Iris de l’Oiseliere, l’éclosion surprise d’une élève modèle (1/2)

Il y a deux ans, imaginer Iris de l’Oiseliere signer trois sans-faute sur quatre lors du championnat de France des chevaux de sept ans, à Fontainebleau, relevait de l’utopie. Très préservée à quatre, cinq et six ans, la grise au nom prédestiné a éclos sous la selle de Marie Fleischel cette saison. Dotée d’une très bonne technique, d’un modèle harmonieux et particulièrement en phase avec sa cavalière, la grise par Padock du Plessis semble presque se balader lorsqu’elle est en piste. Née près du Havre, chez Gabriel Taconet, Iris représente la quatrième génération des produits de Noblesse de Thurin, l’une des meilleures reproductrices à avoir croisé la route de cet ancien kinésithérapeute désormais à la retraite. Portrait d’une élève modèle qui n’a pas encore révélé tout son talent.
“Si l’on m’avait dit, il y a deux ans, qu’Iris de l’Oiseliere serait dix-huitième du championnat de France des chevaux de sept ans, j’aurais signé des deux mains ! Même pour de moins bonnes performances.” Naisseur de la remarquée et remarquable Iris de l’Oiseliere, montée par Marie Fleischel, Gabriel Taconnet était un éleveur heureux au lendemain de la conclusion de la Grande Semaine de l’élevage de saut d’obstacles. Si la fille de Padock du Plessis n’a pas fait aussi bien que son aïeul Hastings vingt-trois ans avant elle, sa performance doit être mise en perspective avec son expérience toute relative. À la fin de l’été 2024, alors âgée de six ans, la belle n’avait effectué que… treize parcours officiels dans sa vie, dont deux à 1,20m. Alors, la voir survoler les trois premiers parcours de la finale des chevaux de sept ans, sur des barres hissées jusqu’à 1,40m, avait de quoi surprendre et forcer l’admiration.
Sur herbe ou sur sable, la jument Selle Français a survolé les trois premiers parcours du championnat de France des sept ans, début septembre, à Fontainebleau. © Mélina Massias
Noblesse de Thurin, une fondation solide
Installé aux Trois Pierres, à une trentaine de kilomètres du Havre, “juste à côté du pont de Tancarville”, le discret Gariel Taconet n’en est pas à son coup d’essai en matière d’élevage. Le fringant septuagénaire fait naître des chevaux depuis le milieu des années 70. Une passion qui lui colle à la peau depuis aussi loin qu’il se souvienne. “Depuis gamin, j’élève tout un tas de bestioles : pigeons, lapins, poules, moutons, puis chevaux. Cela m’a toujours passionné”, débute-t-il. “Je tenais cela de mon père. Il était courtier maritime, mais éleveur dans l’âme. Il avait une petite ferme, où un métayer élevait des animaux pour lui.” En passant devant un herbage, Gabriel Taconet, kinésithérapeute durant quarante ans et désormais retraité, tombe sur une jument qui lui plait… et l’achète ! Débute alors son aventure d’éleveur de chevaux. “J’ai commencé à faire naître des chevaux autour de 1973, 1974, avec des poulinières sans prétention, qui n’avaient que des demi-papiers. En avançant, avec, cette fois, un peu plus de possibilités, j’ai acheté une jument avec des papiers”, poursuit le Normand.
De fil en aiguilles, ses aventures diverses et variées le mènent sur la route de Noblesse de Thurin (Quastor x Galopin VI), toute bonne jument née chez Jean Pottier et dont la quatrième mère n’est autre que Son Altesse, mère de Magali et à l’origine de pléthore de très bons compétiteurs et reproducteurs. Séduit par son papier, comme son associé d’alors, Gérard Favré, Gabriel traverse la Bretagne, où il fait l’acquisition de cette fille de Quastor. “Noblesse était chez une dame qui la montait en amateur. Elle avait remporté une puissance en sautant environ 1,90m, avec le moniteur d’un centre équestre du coin. Noblesse avait un tempérament de vainqueur. Elle était la cheffe du troupeau, qu’elle soit entourée de cinq ou vingt autres chevaux. Le soir, elle attendait à la barrière et devait toujours rentrer au box la première. Et lorsqu’elle retournait au pré le matin, elle poussait volontiers celles et ceux qui se trouvaient sur son passage. Elle avait beaucoup de caractère”, décrit-il.
