“J’ai eu un coup de foudre instantané pour Gamin van’t Naastveldhof”, Edouard Schmitz (2/3)
L’histoire de Gamin van’t Naastveldhof pourrait grossièrement se résumer à celle d’une étoile montante qui en croise une autre sur sa route. Issu d’un élevage belge peu connu, qui n’a jamais produit un tel cheval, le bai, dont les origines le prédestinaient tout de même à une belle carrière, aurait tout aussi bien pu sombrer dans l’oubli. Mais, pour le plus grand bonheur de toutes les personnes qui ont contribué à l’éclosion de ce doux géant, le destin en a décidé autrement. En un peu plus d’un an, le sBs a connu une ascension fulgurante sous la selle d’Edouard Schmitz, dépeint comme la relève du clan suisse depuis ses jeunes années. Ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Entre leur première victoire en Grand Prix 3* et leur prestation magistrale lors de la finale de la Global Champions League de Prague, les deux complices ont trouvé le temps de triompher au milieu de l’arène de Dublin, arrachant leur plus beau succès face à de redoutables adversaires, stupéfaits par leur prestation. De ses débuts en compétition, sous la selle de Mathieu de Nutte, dentiste à la ville et cavalier passionné, à son acquisition par Arturo Fasana et son arrivée dans les écuries de son pilote genevois, Gamin a mûri, jusqu’à devenir l’un des meilleurs chevaux du monde. Celles et ceux qui ont contribué à son éclosion brossent le portrait de ce phénomène, qui n’a pas fini de faire parler de lui.
La première partie de ce portrait est à (re)lire ici.
Avec sa deuxième propriétaire, Gamin atteint le niveau M*, qui correspond à des hauteurs de 1,25 voire 1,30m. Une fois sa tâche achevée, Natalie cède son complice, en août 2018, à Manfred Marschall. Dans la foulée, Gian Battista Lutta indique à Arturo Fasana, propriétaire de la brillante Castelfield Eclipse (née Quality Furiste, Obos Quality 004 x Furisto), membre de l’équipe suisse aux Jeux olympiques de Londres en 2012 et auteure de trois doubles sans-faute en Coupe des nations cette même année, qu’un cheval de six ans se trouvant dans ses écuries pourrait l’intéresser. Ayant l’habitude d’acheter de jeunes montures, par goût du défi et des promesses qu’elles renferment, le Suisse part rencontrer cette pépite. Dès le premier regard, l’homme d’affaires, contaminé par le virus cheval grâce à sa fille, Céline, elle-même cavalière, est surpris par l’imposant modèle du hongre qui lui est présenté. Si bien qu’il marque un temps d’hésitation avant de franchir le cap et d’acquérir celui qui deviendra, quelques années plus tard, l’un des meilleurs chevaux du monde. “Gamin est le premier cheval m’appartenant à être doté d’une carrure aussi importante. Au début, j’étais un peu réticent, un peu sceptique par rapport à son agilité. Il a même fallu me pousser pour que je l’achète. Finalement, je me suis trompé sur toute la ligne ! Et heureusement !”, s’amuse ce passionné, ravi d’évoquer ses aventures équestres. “Le jour où nous sommes allés essayer Gamin, je me souviens qu’il faisait un temps à ne pas mettre un cheval dehors. Il tombait des trombes d’eau ! La carrière était inondée, mais, ce qui m’avait frappé chez Gamin, c’est qu’il n’était absolument pas craintif. On voyait déjà qu’il avait un mental à toute épreuve. Il s’agit toujours d’une bonne indication.”
