“J’ai vécu une saison de rêve”, Philippe Léoni (1/3)
“Travail, travail, travail”, martèle Philippe Léoni. Voilà sans doute l’un des secrets du succès retrouvé par le Français ces derniers mois. Après avoir connu ses premières heures de gloire au milieu des années 2000, le Sudiste, originaire d’Aix-en-Provence, avait mis sa carrière équestre entre parenthèses pendant quatre années, afin de se concentrer sur sa vie professionnelle à mille à l’heure. Passé par le concours complet à ses débuts, l’homme, toujours enjoué, vit avec bonheur son retour sous les projecteurs. De sa médaille de bronze aux championnats de France de Fontainebleau, à ses classements en Grands Prix 4 et 5*, et son retour sous la veste de l’équipe de France, à l’occasion du CSIO 3* de Madrid, l’ancien partenaire de l’excellente Cyrenaïka a connu une saison faste, qu’il était bien loin d’imaginer, en février dernier, lorsqu’il a pris la route en direction d’Oliva. Rencontré à l’occasion de l’agréable CHI d’Equita Lyon, le cavalier, père de famille et homme d’affaires de soixante-trois printemps n’a éludé aucune question, de ses derniers mois à haut niveau, à sa rencontre avec sa formidable Miss Marie v’t Winnenhof, en passant par ses inspirations, son système, son programme d’élevage maison, et les questions de bien-être animal et d’écologie. Première partie d’un entretien en trois volets.
Votre saison 2022 a été particulièrement riche en bons résultats et a surtout marqué votre retour sur le devant de la scène. Bien que l’année ne soit pas tout à fait terminée, quel bilan tirez-vous de ces derniers mois ?
Cette saison a été particulièrement importante et charnière pour moi. J’ai fait l’acquisition de Miss Marie (v’t Winnenhof, Edjaz van’t Merelsnest x Toulon, ndlr) fin 2021. J’avais également Uhlan (Okkomut, Mylord Carthago x Eclair des Bois, ndlr), un très bon cheval que je monte toujours. Nous avons été dans une construction très dynamique et avons effectué une très bonne préparation. J’ai débuté l’année à Oliva, avec tous les chevaux. Tout s’est très bien passé, puis nous sommes allés à Arezzo, où est organisé un très beau concours. Là-bas, Miss Marie s’est classée cinquième du Grand Prix. Je sentais qu’elle était en train de passer un cap, tout comme moi. Ensuite, les championnats de France (organisés en avril dernier à Fontainebleau, en parallèle d’un CSI 4*, ndlr) ont été vraiment déterminants. J’ai été médaillé de bronze, après avoir remporté la finale, ex aequo avec Pénélope (Leprevost, sacrée championne de France avec Texas après avoir concédé, elle aussi, un point de temps dépassé au total des deux dernières manches de l’échéance, ndlr). Derrière, nous avons enchaîné, en disputant nos premiers 5* et en obtenant plusieurs classements. Uhlan a aussi été très présent aux côtés de Miss, puisqu’il termine quatrième du Grand Prix du CSIO 3* de Madrid (le gris était également cinquième du Grand Prix 4* de Fontainebleau, ndlr). J’ai vécu une saison de rêve, qui se clôture presque ici (à Lyon, ndlr), par le fait de pouvoir disputer le plus beau concours français indoor. Ce n’est pas tout à fait terminé, mais cette sélection récompense notre année et l’évolution de mes chevaux. Je me suis donné beaucoup de mal pour retrouver ce niveau (Philippe Leoni a opéré une longue pause dans sa carrière, au début des années 2010, ndlr). J’ai plus de soixante ans et ce n’est pas évident de revenir dans le match, surtout au vu du niveau actuel des chevaux et des cavaliers. Le nombre de très bons pilotes, autant en France qu’à l’étranger, est incroyable. C’était un vrai défi pour moi, mais je m’en suis donné les moyens. J’ai beaucoup travaillé, encore plus que d’habitude. Je suis encadré par Bertrand de Bellabre, qui me suit régulièrement. En concours, Nicolas Delmotte et Laurent Guillet, avec qui j’achète tous mes chevaux, m’aident aussi beaucoup. Et puis, j’ai mon métier à côté. Je ne vais pas dire que je suis amateur, mais l’équitation n’est pas mon occupation première. Je ne peux donc pas être à cheval tous les jours.
