Bas Moerings devrait se souvenir longtemps de son mois de juin 2025. Vainqueur du Grand Prix du CSI 3* d’Eindhoven le 1er puis cinquième de celui du CSIO 5* de Rotterdam le 22 avec Ipsthar, troisième du Grand Prix 3* de Lichtenvoorde avec Kivinia le 15, auteur d’une bonne Coupe des nations (0+4) à Budapest le 27 puis sixième du Grand Prix 3* associé deux jours plus tard, le Néerlandais a aussi suivi de près la deuxième place de Lillie Keenan et Fasther, son ancien complice et produit de l’élevage familial, le 21 à l’occasion du Longines Paris Eiffel Jumping. À un peu plus d’un mois de son vingt-sixième anniversaire, le Néerlandais poursuit son évolution avec intelligence et maturité. Partagé entre le grand sport, la formation de la relève et l’élevage, un domaine qui le passionne aussi, celui qui fut sacré champion Jeune cavalier des Pays-Bas en 2020 revient, entre autres sujets, sur ses derniers jours remplis de réussite, son piquet de chevaux, mais aussi sa philosophie et son fonctionnement, particulièrement autonome et quelque peu détonnant. Second volet.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Vous avez connu beaucoup de succès durant vos années Jeunes cavaliers, avec un titre national ainsi qu’une médaille d’or collective aux championnats d’Europe. Comment avez-vous vécu la transition vers les Séniors ?
Beaucoup de succès est un peu exagéré, je crois. À cette période, j’ai eu la chance d’avoir Fasther, qui avait six ans lors de ma dernière année de Junior. Il a sauté ses premiers parcours à 1,40m à sept ans. Il a toujours naturellement eu un immense talent. J’avais aussi Fosther (Vigo d’Arsouilles x Cardento), un grand gris que nous avons vendu à Cian O’Connor et Nicole Walker (et qui a été renommé Cadiz, ndlr). Il m’a accompagné lors de trois championnats, lorsqu’il avait sept, huit et neuf ans. Et, à chaque fois ou presque, il m’a offert une médaille. Il a été un super cheval pour ma carrière en Jeunes cavaliers, puis pour ma première saison en Séniors. Il avait tous les moyens. Nous avons vendu Fasther à huit ans, mais je pouvais aussi compter sur des chevaux comme Hardesther (Kannan x Cardento), que monte aujourd’hui Claudia Moore, ou Hervesther (Elvis Ter Putte x Guidam), qu’a monté l’Italienne Camilla Bosio. Je n’ai jamais manqué de chevaux dans ma carrière, et cela fait une grande différence. Cela a rendu le passage du cap des Séniors beaucoup plus simple. Mais j’ai toujours fait avec les chevaux que j’avais aux écuries. Je n’aurais pas pu sauter les épreuves Jeunes cavaliers avec un six ans. Et il en va de même aujourd’hui. Si je n’avais pas Ipsthar et Kivinia, je monterais simplement les jeunes, au niveau qui leur convient : 1,30m pour les six ans, 1,35 voire 1,40m pour les sept ans, et quelques Grands Prix 2* pour les huit ans qui sont prêts à le faire. Je n’essaye pas d’accéder au niveau 5* juste pour y être : je m’adapte au niveau qui convient à mes chevaux, tout en essayant de les faire progresser. Si on grille les étapes, on ne fait que s’attirer des problèmes. Personne n’en tire profit.
Selon vous, quelles sont vos principales qualités en tant que cavalier et qu’aimeriez-vous améliorer dans votre équitation ?
Ces deux dernières années, j’ai tout fait pour améliorer mon travail en dressage, en renforçant mes bases, notamment avec Ipsthar. C’est aussi la raison pour laquelle je me suis rapproché de Johan Rockx, le père de Thalia Rockx, une très bonne jeune cavalière de dressage. Willem Greve m’a aussi dispensé beaucoup de leçons sur ce point. Concernant mes qualités, je pense que j’ai un bon œil en piste. Je ne panique jamais. Parfois, je dois improviser, mais je le fais dans le calme. Je ne suis pas quelqu’un de nerveux. Le fait que je sois détendu mentalement rend les choses plus faciles. Je dois simplement veiller au fait de ne pas trop me reposer sur l’improvisation.
Comment fonctionne votre système aux écuries ? Vous travaillez énormément en famille. D’autres personnes travaillent-elles à vos côtés ? Comment trouvez-vous le bon équilibre entre l’élevage, les jeunes chevaux, le commerce et le haut niveau ?