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Arturo Fasana achète alors le sBs et le confie, comme ses autres chevaux de l’époque, à Paul Estermann. Le Suisse poursuit la formation du grand bai pendant un plus d’un an, alignant les sans-faute et commettant rarement quatre points. Pour preuve, le duo sort de piste avec plus d’une faute à seulement trois reprises, en une trentaine de parcours. “On voyait clairement que Gamin avait des moyens, mais il fallait le former, construire la suite. Nous nous sommes rendu compte tout de suite qu’il avait quelque chose de spécial, mais de là à savoir jusqu’où il irait… Les chevaux qui arrivent tout en haut font partie d’un pourcentage très limité, et ceux capables de gagner des épreuves à ce niveau sont encore plus rares. Gamin, lui, a toutes les qualités pour le faire”, complète Arturo Fasana. En 2020, le propriétaire du fils de Chacco Chacco décide de le confier à un nouveau cavalier, Ken Balsiger, frère aîné de Bryan, l’une des relèves de l’équipe nationale helvète. Le nouveau couple dispute quelques parcours au mois de juin, après avoir observé un peu de repos, en raison d’un virulent virus venu frapper l’Europe en début d’année. À la fin de l’été de la même année, Gamin croise finalement la route de son binôme, celui qui le conduira sous le feu des projecteurs.
Coup de foudre
Arturo et Céline Fasana contactent ainsi un certain Edouard Schmitz, jeune pépite du clan suisse destinée à un brillant avenir. “À l’été 2020, Monsieur Fasana m’a appelé pour me demander si je souhaitais monter l’ensemble de ses chevaux, dont Gamin faisait partie. J’ai été les essayer, et j’ai eu un coup de foudre instantané pour Gamin. Sous ses airs de grand cheval - il doit faire pas loin d’1,80m au garrot -, il est en réalité très, très léger. Il a une agilité hors du commun et une rapidité que l’on ne retrouve pas toujours chez les chevaux de son gabarit. Parmi toutes ses qualités, cette agilité est vraiment celle qui ressort le plus. Il est arrivé chez moi en milieu d’année de huit ans et nous allons entamer notre troisième saison ensemble”, brosse le prodige de vingt-trois ans.
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Un peu plus de deux ans après le début de sa collaboration avec son nouveau cavalier, Arturo Fasana ne peut que se réjouir de son choix. “Auparavant, mes chevaux étaient chez Paul Estermann, avec qui nous avions Eclipse. Paul a obtenu de super résultats avec elle. Malheureusement, il s’est passé ce qu’il s’est passé et, au bout d’un certain temps, j’ai dû prendre une décision. Edouard étant originaire de Genève, j’étais au fait de ses performances et savais qu’il était un super cavalier. Ma fille, qui le connaissait, m’a suggéré de lui confier nos chevaux. Je voulais vraiment pouvoir compter sur un cavalier qui bénéficiait d’une excellente image, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’était primordial pour moi”, appuie le propriétaire de Gamin. “Je crois qu’Edouard est naturellement talentueux. Cela se voit. Mais il est de sa responsabilité de travailler deux fois plus pour maintenir son niveau, voire s’améliorer. Et avec Thomas Fuchs, il est à bonne école. Parfois, Edouard peut donner l’impression d’être froid comme un glaçon, mais ce n’est pas du tout le cas. Il est un peu le gendre idéal, mais s’il déteste que l’on dise ça ! (rires) C’est un garçon extrêmement drôle, qui joue beaucoup avec les mots. C’est très agréable d’avoir cette relation avec lui, sérieuse, mais avec un brin d’insouciance. Il a zéro pression, que ce soit de ma part ou de celle de ses parents, qui sont des gens adorables. Edouard sait que je ne suis pas du genre à lui faire une scène s’il fait quatre points. Je crois que c’est un avantage non négligeable, surtout à son âge, et peut-être ce qui fait notre force.”