De ce fait, j’ai un très bon système. Nelly, ma groom, travaille avec moi depuis vingt-cinq ans. Elle est un aspect primordial de mon fonctionnement. Son suivi des chevaux est parfait, ce qui me laisse une autonomie totale. C’est vraiment formidable ! Depuis un an, je collabore également avec Tressy Muhr, qui monte mes chevaux sur le plat en mon absence. Tout cela mis bout à bout m’a permis de recoller à ce niveau. Ce n’est que du bonheur. De plus, ma jument a seulement dix ans. Uhlan en a quatorze mais est encore assez frais. Je viens également d’acquérir un cheval avec Laurent : Cyclone l’Epivent (Ulixe x Arpège Pierreville). Il a disputé la finale du circuit des Coupes des nations à Barcelone avec la Norvégienne Therese Søhol Henriksen en octobre. Nous l’avons acheté ce week-end (entretien réalisé vendredi 28 octobre, ndlr). C’est un très, très bon cheval de dix ans qui va renforcer mon piquet. Pour évoluer à haut niveau, il faut beaucoup de montures. J’en ai deux et c’est déjà une chance énorme, mais, comme j’ai envie de continuer pendant encore deux ou trois ans dans cette voie-là, j’avais besoin d’un renfort. Nous aurons bien besoin de lui. Il est super et maintenant, il est à moi ! Je compte également sur James Bond (du Bec, Diamant de Semilly x Grannus, ndlr), qui est un très bon atout pour sauter jusqu’à 1,50m. Miss, Uhlan et Cyclone affronteront, eux, les Grands Prix. Enfin, j’ai récemment récupéré Firefox (Cornet Obolensky, ex Windows vh Costersveld x Diamant de Semilly), un cheval qui prendra huit ans en 2023 et que j’ai fait naître. Romain (Ozzola, ndlr), le cavalier de Laurent, a initié sa carrière. Il a fait un super boulot avec lui à cinq, six et sept ans. En fin d’année, Laurent, qui en est co-propriétaire avec moi, m’a suggéré d’essayer de le monter. Je m’entends très, très bien avec lui et il saute bien sous ma selle. Je l’ai donc intégré à mon piquet, qui comptera donc cinq chevaux la saison prochaine.
En début d’année, lorsque vous avez pris la route pour Oliva, vous attendiez-vous à connaître un tel succès ?
Non, non ! Ce serait mentir que de le dire. Je fondais beaucoup d’espoirs en Miss. J’avais fini l’année avec Uhlan et elle au CSI 4* de Valence en indoor. Je pensais pouvoir faire de bonnes choses, mais pas de là à imaginer tout cela. Il y a eu un alignement des planètes et tout s’est bien goupillé, mais je ne pensais absolument pas faire cette saison là.
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“Je n’imaginais pas que Miss Marie v’t Winnenhof allait devenir la jument qu’elle est aujourd’hui”
L’arrivée de Miss Marie v’t Winnenhof dans vos écuries semble vous avoir donné un nouvel élan. À Fontainebleau, vous laissiez entendre qu’il s’agissait probablement de la meilleure jument que vous ayez jamais montée dans votre carrière. Quelle est son histoire ?
Miss Marie était montée par un bon cavalier du Nord de la France, Maxime Rius, qui a réalisé du super travail avec elle. Il l’avait depuis ses sept ans et a géré toute sa formation. Il croyait en elle dur comme fer, ce qui tombait bien, puisque c’était sa jument. Elle a d’énormes qualités, mais, comme tous les chevaux, elle a aussi quelques défauts. Ce sont Laurent et Nicolas qui l’ont repérée. Laurent l’adorait. J’ai toute confiance en lui. Il a un excellent œil pour les chevaux et, au-delà d’être un ami, il est aussi un marchand extraordinaire. Il était convaincu, tout comme Nicolas, avant même que je ne le sois. L’essai a été un peu folklorique. C’était en début de semaine, période à laquelle je suis généralement dans mes bureaux à Paris. Je suis arrivé en moto, avec un chauffeur, à la va-vite. Nous l’avons essayée dans les écuries de Zouzou Paillot (Alexandra Paillot, alors installée dans l’Oise, ndlr). Maxime m’a dit que Miss risquait d’être un peu fraîche, puisqu’il avait passé la semaine à Fontainebleau avec ses jeunes chevaux. Il s’avère qu’elle n’était pas un peu fraîche, mais super fraiche (rires). Pour dire la vérité, je n’étais qu’à moitié convaincu. Laurent, lui, n’avait aucun doute, et ma fille, Charlotte, qui est aussi cavalière, était complètement séduite. Ce sont eux qui m’ont poussé à en faire l’acquisition. Je me suis laissé faire, en pensant, bien sûr, que c’était une bonne jument. Dans le cas contraire, je ne l’aurais pas achetée. Mais, très sincèrement, je n’imaginais pas qu’elle allait devenir la jument qu’elle est aujourd’hui. Nous nous entendons bien et j’ai trouvé les bons codes avec elle. Elle est très sensible, très respectueuse, mais a bon caractère, ce qui est assez rare. Cela fait d’elle une jument guerrière et courageuse. Je trouve que notre progression a été super rapide. Même si j’ai un peu d’expérience, je ne suis pas Ben Maher ou Scott Brash, donc je reste étonné, chaque jour, de notre parcours. On prend ça comme du bonheur, et comme ça vient, en espérant que l’an prochain soit aussi bien, voire mieux.