Mes parents ont cinquante-neuf et soixante ans. Il y a eu pas mal de changement ces dernières années et ils ont levé le pied, ce que je comprends totalement. C’est bien pour eux. Globalement, nous avons une écurie avec entre vingt et vingt-quatre chevaux, que nous gérons à quatre, ma sœur, mes parents et moi. Mon père s’occupe beaucoup des jeunes chevaux et les monte pour le plaisir, tandis que je me concentre un peu plus sur le haut niveau. Il gère aussi beaucoup de choses sur l’aspect agricole. Ma mère a quelques chevaux de dressage et monte aussi certains des miens. Ma sœur monte aussi par plaisir, notamment les quatre et cinq ans. J’ai aussi la chance de pouvoir compter sur de très bons amis, notamment Brian et Rebecca Hellemons et Katinka van Nieuwenhuyzen, qui m’aident dans le travail de mes chevaux. Ils ont des emplois en dehors de l’univers équestre, mais sont de très bons cavaliers. Brian a, par exemple, évolué quatre ans au sein des écuries de Leon Kuypers, un bon entraîneur de jeunes chevaux dans notre région. Mes amis ont une vie classique, mais adore monter. Alors, je leur confie certains de mes quatre et cinq ans, qu’ils forment très bien. Rebecca a par exemple monté Kwik Tweet, une jument qui a sauté jusqu’à 1,55m avec Olivier Philippaerts à neuf ans, à quatre et cinq ans. L’aide de mes amis m’épargne une vraie charge de travail et me libère beaucoup de temps. Et le fait de monter à cheval leur apporte beaucoup de bonheur, ce qui est une situation idéale pour nous tous, puisque je n’ai pas vraiment d’employé pour l’instant. Mais cela devra changer dans les années à venir. Ma sœur exerce aussi un métier sans lien avec les chevaux, mais lorsqu’elle a le temps, elle est ma groom pour les concours les plus importants. Elle est très douée pour cela et connaît beaucoup d’autres grooms. Elle adore faire cela, et elle me connaît très bien. Elle sait que j’aime faire les choses le plus simplement et naturellement possible avec mes chevaux. Elle me rend la vie beaucoup plus facile.
Lorsque votre sœur ne peut pas vous accompagner en compétition, avez-vous un ou une autre groom ou vous occupez-vous de tous les soins de vos chevaux vous-même ?
J’essaye de tout faire moi-même. Le week-end dernier, j’étais à Budapest, avec l’équipe néerlandaise, composée de Mel Thijssen, Gert Jan Bruggink, Jur Vrieling et Roel Holthuizen. La groom de Mel, Victoria Marsico, m’a beaucoup aidé au paddock et avec les soins de ma jument. Mais c’est un peu la mentalité néerlandaise : nous nous entraidons beaucoup et cela simplifie grandement les choses. Nous sommes collègues et amis. À Rotterdam, j’ai embauché une groom pour la première fois de ma vie ! Elle n’avait pas toute l’expérience, mais a fait un super boulot. J’ai essayé de lui transmettre et de lui apprendre certaines choses aussi. Mais le fait est que je n’ai besoin d’un ou d’une groom qu’en concours. À la maison, j’arrive à me débrouiller seul. Alors, il est difficile de trouver quelqu’un… Jusqu’à présent, j’ai toujours réussi à fonctionner de cette façon. Bien sûr, dans le futur, je vais avoir besoin d’une personne qui intégrera mon équipe à long terme, mais, pour l’instant, j’aimerais trouver quelqu’un qui colle à mes besoins actuels.
Êtes-vous impliqué dans l’élevage familial ou est-ce davantage une activité dont s’occupent vos parents ?
Non, je m’investis aussi dans l’élevage, même si mon père gère cette partie à quatre-vingts, voire quatre-vingt-dix pour cent. J’aime beaucoup l’élevage. Nous échangeons beaucoup sur les choix d’étalons avec mon père et prenons les décisions ensemble. J’adore réfléchir à tout cela, apprendre. Je pense que j’ai pas mal de connaissances sur les origines, les lignées maternelles. J’essaye de me renseigner sur différentes souches chaque jour. Et dès que je vois un cheval qui saute bien, je regarde son papier. Cela me passionne.
Même si cela dépend des juments, quels types d’étalons aimez-vous utiliser ?
