Talentueuse, déterminée et les pieds sur terre, Chloe Reid incarne la nouvelle garde américaine. Devenue la plus jeune athlète américaine à être sélectionnée pour représenter son pays en 2012 sur la scène internationale, puis membre de son escouade nationale sur les prestigieuses pistes d’Aix-la-Chapelle, Rome, Falsterbo ou encore Barcelone, la jeune femme, qui a réussi à mener à bien une brillante carrière scolaire en parallèle de ses ambitions équestres, entend bien poursuivre sur cette voie. Grâce notamment à Crossover 4, qu’elle monte depuis cinq ans, la native de Washington DC espère atteindre ses objectifs. À l’écoute de ses montures, qu’elle aime découvrir dès leur plus jeune âge et avec lesquelles elle souhaite avant tout former un couple, Chloe Reid a toutes les cartes en main pour briller dans les mois et années à venir. La tête bien faite, celle qui est diplômée de l’Université de Miami est également la co-organisatrice, aux côtés de son oncle, Chester Weber, grand champion d’attelage, du magnifique concours de Live Oak, à Ocala, au sein des installations de ses grands-parents. Dans cette interview en trois parties, l’Américaine de vingt-huit ans retrace son parcours, la naissance de sa passion dévorante, évoque son piquet de chevaux, sa philosophie, mais aussi l’avenir des événements de tradition, menacés par les séries de compétitions organisées par d’immenses complexes sportifs.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
En 2022, vous avez notamment brillé grâce à la géniale Souper Shuttle (Stakkato x La Zarras), prenant notamment part aux Coupes des nations de Rome et Aix-la-Chapelle. Que vous a appris cette jument et comment comparez-vous ses caractéristiques par rapport à celles de vos montures actuelles ?
J’ai commencé à monter Shuttle lorsqu’elle avait huit ans. Elle avait déjà remporté un Grand Prix 2* et un peu d’expérience, mais restait relativement jeune. Peu de personnes pensaient qu’elle pourrait un jour sauter les parcours qu’elle a affrontés dans sa carrière. J’en suis certaine : elle a pu le faire seulement parce qu’elle a le plus grand des cœurs. Elle voulait le faire pour moi et cela l’a conduite à sauter des parcours à 1,60m. Il y a quelques années, lorsque nous étions en Floride, j’ai commencé à faire quelques Grands Prix 3* avec elle. Tout s’est bien déroulé et j’ai accédé à un CSI 5*. Je me suis dit que nous allions essayer, et voir comment cela se passait. Le premier jour s’est bien passé, alors nous avons pris part à une épreuve qualificative pour le Grand Prix. De nouveau, tout a bien fonctionné. Je me suis demandé si nous devions participer au Grand Prix et je me suis dit “pourquoi pas” ! Shuttle a s’est simplement mise au niveau à chaque fois. Je crois que Laura Kraut commentait le Grand Prix 5* et elle a dit “nous ne pensions jamais que cette jument puisse sauter aussi facilement de tels obstacles” ! Elle le faisait parce qu’elle adorait ça et son cœur était gigantesque. Elle m’a beaucoup appris sur le fait d’avoir une jument spéciale. Elle est parfois très têtue et demande du temps et de la patience, mais lorsque tout est en ordre, elle respecte vraiment son cavalier et je trouve cela très spécial.
Vous qui avez et montez quelques très bonnes juments, vous intéressez-vous à l’élevage ? Avez-vous fait naître quelques poulains ?
J’ai deux juments à l’élevage en Europe. Nous n’avons pas beaucoup de poulains pour l’instant et ils sont encore jeunes. Athena (Gentleman x Lennard), mon ancienne jument sur le circuit Junior, a eu trois produits. Le plus âgé est tout juste en cours de débourrage. Nous verrons ce que cela donne. Sally 643 (Salito x Werther), une explosive jument alezane que j’ai montée pendant de longues années, vient de la rejoindre. Elle attend son premier poulain pour le printemps. L’élevage n’est pas toujours facile, mais c’est une belle aventure. Je suis surtout heureuse que mes juments puissent continuer leur œuvre. Elles ont été si formidables pour moi que je suis contente de les voir profiter de leur retraite. Avec un peu de chance, il me restera un petit bout d’elles pour écrire la suite de l’histoire dans le futur. Ce serait vraiment sympa.
Procédez-vous au choix des étalons vous-même ?
Rene m’aide beaucoup sur ce point-là. Nous regardons beaucoup les chevaux et leurs origines en concours et essayons de voir quel type de cheval pourrait me convenir par la suite. Mes juments sont assez petites et pleines d’énergie. Nous tentons donc de leur choisir des étalons avec un peu plus de tailles et des moyens. L’idée est de trouver l’étalon qui convient le mieux à nos juments.
