“Il faut choisir les bons chevaux, mais surtout croire en eux et ne jamais cesser de le faire”, Wilm Vermeir (2/2)
Dans les allées des concours, Wilm Vermeir n’est sans doute pas le cavalier qui fait le plus de bruit. Pourtant, ses dernières performances parlent pour lui. Grâce à son extraordinaire Iq van het Steentje, élevé par son père puis formé par son frère, le sympathique Diable Rouge, aussi discret dans la vie que dans ses aides lorsqu’il monte à cheval, a enflammé Malines il y a quelques semaines. Sa victoire dans le Grand Prix de la Coupe du monde Longines de Malines, la plus belle de sa carrière, est venue ponctuer une saison plus que réussie, entre classements dans les temps forts individuels de Saint-Gall, Varsovie et Grimaud, et performances en Coupes des nations, à Falsterbo, Deauville, Aix-la-Chapelle ou Hickstead. L’année 2023, elle, pourrait être synonyme de grand championnat. Premier en tête ? La finale du circuit indoor, prévue à Omaha, au printemps. Pour cela, le quadragénaire devra marquer une quinzaine de points supplémentaires, dès le week-end prochain, à Amsterdam. Sinon, son regard se tournera sans doute vers Milan et ses championnats d’Europe Longines. L’occasion d’évoquer les objectifs, les réussites ainsi que le parcours de ce pilote discret et talentueux, dans un entretien en deux épisodes.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Vous semblez être quelqu’un de plutôt réservé. De fait, votre parcours de vie n’est pas forcément le plus connu. Pourriez-vous retracer le chemin qui vous a conduit à intégrer l’élite de votre sport ?
J’ai commencé à la ferme, comme on dit en Belgique. Ma première grande expérience a été lors de mon arrivée chez Luc Tilleman (en 2003, ndlr). J’ai travaillé là-bas pendant dix ans. Il y a vingt-deux ans, lorsque je suis arrivé dans ses écuries, il s’agissait de mon deuxième emploi. Auparavant, j’avais travaillé cinq ans dans une structure de commerce. Au départ, je ne devais pas monter Toulon (Heartbreaker x Jokinal de Bornival). Et puis, il y a eu un souci avec l’autre cavalier, alors j’ai pris les rênes, après à peine six mois. Cela a été une sacrée expérience. Toulon a été une super star pour moi. C’était incroyable. Désormais, je suis à mon compte depuis douze ans.
Toulon a énormément compté pour vous. À quel point ?
Oui, c’est certain. Après ma victoire à Malines, nous avons organisé une fête à la maison. Beaucoup de personnes étaient présentes. C’était le vendredi soir. Le samedi, nous avons été rendre visite à Toulon, ma femme, ma fille (Robin, excellente cavalière à poney, ndlr) et moi. Il vit chez Louis Lenaerts, qui n’est plus tout jeune. Il n’a pas pu venir s’amuser avec nous la veille, donc nous avons fait spécialement le déplacement pour voir Toulon. Il a désormais vingt-sept ans et est superbe !
Dans votre carrière, et outre Toulon, vous avez formé plusieurs cracks. Quel est, selon vous, le secret pour réussir à mener un cheval vers le plus haut niveau ?
Il faut déjà choisir les bons chevaux, mais, ensuite, je pense qu’il faut surtout croire en eux et ne jamais cesser de le faire. Beaucoup de gens disent que ci ou que ça ne va pas. Iq est une super star, Toulon aussi, il n’y a pas de doute, mais ils ont aussi des défauts. Donc je pense qu’il faut croire en eux et continuer à les former, tout en restant patient. Cela ne se fait pas en un jour.
Parmi les pépites passées sous votre selle, il y a Gancia de Muze (Malito de Rêve x Nimmerdor), pétillante partenaire de Niels Bruynseels et lauréate de plusieurs Grands Prix 5*, mais aussi First Class van Eeckelghem (Balou du Rouet x Feinschnitt I van de Richter), qui avait notamment pris part aux Jeux olympiques de Rio en 2016 avec Daniel Deusser avant de disparaître prématurément. Quels souvenirs gardez-vous de ces deux montures ?
Gancia était extrêmement intelligente et pétrie de sang. First Class avait tous les moyens du monde et était particulièrement respectueux. Tous deux étaient très, très différents, mais cela montre que tous les cracks ne se ressemblent pas. Ils étaient incomparables tous les deux. C’étaient vraiment deux opposés.
