Déjà remarqué sur le circuit des trois ans mâles du Selle Français où il est labellisé “Très Prometteur’’, Kentucky du Biolay, en s’imposant dans sa catégorie lors des Masters du Salon des étalons de sport de Saint-Lô, a (re)mis en lumière l’élevage du Biolay. Avec ce fils de Cordial, et d’autres jeunes prometteurs, Bertrand Moissonnier a de quoi marcher sur les traces de son père Albert, naisseur de Galopin du Biolay, vainqueur notamment du Grand Prix 5* de Gijon avec Jessica Kürten, et de Nelson du Biolay, champion d’Europe Jeunes Cavaliers par équipe et en bronze en individuel avec Maëlle Martin, et de son regretté grand-père Raymond, naisseur de Séducteur Biolay, meilleur cheval français de concours complet en 1995 et neuvième aux Jeux olympiques d’Atlanta avec Didier Willefert l’année suivante. Tous ces performers ont grandi à Lent, un joli coin de l’Ain.
Les deux premières parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.
Impliqués dans la filière de père en fils
Si la sélection par la compétition est une exigence chez les Moissonnier, le modèle est aussi un critère essentiel. Mais là, il faut en référer à l’œil du père, car Albert Moissonnier, en plus de son savoir-faire, a acquis une sacrée expertise à travers ses années de juges pour le stud-book du Selle Français. Il vient de quitter cette fonction, en fin d’année 2023, ayant atteint la limite d’âge fixée par le stud-book à quatre-vingt ans. “J’ai commencé à juger quand les concours étaient encore gérés par les Haras Nationaux. On allait juger dans les départements voisins, jamais dans le nôtre, où des juges d’autres départements venaient. Il y avait alors plus de souplesse, car nous établissions un classement avec des grilles, où, pour chaque note attribuée, nous mettions des plus ou des moins. Au rappel, nous pouvions encore faire avancer ou reculer un cheval. Aujourd’hui, avec les grilles de notations rentrées tout de suite en informatique, ce n’est plus possible. Or, il peut arriver de se tromper, surtout dans les premiers chevaux jugés ! Et il ne faut pas oublier qu’un cheval peut toujours vous apporter des surprises !”, souligne-t-il.
Et de reprendre : “Je me souviens que dans les cours de juges, Michel Gaspard nous montrait des photos de Baloubet du Rouet : au modèle on pouvait lui trouver tous les défauts et cela ne l’a pas empêché d’avoir une carrière extraordinaire ! Cela étant, il ne faut pas oublier qu’il a été dans des mains expertes. En jugeant, je pense qu’il faut bien réfléchir à l’utilisation future. On voit beaucoup de chevaux avec des dos longs, pas très esthétiques, et qu’il faudra bien faire travailler pour les muscler. Mais les cavaliers professionnels apprécient ces chevaux, qui s’articulent mieux. Le modèle n’est qu’une partie de la note et il y a des chevaux qui, grâce à leur coup de saut exceptionnel, arrivent à rattraper des notes très moyennes. On a vu des championnats de France où il était préférable de rapidement mettre la couverture sur le dos du gagnant parce qu’il n’était vraiment pas le plus plaisant esthétiquement parlant ! Je pense aussi qu’il faut faire très attention aux aplombs. Il faut bien regarder les chevaux quand ils rentrent, en arrivant droit sur nous, ça permet de voir déjà la moitié des choses. Malheureusement, on est moins sévère aujourd’hui, on descend rarement en dessous de la moyenne. Un cheval panard, ce n’est pas dramatique, avec le travail du maréchal ça se corrige. Mais un cheval cagneux va encaisser plus difficilement les réceptions et aura une moins bonne longévité. Lorsque le Selle Français a décidé de mettre la barre minimum à 16/20 pour agréer les jeunes étalons, j’étais partisan qu’il y ait aussi un minimum de 16 sur le modèle, mais je n’ai pas été suivi. Je remarque aussi que beaucoup de présentateurs ne savent pas présenter au mieux leurs chevaux. La semaine avant un concours, mon père me faisait répéter avec le cheval qui allait être présenté pour qu’il se valorise au mieux.’’