Apprendre à se comprendre
Les bénéfices de l’entente entre Arturo Fasana et son cavalier se révèlent rapidement précieux pour apprivoiser le sensible Gamin. Les débuts du néo-duo sont semés de quelques défis. Toutefois, jamais le représentant helvétique ne doute du talent ou des capacités de son partenaire. “C’est difficile à expliquer ; parfois, on rencontre des chevaux avec lesquels on est juste sûr. Dans le cas de Gamin, les résultats ont, en plus, toujours été là, ce qui aide lorsqu’il faut croire en un cheval. S’il n’y avait pas eu ces résultats, j’aurais tout de même été convaincu du fait que Gamin avait tout ce qu’il faut pour réussir. Idem pour Arturo Fasana ; il a toujours été convaincu. Bien sûr, cela reste les sports équestres. Croire est une chose, mais la finalité en est une autre. En tout cas, nous avons toujours tous cru dur comme fer en Gamin. Ses bons résultats et les qualités qu’ils démontrent week-end après week-end n’ont donc pas été une surprise. Une bonne nouvelle, oui, mais pas une véritable surprise”, reprend le pilote.
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Lorsqu’il intègre les écuries d’Edouard, Gamin a déjà fait ses débuts à 1,40 et 1,45m, sur le circuit national ou à l’occasion d’épreuves internationales réservées aux jeunes chevaux. Si le talent est loin de s’être envolé entre ses débuts en Belgique et son arrivée en terres suisses, le fils de Feria van’t Schrijberg doit encore être compris pour exprimer son plein potentiel. “Au début, il acceptait très peu les ordres du cavalier. Lorsqu’on était en piste, il secouait beaucoup la tête, ruait souvent quand on mettait la jambe, etc. Il n’avait pas trop envie de se faire dire comment effectuer son travail (rires)”, se remémore le Genevois. “Lors de notre première saison ensemble, je me suis surtout concentré sur le fait de lui faire accepter davantage mes aides, de lui donner envie de travailler avec plutôt que contre moi. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais, alors que j’avais l’impression que nous ne faisions pas beaucoup de progrès, il a eu un déclic. Du jour au lendemain, il a compris le truc et se laissait faire de plus en plus.”
Dans ce changement de comportement et le passage de ce cap décisif, Thibault Baudron, groom concours débarqué il y a maintenant un peu plus de deux ans à Wängi, n’est pas étranger. “Thibault n’est pas un simple groom ; il est beaucoup plus que cela pour Edouard”, coupe Arturo Fasana. “Il donne l’impression d’être timide, ne parle pas trop, mais occupe une place primordiale dans l’équipe. La relation entre Thibault et son cavalier est excellente, tout comme elle l’est avec moi. Il a eu une place très, très importante dans l’évolution des résultats d’Edouard. Il est de nature à rester en retrait, mais il est une pièce maîtresse du puzzle de cette réussite. Edouard n’aurait pas pu choisir meilleure personne pour l’accompagner en concours. Avoir quelqu’un qui s’occupe des chevaux comme le fait Thibault, qui les prépare parfaitement et permet d’être sûr qu’ils sont en pleine forme pour la compétition est précieux.” Auprès de son “gentil Didou”, comme il aime le surnommer, le dynamique jeune homme a joué un rôle fondamental. Et Edouard d'acquiescer : “Thibault a une très, très belle relation avec Gamin.”
“Les débuts avec Gamin ont été un peu compliqués. Il était assez caractériel et est très sensible. Il ne se laissait pas trop faire, que ce soit sous la selle ou à pied. Nous avons dû apprendre à nous connaître, à nous faire confiance. Une fois qu’il nous a accordé sa confiance, il n’y a plus eu de problème. Il est devenu facile et super agréable au quotidien. Son évolution est vraiment marquante”, concède Thibault. “Lorsque je l’ai emmené en concours les premiers week-ends, je me suis dit ‘wow’. Au paddock, il était très délicat et les détentes étaient compliquées. Quand on s’occupait de lui, il se demandait toujours ce qu’on lui voulait, ce qu’on allait lui faire. Maintenant, il est rodé, connaît par cœur la manière et l’ordre dans lequel je vais le préparer, les soins que je vais lui prodiguer après un parcours, etc. Je pense qu’il a besoin de cette routine pour être rassuré. Il peut être un peu anxieux ou stressé dans certaines situations. Au-delà de cela, il est super attachant et demande de l’attention. Je ne sais pas vraiment comment mettre des mots sur notre relation, mais il y a une forme de complicité qui s’est installée entre nous. C’est un grand cheval, mais aussi un grand sensible. Dans le fond, il reste malgré tout un gros nounours, mon gentil Didou. C’est chouette de voir à quel point il a pris confiance en nous. Je pense que c’est aussi pour cela qu’il arrive à donner le meilleur de lui-même en piste aujourd’hui.”
