“J’ai toujours l’impression d’être la jeune fille qui essaye de faire ses preuves à haut niveau”, Ioli Mytilineou (1/2)
En sport, et encore plus en équitation, beaucoup de choses peuvent changer en l’espace de quelques mois. Encore méconnue il y a de cela un an, date à laquelle elle s’apprêtait à entrer en piste pour la première fois dans un grand championnat, sur la vaste piste en herbe de Riesenbeck, Ioli Mytilineou a parcouru un chemin fou. Loin d’être une étoile filante, la volubile jeune femme illumine par son équitation chacun de ses parcours. Après s’être révélée au monde entier aux rênes de l’exceptionnel Levis de Muze aux derniers championnats d’Europe, la Grecque a fait plus que confirmé sa place parmi l’élite, il y a quelques semaines à peine, à Herning, où elle disputait les championnats du monde aux côtés du formidable L’Artiste de Toxandra. Débarquée en Belgique en septembre 2017, et soutenue dans le sport par sa maman, Hannah, cavalière olympique et autrefois propriétaire de la regrettée Albfuehren's Bianca, la jeune femme de vingt-cinq ans se forge une aura digne des plus grands. Pourtant, de son propre aveu, cette ascension ne l’a pas changée. Bien au contraire. Toujours folle amoureuse de ses montures, avec lesquelles elle évolue en parfaite harmonie, Ioli évoque dans cette interview en deux épisodes son expérience à Herning, sa star L’Artiste de Toxandra, mais aussi son nouveau rôle au sein de la Global Champions League, l’avenir de l’équipe Grèce et ses ambitions à l’élevage avec Héroïne de Muze, reproductrice d’exception s’il en est.
Quel bilan tirez-vous des championnats du monde de Herning, que vous avez conclus au dix-neuvième rang avec L’Artiste de Toxandra (BWP, Toulon x Kashmir van de Schuttershof) ?
Pour être tout à fait franche, je suis extrêmement heureuse. J’ai disputé mon premier championnat Sénior l’an dernier, mais je montais un autre cheval (à Riesenbeck, la sympathique Grecque avait présenté l’excellent Levis de Muze, BWP, Elvis Ter Putte x Tinka’s Boy, ndlr). J’étais donc dans le même état d’esprit que l’année dernière à l’approche de l’échéance de Herning. J’ai pris chaque jour l’un après l’autre, pour voir comment mon cheval se sentait à mesure que la semaine avançait. C’était un nouveau niveau pour lui aussi. Alors, si jamais j’avais senti que c’était trop pour lui, ou qu’il n’était pas à 100%, j’aurais été contente de rentrer à la maison. Nous avons d’abord regardé comment il se sentait en piste et comment il gérait le premier jour. Il a sauté de façon incroyable, même lors de l’épreuve en nocturne (le vendredi 12 août, qui était le deuxième parcours de la Coupe des nations et s’est révélé être le plus dur de toute la semaine, ndlr), où il a commis deux fautes. Il ne méritait pas ces huit points. J’ai le sentiment qu’il a malgré tout sauté un parcours exceptionnel ce soir-là. Je suis si contente. Il a rendu cette expérience tellement facile pour moi !
Votre partenaire des derniers championnats d’Europe a été moins sur le devant de la scène cette année. Qu’est-ce qui vous a poussé à lui préférer L’Artiste de Toxandra, lui aussi âgé de onze ans ?
Bien sûr, Levis a été super aux Européens l’année dernière (la paire avait terminé douzième, après de superbes parcours, qui avaient ébloui tout le monde, y compris Ludger Beerbaum, chef d’orchestre de l’événement, ndlr). Au début de l’année, j’ai pris mon temps avec lui. Je ne le sentais pas tout à fait prêt à affronter un nouveau championnat. Un championnat est quelque chose d’important. Ce n’est pas un simple 5*. Cela demande beaucoup aux chevaux, alors j’ai vraiment pensé que L’Artiste était en meilleure posture, à ce moment précis, pour participer aux Mondiaux. Je suis chanceuse d’avoir deux chevaux capables d’affronter ces formats. La décision a finalement été facile pour moi, compte tenu d’où en est Levis en ce moment. La semaine après les championnats du monde, il a été à Londres (pour l’étape du Longines Global Champions Tour, ndlr) et il a participé au 5* là-bas (la paire s’était qualifiée pour le Grand Prix après un parcours à quatre points dans la deuxième manche de la Global Champions League, mais n’a pas pris le départ, ndlr). Il saute super bien, est en forme (en atteste sa cinquième place à 1,45m et sa treizième position dans le Grand Prix 3* de Bruxelles le week-end dernier, ndlr), mais je n’ai pas jugé nécessaire de lui faire courir un nouveau championnat cette année. Il a tant fait pour moi depuis que je l’ai que je ne voulais pas lui imposer cela.
“L’Artiste de Toxandra est sans doute le cheval avec lequel j’ai rencontré le plus de difficultés”
Quelle est l’histoire de L’Artiste de Toxandra ? Comment avez-vous croisé la route de ce cheval d’exception ?