Quid de votre fidèle Uhlan Okkomut, que vous montez depuis bientôt trois ans ?
Uhlan, c’est une drôle d’histoire. Il était dans le Sud de la France, près de chez moi. Laurent l’a acheté jeune, à sept ou huit ans. Il sautait très bien, mais avait très peur de l’eau. Laurent l’a superbement formé et l’a conduit jusqu’au 5* de Dinard, où il était classé (dixième, en 2017, ndlr) dans le Grand Prix. Mégane (Moissonnier, ndlr) a ensuite pris le relais quelque temps, à une période où Laurent était blessé. À ce moment-là, je cherchais un cheval de haut niveau. Uhlan avait onze ans. Il est très particulier, mais c’est un génie de l’obstacle. Je ne peux pas sauter à la maison. Ça ne sert à rien. Pour faire le tour de la carrière, avec les obstacles installés, c’est déjà compliqué ! Il a quatorze ans, mais a peur de tout. Il est très sensible, mais j’en ai pris mon parti. Tout va de mieux en mieux en concours. Il est hyper doué à l’obstacle. Il a toutes les qualités, tous les moyens et le respect. Seul son galop est un peu difficile. Je l’ai acheté à Laurent il y a trois ans, mais j’avoue que cette année j’ai aussi fait une très, très bonne saison avec lui. C’est peut-être la conjonction de nombreux éléments positifs. Il aura quinze ans l’an prochain, mais j’espère qu’il pourra m’accompagner jusqu’à la fin de ma carrière.
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“J’adore remettre la tenue de l’équipe de France”
En juin dernier, Miss Marie v’t Winnenhof vous a permis de revêtir la veste bleue de l’équipe de France, à l’occasion de la Coupe des nations du CSIO 3* de Madrid. Quel sentiment cette sélection vous a-t-elle procuré ?
C’était génial ! Pour moi, l’équipe de France représente beaucoup. J’ai eu la chance de disputer de nombreuses Coupes des nations et d’en gagner pas mal, dont cinq majeures (à Modène et Gijon en 1998, puis à Lisbonne, en 2000, Rotterdam, en 2001, et de nouveau Gijon, en 2004, ndlr). Après le championnat de France, Edouard (Coupérie, sélectionneur national adjoint des équipes de France de saut d’obstacles, ndlr), m’a fait part de son souhait que je vienne au CSIO 3* de Madrid. J’ai bien sûr dit oui tout de suite. Cette série européenne des Coupes des nations est une très belle antichambre pour le haut niveau. Nous avions une super équipe, avec trois filles. Olivier Perreau et moi étions les seuls garçons. Nous étions entourés de Clarance Gendron, qui avait le rôle de cinquième, de Marie Pellegrin et Juliette Faligot. Il y avait une super ambiance et nous nous sommes tous très, très bien entendus. Nous n’avons pas été très chanceux et avons terminé quatrièmes, mais c’était super. J’adore remettre cette tenue et le format des Coupes des nations. C’est un vrai plus dans notre sport, qui est individuel. C’est très à part. J’espère avoir l’occasion d’en faire d’autres. Pour moi, et, je suppose, beaucoup d’autres cavaliers, l’équipe de France est très importante. Pouvoir représenter son pays est un aboutissement.
Comment va s’articuler la fin de votre année 2022 ? Peut-on vous imaginer tenter de décrocher votre ticket pour disputer une troisième finale de la Coupe du monde ?
Lyon est déjà une échéance importante pour moi. C’est un point d’étape. Nous verrons comment le concours se déroule ici. Si cela se passe bien, tant mieux. Sinon, ce n'est pas grave. Il ne faut pas tout remettre en cause. Pour l’heure, la seule chose prévue est la Coupe du monde de Madrid, qui a lieu trois semaines après celle de Lyon. Ensuite, j’aurais deux options : soit arrêter la saison, faire une pause hivernale puis reprendre à Oliva, soit envisager un autre plan si je grapille un ou deux points ici et à Madrid (avec un total de six points dans le Grand Prix Longines de vendredi, à Lyon, Philippe Léoni ne s’est malheureusement pas qualifié pour la Coupe du monde dominicale du concours rhônalpin, ndlr).
La deuxième partie de cet entretien sera à retrouver ici.
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Photo à la Une : Philippe Léoni et sa géniale Miss Marie v’t Winnenhof à Lyon. © Mélina Massias.