Champion de France des sept ans, Hastings, excellent complice de Bruno Rocuet, est un fils de Noblesse de Thurin, quatrième mère de la toute bonne Iris de l'Oiseliere. © Scoopdyga
Entre 1990 et 2000, Noblesse donne huit poulains à Gabriel, qui n’utilise pas encore l’affixe de l’Oiseliere. Naissent d’abord Comte Jeff (Prince Jeff), ISO 130, Elytis (Double Espoir), ISO 124, Garance (Laudanum), ISO 133, puis son propre frère, un certain Hastings, dont Patrice Bourreau est le co-naisseur. Vice-champion de France à quatre ans avec Arnaud Bourdois, l’étalon alezan est sacré champion de France des sept ans en 2002, sous la selle de Bruno Rocuet. Vainqueur d’un nombre incalculable d’épreuves jusqu’à 1,50m, Hastings décroche un excellent ISO 172 en 2006, avant d’achever sa carrière sportive en 2012. “Ce n’est certainement pas le cheval avec lequel j’ai sauté les plus gros parcours, mais certainement celui qui a le plus gagné. Je souhaite à tous les cavaliers de croiser un jour un Hastings dans leur carrière, parce qu’il était l’incarnation du cheval de mes rêves, avec une intelligence de la barre et un cœur énormes”, saluait Bruno Rocuet lors de la disparition de son complice, en août 2021.
“J’avais croisé Padock du Plessis chez Denis Hubert et l’avais bien aimé”, Gabriel Taconet
Après Hastings, Noblesse engendre Ike de l’Oiseliere (Papillon Rouge), ISO 156, classé à 1,45m, Kimeka (Ryon d’Anzex), bonne poulinière pour l’affixe du Val Guerard, Lecco (Quick Star) puis une ultime pouliche : Miss Flight (Oberon du Moulin), ISO 115.
Avec Miss Flight, Gabriel perpétue l’héritage de Noblesse de Thurin. Seule fille de sa défunte matrone à lui avoir donné des poulains, la descendante d’Oberon du Moulin compte dix produits. Côté sport, elle a engendré, entre autres, Akane de l’Oiseliere (Kannan), autrice d’une excellente saison à cinq ans avec neuf sans-faute sur dix sous la selle de Nicolas Moortgat puis championne d’Europe Vétérans par équipe et ISO 136 avec Éric Loin et désormais poulinière, et surtout De l’Oiseliere (Kapitol d’Argonne), ISO 153, gagnant à 1,50m et très compétitif outre-Atlantique aux rênes d’Alexandra Worthington. Jamais testée en compétition, Smanik de l’Oiseliere (Kashmir van’t Schuttershof), première fille de sa mère, met rapidement ses qualités à profit de l’affixe de son naisseur. En 2014, elle met au monde sa quatrième pouliche d’affilée : Ethel de l’Oiseliere, une fille du fabuleux Vigo Cécé, trop tôt disparu mais dont la jeune production n’a, déjà, plus rien à prouver.
Akane de l'Oiseliere a fait le bonheur d'Eric Loin sur le circuit Vétéran, avec un titre de champion d'Europe par équipe à la clef, et a été croisée à Huricane de Champloué cette année. © Sportfot
Très compétitif jusqu'à 1,50m, De l'Oiseliere fait honneur à son nom outre-Atlantique avec Alexandra Worthington. © Sportfot
“Les juments de cette lignée transmettent beaucoup de sang. Oberon du Moulin, le père de Miss, avait déjà beaucoup de sang, tout comme sa mère, Noblesse, qui est restée très jeune et dynamique, même en prenant de l’âge. À vingt-quatre ou vingt-cinq ans, on aurait pu lui en donner dix-huit”, expose Gabriel, qui a été inspiré par plusieurs de ses pairs, dont Patrice Bourreau, Michel Guiot ou encore Denis Hubert. “Ethel n’est pas sortie en concours. Elle était chez mon fils, qui est agriculteur. Poursuivie par des chiens, sa mère a sauté des barbelés mais, elle, est passée à travers… Elle s’est abîmé un postérieur, ce qui n’était pas très commercial. Alors, comme mes poulinières commençaient à prendre de l’âge, elle est restée à la maison et je l’ai fait saillir.” Et de poursuivre : “Je n’étudie pas les pedigrees comme certains, en notant les points positifs et négatifs. Je fonctionne davantage au coup de cœur et en faisant confiance à la connaissance des gens qui m’entourent. En élevage, il n’y a pas de garantie. Cela me fait toujours rire de voir tous ces calculs, toutes ces projections sur ce que l’on peut obtenir de tel ou tel croisement. Si cela fonctionnait vraiment, on mettrait toutes ces informations dans une machine, puis on saurait quel croisement faire, en connaissant le résultat à l’avance. Mais cela serait trop facile de produire un poulain qui va tout gagner simplement en regardant de beaux graphiques ! Vigo Cécé, que j’avais choisi pour Smanik, m’avait beaucoup plu lors d’un concours d’étalon de trois ans, à Saint-Lô. L’équipe de France Etalons m’en avait dit grand bien, et je leur ai fait confiance. Pour ce qui est de Padock du Plessis, le père d’Ethel, je l’avais croisé en allant chez Denis Hubert. Je l’avais bien aimé et avais pris deux saillies cette année-là.”