Je l’ai acheté lorsqu’il avait huit ans, à la famille Wilks, avec laquelle ma famille est amie. Les Wilks ont une société, qui s’appelle In Showjumpers, et je connaissais L’Artiste depuis un petit moment. Un jour, mon entraîneur (Sean Crooks, ndlr) aidait Anna Wilks, qui montait alors L’Artiste, et il m’a suggéré de l’essayer. Je l’ai écouté, et voilà ! Je dois dire que c’est sans doute le cheval avec lequel j’ai rencontré le plus de difficultés. Il est très grand, en particulier pour moi qui ne suit pas très grande (rires), et a beaucoup de force. Cependant, il a toujours montré énormément de qualité et j’ai toujours cru en lui. Mon interrogation résidait davantage sur le fait de savoir si j’arriverais à le monter ou non. En tant que cheval, je n’avais aucun doute qu’il atteindrait les sommets. Il est extrêmement respectueux : s’il touche une barre, il saute l’obstacle suivant comme s’il y avait le feu sous lui. C’est un sauteur incroyable. Il veut vraiment, vraiment faire bien. Pour un grand cheval, il est également très réactif. La chose la plus effrayante du monde pour lui sont les feuilles qui volent avec le vent. Il croit qu’elles vont le tuer. À côté de ça, il est adorable. C’est juste un gentil géant qui veut des amis (rires). Cela nous a pris du temps pour trouver une connexion. Avec les chevaux, un jour on pense avoir eu le déclic, et le lendemain tout a disparu. Je ne vais donc pas m’avancer et dire que nous nous sommes trouvés, parce que, qui sait ce qu’il en sera dans deux mois ? Peut-être que je l’aurais perdu, et que je le retrouverais après. Je suis juste très chanceuse de l’avoir. Il est incroyable et m’a tellement appris !
Il y a à peine un an, vous étiez presque une inconnue pour le grand public. Depuis, votre statut a complètement changé. Arrivez-vous à réaliser le chemin que vous avez parcouru en si peu de temps ?
Riesenbeck a été exceptionnel pour moi. Je n’aurais jamais pu rêver de réussir un championnat comme ça. Je n’avais jamais pris part à une telle échéance, et mon cheval non plus. Il y est allé et à montrer au monde entier qui il était. Je pense que le fait d’être à l’écoute de mon cheval nous a vraiment aidé et nous a mené où nous en sommes aujourd’hui. Bien sûr, en prenant le départ de mon deuxième championnat, j’ai ressenti plus de pression. Je savais que les gens avaient des attentes. Soit on me regardait en s’attendant à ce que tout se déroule aussi bien que l’année dernière, soit on s’attendait à me voir passer à côté. Tout le monde attendait de savoir si les Européens avaient été un coup de chance, ou s’il s’agissait en fait d’une équitation. Alors, pour les Mondiaux, j’avais vraiment envie de bien faire. D’abord parce que je montais un autre cheval, mais plus encore parce que je ressentais le besoin de prouver aux gens que j’étais capable de répéter ma performance. Levis est évidemment un cheval absolument exceptionnel. Je le sais, et tout le monde le sait. Il m’a portée pour mes premiers championnats d’Europe Séniors, mais je suis heureuse d’avoir réussi à confirmer avec un autre cheval. Je pense que beaucoup de personnes étaient surprises. Lorsque j’analyse ma semaine à Herning, je suis ravie et soulagée d’être parvenue à signer une nouvelle bonne performance.
Qu’est-ce qui a changé pour vous entre les championnats d’Europe et du monde ?
Ouf… Du côté état d’esprit, pas grand-chose. Mon entraîneur et moi travaillons très dur pour rester concentré et se souvenir des événements qui nous ont conduit jusqu’à aujourd’hui. Notre objectif est de rester fidèle à nous-mêmes. Nous prenons les choses exactement de la même manière qu’il y a trois ans. Dans d’autres aspects, en revanche, beaucoup de choses ont changé : les sponsors, le fait d’avoir plus de reconnaissance et d’accéder à plein de concours différents, etc. Une grande partie de cela a changé, mais, mentalement, je me sens exactement pareil. J’ai toujours l’impression d’être la jeune fille qui essaye de faire ses preuves à haut niveau. Je reste très inexpérimentée, bien que j’aie disputé deux championnats. J’ai disputé peu de CSI 5* et mon kilométrage est encore très bas. Lorsque je suis en concours, je n’oublie pas qui je suis et qui j’ai toujours été. Je regarde toujours tous ces cavaliers en me disant que monter à côté d’eux est fou ! Dans ce sens, c’est toujours la même chose qu’il y a un an. Mais beaucoup d’autres choses ont changé.
La suite de cette interview sera disponible demain sur Studforlife.com...
Crédit photo : © Sportfot. Photo à la Une : La joie de Ioli Mytilineou en sortie de piste aux Mondiaux de Herning avec L’Artiste de Toxandra.