Talentueuse, déterminée et les pieds sur terre, Chloe D. Reid incarne la nouvelle garde américaine. Devenue la plus jeune athlète américaine à être sélectionnée pour représenter son pays en 2012 sur la scène internationale, puis membre de son escouade nationale sur les prestigieuses pistes d’Aix-la-Chapelle, Rome, Falsterbo ou encore Barcelone, la jeune femme, qui a réussi à mener à bien une brillante carrière scolaire en parallèle de ses ambitions équestres, entend bien poursuivre sur cette voie. Grâce notamment à Crossover 4, qu’elle monte depuis cinq ans, la native de Washington DC espère atteindre ses objectifs. À l’écoute de ses montures, qu’elle aime découvrir dès leur plus jeune âge et avec lesquelles elle souhaite avant tout former un couple, Chloe D. Reid a toutes les cartes en main pour briller dans les mois et années à venir. La tête bien faite, celle qui est diplômée de l’Université de Miami est également la co-organisatrice, aux côtés de son oncle, Chester Weber, grand champion d’attelage, du magnifique concours de Live Oak International, à Ocala, au sein des installations de sa grand-mère. Dans cette interview en trois parties, l’Américaine de vingt-sept ans retrace son parcours, la naissance de sa passion dévorante, évoque son piquet de chevaux, sa philosophie, mais aussi l’avenir des événements de tradition, menacés par les séries de compétitions organisées par d’immenses complexes sportifs.
Les deux premières parties de cet entretien sont à (re)lire ici et ici.
Vous êtes à la fois cavalière de haut niveau, habituée à côtoyer les plus beaux événements de la planète équestre, et organisatrice de concours. À quel point cette double casquette vous aide-t-elle à proposer le meilleur aux compétiteurs qui viennent à Live Oak International ?
J’apprends beaucoup à travers le rôle d’organisatrice de concours. J’en sais plus sur le règlement de la FEI que je n’aurais jamais cru en savoir ! (rires) Chester et moi avons la chance de voyager tout l’été chaque année sur de super événements. Je suis toujours en train de prendre des photos des choses les plus bizarres qui soient. Par exemple, je remarque lorsque les toilettes ou les petits-déjeuners des grooms sont biens. Tout y passe. J’envoie ensuite les photos à notre équipe et je leur demande si nous pouvons faire la même chose. C’est génial de voyager, observer d’autres choses et pouvoir les répliquer chez nous afin d’essayer de rendre notre concours le meilleur possible. Être cavalier permet d’être plus conscient de certaines choses. Nous avons trois épreuves à la suite le vendredi à Live Oak International. Je sais que le dernier cavalier de la première épreuve ne peut pas être le premier de la suivante, parce que son ou sa groom n’aura pas assez de temps pour retourner aux écuries, s’occuper du premier cheval et préparer le deuxième. En tant que cavalière, j’essaye de rendre la vie plus facile à mes homologues et leur permettre de vivre une bonne compétition. Beaucoup de gens nous demandent pourquoi les écuries sont si éloignées de la piste de concours et pourquoi on ne les rapproche pas. Nous avons des soirées tous les soirs près de la piste et dans l’espace VIP. Il y a donc beaucoup de bruit, et nous avons même des groupes de musique qui viennent jouer sur place. On ne veut pas que les chevaux aient à subir ce bruit toute la nuit, donc, oui, les écuries sont un peu plus loin, pour le confort des chevaux. Je pense que pratiquer ce sport me donne un avantage. Rien que pour les dotations : je sais plus ou moins dans quelle tranche de prix nous devons nous situer pour être suffisamment compétitifs, et aussi combien les autres événements facturent les cavaliers. Cela me donne une tête d’avance, puisque j’ai mes propres factures de concours à disposition !
Live Oak International a organisé sa dernière étape Coupe du monde cette année, la FEI ayant choisi de confier les prochaines échéances au gigantesque World Equestrian Center (WEC). Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
J’ai appris cette décision le jour de mon anniversaire, ce qui était un peu triste… C’est décevant car je sais que notre équipe travaille extrêmement dur pour proposer un bon événement chaque année. Nous avons eu un rendez-vous avec les organisateurs des différentes étapes du circuit l’an dernier et Live Oak International a excellé dans tous les domaines. Nous avions le deuxième plus grand nombre de fréquentation du live, le plus de publications dans les médias, etc. Nous faisons clairement du bon travail dans la promotion de notre sport et avons également reçu de nombreux éloges des cavaliers sur place. Cette décision n’est donc pas liée à une mauvaise organisation. Le circuit de la Coupe du monde va continuer à grandir et, malheureusement, nos instances ont préféré la candidature de deux grands complexes sportifs. Nous avons perdu notre étape, tout comme Kentucky, un autre concours annuel. Nous serons remplacés par Traverse City, dans le Michigan, qui organise plein de concours tout l’été, et par le WEC, qui accueille des événements toute l’année. C’est un peu navrant à mes yeux de favoriser ces grosses machines en lieu et place des concours de tradition. Je n’ai pas envie de voir ce genre d’événement disparaître. Je veux qu’ils restent spéciaux ! En tant que cavalière, si je dois aller sur des terrains de concours comme le WEC, le Winter Equestrian Festival de Wellington, à Opglabbeek ou Peelbergen toutes les semaines, je pense que cela serait barbant à la longue.