En 2018, à deux mois d’intervalle presque jour pour jour, deux pouliches de Padock du Plessis pointent le bout de leurs nez aux Trois Pierres : Iris, première représentante d’Ethel, et Isa, une fille de Nyssa de Palme (Oberon du Moulin), issue d’une autre bonne lignée cultivée par Gabriel. Fruit du croisement entre Kannan et une petite-fille de la grande Bourree, Padock du Plessis s’est classé en Grands Prix 5* et a fait les belles heures de l’équipe de France en Coupes des nations sous la selle de Timothée Anciaume. Mais, à l’élevage, sa production n’a pas vraiment connu le même succès. Parmi ses quatre-cent-trente-cinq produits nés en France et âgés de sept ans et plus, treize ont obtenu un ISO supérieur à 140 en saut d’obstacles et un en concours complet, sans qu’aucun ne connaisse un succès similaire au sien sur la scène sportive. Mais, comme toujours en élevage, aucune règle n’est absolue.
Padock du Plessis a transmis sa robe grise à Iris de l'Oiseliere. © Scoopdyga
Une prédisposition innée pour le saut d’obstacles… et de flaques !
Pouliche, Iris se montre “très facile”, comme ses mères, qui n’ont jamais posé de problème à leur naisseur. “Comme tous les autres chevaux de sa souche, Iris sautait toutes les flaques d’eau et autres broussailles qui pouvaient se dresser sur sa route. Et, à chaque fois, elle produisait un saut agréable à voir. On sentait qu’elle avait quelques prédispositions”, se souvient le septuagénaire. “Un jour, Iris a même sauté par-dessus une brouette. Seulement, elle a mal apprécié sa largeur et s'est blessée. Cela lui a laissé une trace à un postérieur, qui, heureusement, ne la gêne pas.”
Conservée à l’élevage jusqu’à ses trois ans, la belle grise au modèle compact prend la route pour la Belgique avant même d’avoir été testée sur les barres en liberté. Gabriel, qui est resté son propriétaire jusqu’au début de son année de six ans, confie sa protégée à Adeline Henricot, alors chargée de la valorisation et la vente des porteurs de l’affixe de l’Oiseliere. “J’ai travaillé avec Monsieur Taconet durant environ huit ans. Il m’amenait ses chevaux à trois ans, puis nous les mettions en route et avions pour objectif de les vendre. Iris est arrivée chez nous à trois ans et nous l’avons débourrée. Déjà pouliche, lorsque je me rendais au sein de l’élevage de Monsieur Taconet, elle sortait du lot dans son groupe. C’était clair dès le départ”, dépeint la Belge. “J’ai toujours adoré la qualité de galop d’Iris. Elle n’est pas spécialement grande, mais galope comme si elle l’était. Dès son arrivée, tout a été facile avec elle. Elle a toujours tout bien fait, et je n’ai pas grand-chose à lui reprocher. Elle était simple à monter, toujours sans-faute ou presque ! À cinq ans, son plus mauvais parcours à dû être pénalisé de quatre points.”
L'amazone prend son temps avec la grise, qui dispute sous sa selle sept parcours officiels en Belgique, jusqu’à 1,10m, entre 2022 et 2023. “Iris est très moderne dans son modèle. Elle correspond au type de chevaux que l’on recherche actuellement : pas trop grand, réactif. Elle est respectueuse, a un super mental et est toujours motivée. Elle n’a pas froid aux yeux ! Au quotidien, s’occuper d’elle était un bonheur”, poursuit son ancienne cavalière. Consciente des qualités de sa partenaire d’un temps, qui sautait “bien et assez fort”, Aline ne lui aurait toutefois pas prédit une telle fin de saison de sept ans ! “Même s’il est toujours difficile de juger un cheval de quatre ou cinq ans, à l’époque, je ne trouvais pas qu’elle avait énormément de force et je n’étais pas certaine qu’elle ait tout pour sauter de grosses épreuves. En selle, je n’avais pas le sentiment qu’elle avait tous les moyens pour cela. Finalement, ses résultats cette année sont une belle surprise !”
À la fin de l’hiver de ses cinq à six ans, Iris tape pourtant dans l'œil du marchand belge Steve Tinti, qui en fait l’acquisition dans le but de la présenter lors d’une vente aux enchères prévue à l’été. Confiée au Brésilien Roberto Mendonça Dias, la petite-fille de Vigo Cécé fait ses débuts internationaux et gagne en expérience en sautant ses premiers parcours à 1,20m. Dans le même temps, Marie Fleischel se met en quête d’une jeune pépite à façonner, en partenariat avec des investisseurs rencontrés lors de son séjour de dix-huit mois en République démocratique du Congo.
Iris de l'Oiseliere, en toute simplicité et décontraction après son deuxième parcours du championnat de France des sept ans à Fontainebleau. © Mélina Massias
La seconde partie de cet article sera disponible dimanche sur Studforlife.com…
Photo à la Une : À Fontainebleau, Iris de l'Oiseliere et Marie Fleischel ont signé trois parcours parfaits, réalisés avec grande facilité, y compris dans la difficile première manche de la finale. © Mélina Massias