Albert Moissonnier ne cache pas que juger lui a appris à avoir un regard différent sur ses propres chevaux, et à être plus exigeant dans la relève de la jumenterie, un gage de la qualité made in Biolay. Les Moissonnier ont toujours aimé produire des chevaux dans le sang, le grand-père Raymond utilisant beaucoup les Pur-Sang du haras d’Annecy, Kacolet et Pontoux, Albert allant ensuite vers des Pur-Sang du privé, puis comme son fils vers les étalons étrangers. “On a eu une mauvaise période où le haras d’Annecy a été très mal servi en étalon, d’ailleurs les éleveurs n’ont pas gardé de jumenterie issue de ces étalons décevants. Il faut être très vigilant car il y a des étalons qui peuvent être fortement détériorateurs. L’utilisation des étalons étrangers a permis d’amener un sang nouveau et de donner du chic. Le chic, c’est surtout la tête avec un œil vif, le port d’oreille, la sortie d’encolure… ça n’apporte rien sur le côté performance mais c’est plus esthétique et ça correspond à la demande, notamment sur les foals”, détaille-t-il. “Si la clientèle veut avant tout des chevaux qui sautent, à qualité égale un cheval avec du chic se vendra mieux. Néanmoins, s’il est mauvais sur les barres ce n’est pas le look qui le fera vendre ! Il ne faut pas confondre le chic et le sang. Le sang, c’est ce qu’on observe en mouvement. Il y a des chevaux qui ont beaucoup de sang mais ne sont pas chic du tout ! Certains chevaux sont très améliorateurs dans le look. Par exemple, nous avons un Conte Bellini très plaisant, et tous ceux que j’ai vus sont très chics, avec une belle robe…. Je pense qu’il faut être très vigilant sur les souches maternelles, même nous, on doit bien réfléchir aux juments que l’on garde à la reproduction.”
Ce regard d’homme de cheval issu du terroir, l’éleveur le porte sur tout le cycle de production. “Quand on est dans les champs toute la journée avec le tracteur, on peut suivre le comportement des juments et facilement détecter si elles sont en chaleur, c’est plus simple que les passer et repasser à l’échographie, mais aujourd’hui on a des stagiaires qui ne comprennent pas ça !”, glisse-t-il. Et à quatre-vingt-un ans, Albert profite de sa bonne forme physique pour passer encore beaucoup de temps sur l’exploitation apportant un coup de main précieux à son fils, qui ne cache pas que le printemps est une période en flux tendu. “J’ai une seule apprentie pour m’aider, alors entre mars et juin, avec le début des concours, les travaux dans les champs et les poulinages, les journées sont bien chargées ! Cette année, je dois avoir neuf poulinages, six pour moi et trois pour des juments en pension. C’est une prestation que je ne cherche pas à faire mais j’ai eu de la demande et dans la mesure où j’ai de la place, pourquoi pas”, sourit Bertrand Moissonnier.
Et pourtant, toute son activité ne se concentre pas sur le Biolay, car il est aussi président de la Société Hippique de Lent, organisatrice de plusieurs compétitions sur le terrain de la société d’équitation bressane. “Quand mon père, qui en a longtemps été président, a arrêté, je ne me sentais pas de lui succéder. Audrey Revel (à la tête de l’élevage de l’Hallali, qui a produit de nombreux performers, ndlr) qui était vice-présidente, était d’accord pour reprendre la présidence. Malheureusement, elle a eu un gros pépin de santé il y a deux ans et j’ai donc pris la suite”, justifie-t-il. “Nous organisons un concours Amateur-Pro, avec une épreuve à 1,40m où il y a toujours un beau plateau de cavaliers. C’est une petite fierté de pouvoir le faire, qui plus est dans les meilleures conditions possibles ; l’an dernier, la date tombait la semaine suivant le CSI de Bourg en Bresse. Il n’y a qu’une quarantaine d’adhérents, mais tout le monde est très impliqué. Nous organisons aussi un concours SHF, qui, cette année, réunit début avril plus de huit cents engagés avec quatre-vingt-six ans ! Je suis déçu que la SHF nous ait refusé un second concours car avec la disparition des concours sur le Parc du Cheval de Chazey, l’Ain n’est vraiment pas bien loti, alors que nous avons de plus en plus d’écuries de valorisation.” On lui fait confiance pour faire valoir les intérêts des éleveurs locaux qui le méritent bien !
Photo à la Une : Albert et Bertrand Moissonnier dans les prés de l’élevage du Biolay. © Jean-Louis Perrier