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Sous ses yeux, le petit Gamin s’est mué en géant de son sport, assumant pleinement son statut de crack. “Avant de venir chez Edouard, j’ai travaillé dans d’autres écuries de haut niveau, où j’ai connu des chevaux de ce niveau-là. À un moment donné, j’ai senti qu’un cap s’était passé. Gamin avait compris son importance et ce qu’on lui voulait. Parfois, il en joue un peu”, reprend-t-il. “Par exemple, maintenant, si je lui remets sa couverture, il peut chercher à mordiller, idem au sanglage. C’est assez rigolo parce que j’avais déjà vu ce genre de choses sur d’autres chevaux de ce niveau, qui ont une vraie personnalité, un vrai caractère. Mais cela reste toujours gentil ; il ne dépasse jamais les limites et ne va jamais mordre réellement. C’est simplement pour s’affirmer. Je pense qu’il a davantage confiance en lui et qu’il connaît sa place dans l’écurie. Cela joue beaucoup. Les chevaux voient comment on s’occupe d’eux et le numéro un d’un piquet sait quelle est sa place. Quand Gamin a commencé à prendre ces petites habitudes, je lui ai dit ‘là, tu es en train de prendre les codes d’un champion’. Cela m’a marqué et m’a fait sourire. Depuis, cela est resté. Il a compris de quoi il était capable et, depuis, a réalisé toutes les performances qui ont été les siennes en 2022.”
“J’ai une chance inouïe de pouvoir monter un cheval comme Gamin”, Edouard Schmitz
Au fil du temps, la personnalité de Gamin s’est ainsi affirmée, à mesure que sa stature a grandi. “Il faut lui parler poliment”, assure son cavalier. “Il est adorable, très proche de l’humain et très câlin. Une fois en selle à la maison, il peut se défendre des actions de son cavalier. En revanche, quand un parcours compte, il le sait. Là, il est vraiment à son affaire et se laisse faire. Ce n’est vraiment pas le même cheval en concours et à la maison. Je pense que tous les chevaux qui sont des cracks comme lui font la différence entre les deux situations. Et, c’est vrai que lorsqu’ils nous le rendent aussi bien en piste, on a peut-être un peu plus de tolérance pour leurs spécificités et facéties (rires). Lorsqu’ils nous font vivre d’aussi belles émotions, on tolère beaucoup plus de choses ! Au-delà de son agilité hors-normes, Gamin est très rapide, il énormément de respect et a une vraie attitude de sportif. Il entre en piste pour faire des résultats. Au paddock, il peut être un peu endormi et pas tout à fait à l’écoute de ce qu’essaye de lui raconter son cavalier. Une fois face au parcours, il est totalement à son affaire, se fie vraiment aux ordres de son cavalier. Je trouve que Gamin est particulièrement agréable à monter. Savoir que l’on a cette alchimie avec son cheval donne beaucoup de confiance. On est nettement plus détendu lorsqu’il faut entrer en piste. Les qualités de Gamin et la relation que nous avons sont deux facteurs déterminants lorsqu’on doit ramener des flots ! (rires)”
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Photo à la Une : Gamin van’t Naastveldhof en toute décontraction à Aix-la-Chapelle, en compagnie de son fidèle pilote, Edouard Schmitz. © Mélina Massias