinq-cent-soixante-dix kilomètres de Paris, où auront lieu les prochains Jeux olympiques…
Photo à la Une : Même sous la pluie, Limbridge ne manque pas une occasion de faire sourire sa cavalière ! © Mélina Massias