Quels sont vos objectifs, à moyen et long terme, pour Live Oak International ?
Avec Chester, nous avons initialement créé Live Oak International avant l’ambition de développer les épreuves d’attelage en Amérique. En Europe, cette discipline est déjà bien connue et représentée dans de nombreux concours, mais Live Oak International est le seul concours où l’on trouve à la fois du saut d’obstacles et de l’attelage aux Etats-Unis. Pour Chester, promouvoir l’attelage a toujours été un grand objectif. Nous avons organisé cette année notre troisième édition d’une épreuve jeune réservée aux meneurs. Douze enfants de moins de seize ans sont sélectionnés pour cette épreuve et leurs frais sont pris en charge. Ils concourent chaque jour sur la piste principale, peuvent regarder les épreuves et leurs chevaux sont hébergés dans les mêmes écuries que ceux de Chester, qui compte vingt titres de champion national. Je pense que cela contribue grandement à l’apprentissage de la nouvelle génération. Cela leur apporte également une mise en lumière sur un concours international et leur donne un coup de pouce pour continuer à représenter leur nation dans le futur. Nous avons même reçu une lettre d’une jeune fille qui rêve de faire équipe avec Chester au sein de l’équipe américaine et de le battre un jour. Chester n’était pas trop partant pour se faire battre, mais cela prouve tout l’intérêt de ces épreuves. Je suis heureuse que nous puissions contribuer au développement de l’attelage. Concernant la partie obstacle, j’adore avoir ce concours une fois par an où je peux inviter pendant une semaine tous mes amis et collègues au sein du camp de base de ma famille. Je peux leur montrer tout notre travail et c’est quelque chose de spécial. On passe toujours de bons moments ensemble et j’aimerais continuer sur cette voie. J’espère simplement que notre fédération nationale et la FEI continueront à apporter leur soutien aux concours annuels.
Certains cavaliers concourent parfois plus de cinquante semaines par an. Comment trouver un bon équilibre, notamment d’un point de vue mental ?
Avoir une équipe qui travaille pendant autant de semaines n’est pas chose aisée. Je pense qu’il est important de s’accorder des jours de repos. Par exemple, le lundi est officiellement le jour où je ne monte pas à cheval. C’est important d’avoir des moments à soi, qui nous font nous sentir normal. Il est très facile de se laisser emporter par le sport au point qu’il soit la seule chose à laquelle on pense. Partager des moments avec ma famille est pour moi un très bon exutoire pour me permettre de rester saine d’esprit. Si l’on passe un mauvais week-end, que l’on est contrarié, passer du temps avec ses proches permet de passer à autre chose. Profiter de week-ends loin des terrains de concours permet de se rappeler des autres choses qui se passent dans le monde et qu'un mauvais parcours n’est pas la fin du monde. Mais cela n’est pas toujours facile. Il est aisé de vouloir en faire toujours plus et de vouloir concourir toutes les semaines. Personnellement, je sais que j’ai besoin de moments pour me détendre et de faire des choses qui me rendent heureuse. Je pense que cela me rend meilleure en piste par la suite. Il faut trouver l’équilibre entre la compétition et le fait d’être une personne normale ! (rires)
Les discussions au sujet de la santé mentale sont de plus en plus fréquentes dans la sphère sportive. Avez-vous déjà rencontré des difficultés avec votre santé mentale ?
Ce sport est difficile. On peut gagner un jour et tomber le suivant. On a l’impression d’être au sommet, et puis, soudainement, la vie est nulle. C’est quelque chose de très dur à appréhender. Alors, je crois qu’il est primordial de célébrer les bonnes journées, parce qu’on ne sait pas de quoi demain est fait. Lorsque j’ai une mauvaise journée, ou un mauvais parcours, je me donne une demi-heure après ma sortie de piste pour exprimer mes émotions, pleurer, crier, paniquer, peu importe. Ensuite, il faut passer à autre chose, parce qu’on a peut-être un autre cheval à monter. Il faut se remettre en selle et ce n’est pas juste pour ce cheval si on est encore en colère par rapport parcours précédent. Il faut continuer à avancer. Apprendre et grandir de ses erreurs est important, mais si on ne pense qu’à ça, cela finira par nous limiter dans notre progression.