Vous n’avez plus concouru en Europe depuis 2022. Avez-vous prévu de traverser à nouveau l’Atlantique avec vos montures ?
Après mon accident, survenu en 2021, j’ai passé six mois en Europe. L’an dernier, je ne me suis pas rendue sur le Vieux Continent car mes chevaux étaient encore trop jeunes. Je trouvais que ce n’était pas le bon moment. Si je viens en Europe, c’est pour participer à de très beaux concours et prendre part au grand sport. Nous sommes donc restés à la maison la saison dernière et en avons profité pour poursuivre l’apprentissage de mes montures. Cela peut paraître un peu ennuyeux de rester à la maison, mais c’était le meilleur choix pour mes chevaux. J’espère que nous pourrons revenir en Europe cet été et obtenir de bonnes performances. J’ai la chance d’être entourée de ma famille lorsque je reste à Ocala. Notre sport demande énormément de voyages et de déplacements, et d’autant plus en Europe. Rester quelques mois à Ocala était super. J’ai pu vivre une vie normale, voir mes amis, aller dîner avec eux, etc. Je n’avais pas besoin de courir partout comme une folle !
Vous avez défendu le Stars and Stripes à plusieurs reprises, comme à Rome, Aix-la-Chapelle ou Barcelone. Comment jugez-vous les forces et faiblesses de votre équipe nationale en ce moment ?
Je pense que nous sommes actuellement dans une période intéressante. Les stars que sont McLain Ward, Kent Farrington ou Laura Kraut prennent de l’âge, mais nous avons un bon groupe de jeunes cavalières et cavaliers qui ont l’opportunité de s’imposer au sein de l’équipe première. Comme dans toute période de transition, il y aura quelques accrocs en cours de route, puisque cette nouvelle génération doit apprendre. Mais avoir un tel groupe de jeunes gens et de telles opportunités me semble assez unique. Je trouve cela très excitant que notre équipe donne sa chance à des personnes comme moi, par exemple. De plus, nous venons juste de remporter les Jeux panaméricains.
En octobre dernier, Laura Kraut laissait entendre son inquiétude au sujet d’un manque de profondeur d’effectif au sein de la jeune génération. Partagez-vous son avis ?
Je ne sais pas si le problème vient du nombre de jeunes cavaliers. Je pense qu’il y a toujours plein de cavaliers aux Etats-Unis, mais je suis assez d’accord sur l’éthique de travail de ces jeunes. J’ai été éduquée dans l’idée qu’il faut connaître le moindre aspect des chevaux, être capable de curer ses boxes, etc. Si notre groom ne vient pas le matin, on doit être en mesure de continuer à tout gérer. Je pense que beaucoup de personnes passent à côté de cet aspect et manquent d’une vraie éthique de travail. Ils ne savent pas quel foin donner à leurs chevaux, qui est le meilleur maréchal, et toutes ces choses de base. Personne ne peut être un excellent athlète ou compétiteur s’il ne maîtrise pas chaque maillon de la chaîne et de son équipe. Notre sport ne dépend pas seulement de nos capacités à monter à cheval et de notre passage en piste : il faut connaître les tenants et les aboutissants qui permettent à nos chevaux d’être dans les meilleures conditions et tout ce qui les fait se sentir bien et en forme. Je pense que c’est un peu ce qui manque en ce moment : enseigner la notion de horsemanship qui se cache derrière les quelques secondes passées en piste. Mais je crois que cette problématique ne s’applique pas seulement à la sphère équestre. Mon papa ne travaille pas dans les chevaux mais dit qu’il est extrêmement difficile de trouver de bons jeunes dans n’importe quel secteur. Je ne veux pas être trop dure avec ma propre génération, mais d’une manière générale, je pense que les jeunes ont besoin de cette volonté de travailler dur. Si on veut faire de grandes choses, il faut se lever tôt et travailler dur pour cela. Rien ne nous sera donné gratuitement.
“Avoir de multiples circuits est super, mais il est vrai que cela complique parfois la compréhension du grand public”
Le calendrier international est de plus en plus dense, chaque week-end proposant une ribambelle de concours de niveau 2, 3, 4 et 5*, en Europe, aux Etats-Unis et partout dans le monde. À travers de votre regard de compétitrice, mais aussi d’organisatrice de concours, que pensez-vous de cela ?
Je pense qu’avoir de plus en plus de concours est toujours une bonne chose. Il n’y a pas moins de cavaliers, au contraire, et les concours arrivent toujours à faire le plein. Je ne pense pas que ce soit un problème à cet égard. Dans tous les cas, les cavaliers devront toujours établir le meilleur programme pour eux et leur piquet de chevaux. Même s’il y a des concours tous les weekends, il est impossible de concourir tous les weekends de l’année. Les bons cavaliers sauront toujours sélectionner les événements importants. J’espère simplement que malgré la croissance de certains grands sites de compétitions, les concours de tradition qui n’ont lieu qu’une semaine par an, comme Live Oak International, ne mourront pas. Pour moi, ces événements-là sont ceux qui sont vraiment spéciaux.