Évidemment, j’ai à cœur de choisir des étalons qui correspondent à mes juments, ce qui diffère de l’une à l’autre. Mais, d’une manière générale, j’aime les étalons qui ressemblent à Ipsthar, qui ont de la personnalité, quelque chose en plus ! En ce moment, je réfléchis à utiliser Con Quidam RB, l’étalon de Sanne Thijssen. Il ne convient pas à toutes mes juments, d’autant que la plupart ont déjà énormément de sang. Mais je pense qu’il pourrait vraiment convenir à une de mes sept ans, qui est assez calme et posée et dotée de beaucoup de moyens. J’aime essayer de nouveaux croisements et être créatif ! Aujourd’hui, on voit énormément de Chacco Blue, Heartbreaker, Cornet Obolensky (né Windows vh Costersveld, ndlr), mais je n’aime pas vraiment faire comme tout le monde. Évidemment, nous avons aussi utilisé des étalons comme Diamant de Semilly ou Kannan. On ne peut pas renier leurs qualités. Ce sont tous d’excellents étalons, qui produisent de très bons chevaux. Mais j’aime me démarquer avec mes choix de croisements, même si cela ne fonctionne pas toujours. Il arrive que la production de certains étalons ne soit pas aussi bonne qu’espérée, ou que le croisement ne soit pas le bon. Mais en choisissant des étalons qui sortent du lot, on ne s’ennuie pas ; c’est toujours amusant.
Combien de poulains faites-vous naître chaque année en moyenne ?
Cela varie beaucoup. Nous essayons d’avoir entre six et huit naissances par an, ce qui est un nombre idéal pour nous. Mais ces dernières années, nous avons eu tendance à conserver nos chevaux plus longtemps. Avant, nous les vendions entre quatre et huit ans en moyenne. Mais, en ce moment, j’ai trois chevaux qui ont plus de dix ans. Les écuries sont donc pleines plus longtemps, et, avec les poulains qui grandissent, elles ne se vident pas vraiment. Il y a trois ou quatre ans, nous avons eu douze poulains, ce qui est beaucoup trop. Nous avons actuellement trois ou quatre quatre ans au pré, qui ne sont pas encore débourrés. Je dois anticiper et rester vigilant sur le nombre de chevaux que j’aurai dans quelques années. Mais il y a toujours des solutions, et je suis sûr que ça ira.
En dehors des lignées d’Ipsthar et Kivinia, développez-vous d’autres souches ?
Au départ, nous avions plusieurs lignées maternelles. Désormais, nous nous concentrons seulement sur celles d’Esther, dont est notamment issu Ipsthar, et de Kivinia, qui est encore assez nouvelle. C’est celle que j’essaye de développer et de consolider en ce moment, notamment grâce au poulain par Dominator, à Kivinia et à mes deux produits d’Ipsthar. J’ai également un fils de Kivinia et Kasanova de la Pomme. Nous en sommes toujours aux prémices de cette lignée, qui ne sera plus conséquente que dans dix ou quinze ans. Si je tombe sur un bon cheval et qu’une opportunité se présente, je développerai peut-être une nouvelle lignée, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Avez-vous recours aux transferts d’embryons ou à l’ICSI avec vos juments ?
J’ai l’impression que beaucoup de personnes ne sont pas très fan des transferts d’embryons avec les juments de sport, mais je n’ai rien contre cela. Peut-être que cela est lié au fait que la plupart de nos prometteuses jeunes juments portent leur propre poulain à trois ou quatre ans, comme Kivinia l’a fait par exemple. Par la suite, les transferts d’embryons ne semblent pas leur poser problème. Tandis que j’entends beaucoup d’histoires de juments qui, après un premier transfert à sept, huit ou neuf ans, apparaissent un peu différentes, même si cela n’est pas forcément synonyme de problème. Le fait qu’elles aient déjà pouliné changent peut-être les choses pour elles par la suite. Mais je ne suis pas vétérinaire et je ne sais pas si cela est scientifiquement vérifié. Nous avons donc recours au transfert d’embryon, notamment avec de bonnes juments dont nous voulons avoir deux ou trois poulains par an plutôt qu’un seul, mais nous n’en abusons pas, pour ne pas avoir trop de naissances chaque année ! D’autant que nous avons de très intéressantes juments de trois et quatre ans en ce moment. Si je fais trop de transferts, je vais me retrouver avec quinze poulains par génération, ce qui n’est pas ma volonté. Nous avons pratiqué l’ICSI quelques fois, notamment avec Ralvesther, la grand-mère d’Ipsthar, que nous avions du mal à remplir. Mais, à titre tout à fait personnel, je ne suis pas un grand fan de cette technique. Je ne suis pas certain de sa pertinence dans le paysage de l’élevage. Je pense que cela va juste tendre à rendre l’élevage de plus cher et plus ennuyant pour beaucoup de monde. Selon moi, l’ICSI est vraiment intéressante pour les très bonnes juments qui ont des problèmes de fertilité. Malheureusement, j’estime que cette technique est utilisée à des fins commerciales dans la plupart des cas… Pour cette raison, et pour le confort des juments, je ne suis pas très friand de cette technique. J’aimerais qu’on parle plus des dérives que cela peut entraîner, et que le recours à l’ICSI soit davantage réglementé, voire seulement autorisé en cas d’impossibilité pour une jument de concevoir un poulain d’une autre façon.