Dans une interview accordée en fin d’année dernière à WorldofShowjumping, vous exprimiez votre souhait de voir la présence de l’équitation croître dans les médias généralistes. Selon vous, quelles peuvent être les pistes à envisager pour que cela devienne réalité ?
Nous avons déjà évoqué le soutien des fédérations et de la FEI pour aider à promouvoir le sport. Il y a aussi de nombreuses technologies qui émergent et pourraient aider à rendre le sport plus facile à comprendre pour le grand public. Lorsqu’on regarde du ski, il y a des capteurs sur les skies qui permettent de connaître la vitesse instantanée de l’athlète lorsqu’il effectue sa descente de slalom. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir un dispositif fixé sur les cavaliers pour voir notre vitesse entre les obstacles, par exemple ? L’autre jour, ma grand-mère regardait une épreuve dans laquelle j’étais engagée et elle n’avait aucune idée de mon classement final. Il n’y avait pas de tableau d’affichage sur l'écran de télévision… Ce sont des choses simples à mettre en place. Lorsqu’on regarde du golf, il y a plein d’informations dans les coins de l’écran qui indiquent à quel trou en sont les golfeurs, où sont les autres joueurs, des visuels pour expliquer le sport, etc. De l’argent est investi dans la production vidéo.
Lorsque je regarde les Grands Prix de Wellington, je suis sidérée de constater qu’il n’y a qu’une caméra ! Pendant la pause tracteur, la caméra filme un coin de la piste… C’est comme s’il y avait un écran noir, il n’y a aucune ambiance. Certaines fois, on a aucune idée qu’un cavalier a fait un sans-faute. En Europe, il y a de la musique, le public est excité et applaudi, mais ici ce n’est pas toujours le cas. S’il y avait un peu d’entrain derrière les épreuves, cela rendrait le sport beaucoup plus palpitant. Je ne pense pas que des tonnes d’argent soient nécessaires. Il suffit de s’adapter à la technologie. Je pense que cela nous ferait déjà faire un grand bond en avant, notamment pour les gens qui ne connaissent pas l’équitation. Avec cela, je pense aussi que nous serions davantage respectés en tant qu’athlètes. Peut-être même qu’on nous demanderait des autographes à l’aéroport, et que les gens nous suivraient sur les réseaux sociaux. Même si ces personnes ne sont pas familières avec l’équitation, elles permettraient d’apporter davantage de popularité à notre sport, davantage de sponsors et d’argent. Il n’y a aucune raison pour que les grands cavaliers ne soient pas traités et considérés de la même manière que les joueurs de tennis ou de foot. Il n’y a aucune raison pour que nous n’ayons pas les mêmes contrats de sponsoring que les autres athlètes. En plus, notre sport est esthétiquement incroyable ! Poster une vidéo d’un cheval qui saute à deux mètres de haut est incroyablement cool, plus qu’une photo d’un joueur de tennis qui frappe une balle. Nous avons de super choses à montrer, et je ne comprends pas que notre sport ne soit pas plus populaire.
En parallèle des chevaux, avez-vous d’autres passions auxquelles vous aimez vous consacrer durant votre temps libre ?
Live Oak International me prend beaucoup de temps, surtout dans la dernière ligne droite de la préparation ! Mais secrètement, j’adore cela ! J’adore le côté gestion de l’organisation d’événement. Je dis toujours que c’est comme organiser un mariage sur quatre jours où tous mes amis sont invités ! L’autre jour, j'ai dû engager des groupes de musiques et des joueurs de guitares pour les soirées de Live Oak. J’adore toute cette préparation. Je suis très minutieuse et j’aime bien accomplir toutes les tâches inscrites sur ma liste de choses à faire. Sinon, j’ai un petit chien que j’adore et avec lequel je passe beaucoup de temps. D’une manière générale, j’adore les animaux. Je veux passer mon temps libre à leurs côtés et profiter de ma famille. Si je ne monte pas à cheval ou ne travaille pas, je suis avec mes proches, je profite simplement de leur présence et suis reconnaissante du temps qui nous est offert tous ensemble.
Photo à la Une : Depuis sa plus tendre enfance et ses premiers pas à poney, l’amour du cheval n’a pas quitté Chloe D. Reid. © Scoopdyga