Mais la démultiplication des concours chaque week-end réduit la lisibilité du calendrier international et n’aide pas le grand public à identifier les événements majeurs de l’année. Il devient même difficile, voire impossible, de se souvenir de quels couples ont remporté les derniers Grands Prix 5*...
Oui, c’est vrai, mais je crois que cela participe aussi à améliorer le sport et à le rendre plus commercialisable. Avoir le Global Champions Tour, la Major League, la Ligue des nations, les Coupes des nations et tous ces circuits est super, mais il est vrai que cela complique parfois la compréhension du grand public. Dans d’autres sports, on a les championnats du monde, parfois les Jeux olympiques et quelques grands événements. En tennis, par exemple, il y a les Masters, les étapes du Grand Chelem et on sait où ont lieu les moments forts de la saison. Les gens qui découvrent notre sport peuvent avoir du mal à se dire “ok, c’est une épreuve importante, c’est une finale”. Même certains de mes amis avec qui je suis allé à l'Université me demandent parfois si j’ai obtenu tel ou tel résultat dans un Grand Prix important ou non. Même la finale de la Coupe du monde n’est pas toujours très bien identifiée. J’espère que nos fédérations pourront aider à expliquer davantage ce que sont ces différentes compétitions, expliquer les priorités et lesquelles sont importantes. Donc je pense qu’il est toujours bon d’avoir autant d’opportunités en termes de compétitions, mais qu’il faut aider le grand public à mieux comprendre les différents circuits qui existent.
Avec la création du nouveau circuit de la Fédération équestre internationale (FEI), la Ligue des nations Longines (LLN), plusieurs étapes historiques du circuit se retrouvent désormais livrées à leur propre sort, comme Dublin, désormais associé à Rolex, Hickstead ou encore Falsterbo, trois concours remplis d’histoire et organisés sur de magnifiques pistes en herbe. Craignez-vous que certains de ces rendez-vous puissent disparaître dans le futur ?
Je ne l’espère pas ! J’adore Falsterbo, j’adore Dublin, mon concours préféré de l’année. Je n’ai pas envie de les voir disparaître. Encore une fois, je crois qu’il incombe à nos fédérations et à la FEI de soutenir ces concours. Même s’il est génial que de nouveaux concours voient le jour, ce n’est pas une raison pour que les autres soient laissés pour compte. Il est aussi important de se rendre compte des coûts que subissent les concours organisés une seule fois par an, par rapport à d’autres immenses complexes sportifs qui sont prêts pour les assumer. Ces frais font mal aux petits concours d’une semaine. Même si la Fédération n’aide que sur le plan marketing, ce serait non-négligeable. Si la promotion de ces concours était mieux gérée par la Fédération, peut-être que des sponsors plus importants auraient envie de soutenir et aider ces concours. Cela ne peut pas être la FEI contre les concours. Les événements ont besoin de travailler main dans la main avec les Fédérations afin que tout le monde continue à se développer. Si les concours sont livrés à eux-mêmes, je ne crois pas qu’ils puissent survivre…
Rome, La Baule ou encore Aix-la-Chapelle sont aussi sortis du circuit de la FEI et comptent toujours, voire plus que jamais, parmi les plus beaux événements de l’année sportive. De quoi pourraient s’inspirer Dublin, Hickstead ou Falsterbo pour connaître pareil succès dans les prochaines années ?
L’histoire derrière le CHIO d’Aix-la-Chapelle est incroyable. Ils sont presque à guichets fermés avant même la mise en vente des tickets ! Je pense que cela vient d’année d’expérience dans la promotion et la mise en avant de l’événement. Si le sport reste beau et populaire, les gens ont envie d’assister à ces concours, qui obtiennent par ricochet le soutien et l’aide de sponsors. Il est difficile d’être Aix-la-Chapelle, mais je crois que les concours doivent simplement continuer à se serrer les coudes et à se soutenir entre eux. Si le sport grandit, cela bénéficiera à tout le monde. En Allemagne, même une personne prise au hasard connaît le CHIO d’Aix-la-Chapelle. Tout le monde connaît ce concours. Si Aix-la-Chapelle continue à rencontrer autant de succès, cela ne pourra qu’être bénéfique aux autres concours en Allemagne. Un tel événement permet de sensibiliser les gens au sport. Mais au-delà de cela, et du soutien des fédérations, je ne vois pas trop d’autres pistes pour aider les organisateurs.
Photo à la Une : Chloe D. Reid en action sur ses terres, à Live Oak International. © Erin Gilmore
La troisième et dernière partie de cette interview sera publiée prochainement sur Studforlife.com…