Comment décririez-vous votre philosophie, avec vos chevaux et votre élevage ?
C’est peut-être un peu banal, mais je dirais : naturelle. J’aime aller dans le sens des chevaux. Par exemple, nous avons essayé d’obtenir une descendance de Nunblisther, une jument de sept ans que je monte en compétition. Nous avons essayé trois fois. La première, elle n’a pas pris. Puis nous avons perdu une porteuse, et une autre a perdu son poulain. Nous allons réessayer, mais si nous n’arrivons pas à obtenir de poulain de Nunblisther, c’est juste que cela ne doit pas se faire. C’est ainsi que je vois les choses. Nous voulons réussir, mais pas au détriment de nos chevaux ou de l’avenir. Je ne ferai jamais quoi que ce soit qui aille à leur encontre.
En tant qu’éleveur, propriétaire et cavalier, vous avez une vue globale de tous les aspects du monde équestre. Les éleveurs vous semblent-ils reconnus à leur juste valeur, en particulier au plus haut niveau ?
Oui et non. C’est une question toujours difficile. Je pense qu’il y a éleveur et éleveur. Je m’explique : nous sommes éleveurs, mais je forme mes chevaux moi-même, j’essaye de les emmener à un bon niveau, puis de les mettre sur les meilleurs rails possibles, avec un super cavalier, afin qu’ils aient la plus belle carrière possible et une super vie tout court. Aux Pays-Bas, en Belgique ou en Allemagne, il y a une vraie culture de l’élevage et de la formation des jeunes chevaux, jusqu’à trois ou quatre ans, avant de les vendre. Je pense qu’être éleveur, c’est ça. Mais beaucoup d’éleveurs, et notamment les plus âgés, ne peuvent pas monter eux-mêmes leurs chevaux, ni se permettre de les faire valoriser par quelqu’un d’autre. Et je ne veux pas juger cela, car je sais que ce n’est pas facile. Une nouvelle fois, sans critiquer quiconque, ni porter de jugement, certains éleveurs font saillir une jument, vendent le poulain dès le sevrage et veulent tout de même voir leur nom rattaché à ce poulain pour le reste de sa carrière. Alors, oui, techniquement, ils sont les naisseurs de ce cheval, mais ils n’ont plus vraiment de lien avec lui ensuite, dans toutes les autres étapes de sa vie. Mais, encore une fois, je sais que tout le monde ne peut pas se permettre de faire naître et former un cheval jusqu’à quatre ou cinq ans. Et c’est normal : cela coûte déjà, au bas mot, plus de vingt mille euros…
Enfin, lorsque vous avez du temps libre, si tant est que vous en ayez, qu’aimez-vous faire, en dehors des chevaux ?
J’ai beaucoup de bons amis, avec lesquels je passe du temps. Nous faisons beaucoup de choses ensemble, comme jouer au football par exemple, faire du paddle ou simplement aller en ville. Je ne m'ennuie pas sur mon temps libre. Au contraire, je m’amuse beaucoup ! Il nous arrive aussi d’aller en vacances au ski. Malgré tout, nous n’avons pas énormément de temps libre. Tous mes amis sont aussi dans les chevaux, d’une façon ou d’une autre. En tout cas, il se passe toujours quelque chose et j’ai une super vie.
Photo à la Une : Bas Moerings pense le plus grand bien de la bouillonnante Kivinia, l'une des nombreuses pépites de son élevage familial. © Dirk Caremans / Hippo Foto