“L’équilibre est très difficile à trouver lorsqu’on pratique le sport à si haut niveau sans mécène”
Comment fonctionne votre système actuel ? Quelle place accordez-vous au commerce, aux jeunes chevaux, au coaching, etc ?
Vendre ses chevaux est l’une des choses les plus difficiles à faire, mais c’est aussi l’une des raisons qui m’ont permis d’arriver aussi loin. Nous n’avons pas vendu Jacqmotte (Toulon x Indoctro), Joyride ni Iq. C’était une super décision, mais je vais devoir de nouveau faire face à ce genre de choix. Je sais que je conserverais un ou plusieurs de mes jeunes chevaux, mais c’est une décision difficile. J’entraîne quelques cavaliers, mais très peu. Nous avons des personnes qui viennent à la maison, mais je ne fais pas beaucoup de coaching. L’équilibre est très difficile à trouver lorsqu’on pratique le sport à si haut niveau sans mécène. J’ai bien sûr des sponsors, comme CWD par exemple, mais contrairement à d’autres, je n’ai pas de propriétaire près à m’acheter des chevaux pour que je n’ai qu’à me concentrer sur le fait de monter à cheval et sur le sport. Ce n’est pas quelque chose dont nous bénéficions. Par conséquent, nous devons faire du commerce et un peu de tout. En revanche, cela nous permet de rencontrer davantage de chevaux et d’avoir plus de chances de tomber sur les bons.
Votre famille semble très importante pour vous. Quel rôle jouent vos proches dans votre carrière ?
Oui, bien sûr. Cette année, ce n’est pas comme en 2022, où j’ai dû partir un mois. Même si je suis revenu à la maison une semaine pendant ce séjour, mes chevaux sont restés un mois à Al Shira. Les gens autour de moi, ma famille, me disent que je leur manque. Alors, je leur dis “je vais rester à la maison et ne pas partir trop loin”, mais ils me répondent “non, non papa, tu dois y aller, c’est toi le cavalier. Tu nous manques, mais nous te soutenons comme des fous”. Ma famille adore mon métier et sont 100% derrière moi.
“En règle générale, je ne vends pas mes poulains”
Vous intéressez-vous à l’élevage ?
Cette année nous avons même cinq juments gestantes, qui attendent un poulain ! Nous faisons un peu d’élevage. Nous adorons cela. Nous avons élevé Iq, et mes beaux-parents ont fait naître Jacqmotte. Nous prélevons également des embryons des jeunes juments prometteuses qui sont dans nos écuries et nous avons toujours Gentiane de la Pomme (Shindler de Muze x Diamant de Semilly), qui a gagné énormément avec moi, ainsi que Garrincha Hedoniste (Quite Capitol x Thunder van de Zuuthoeve), avec laquelle j’ai disputé des Coupes des nations. Ce sont nos deux juments principales pour notre programme d’élevage, une activité que nous apprécions beaucoup (Gentiane a déjà engendré un cheval de dix ans qui évolue à 1,40m, tandis que Garrincha est la génitrice de deux bons produits, vus à 1,50 et 1,55m, ndlr).
On imagine assez facilement que vous n’hésitez pas à utiliser Toulon comme étalon ! D’autres mâles ont-ils également vos faveurs ?
Oui, bien sûr, mais j’ai déjà quelques filles de Toulon (notamment les jeunes Toscane et Toulona, dont la précieuse génétique est utilisée par transferts d’embryons, ndlr). Désormais, il est plus difficile d’utiliser Toulon en direct. Il a vingt-sept ans et n’est plus prélevé. J’ai utilisé Orak d’Hamwyck (Tobago x Toulon) deux fois cette année, et choisi également Kasanova de la Pomme (Bamako de Muze x Malito de Rêve) et Qannando (Kannan x Emerald van’t Ruytershof). Ce dernier a été croisé à une fille de Toulon. Nous l’avons choisi car il est tout l’opposé d’Iq ! Nous avons également une très bonne sept ans, que nous avons inséminée avec Enola Gay of Two Notes (Emerald van’t Ruytershof x Chin Chin), un étalon par Emerald qui fait partie de mon piquet de chevaux.
L’élevage s’appuie de plus en plus sur des techniques de pointe, dont fait partie, par exemple, l’ICSI, l’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde. Les transferts d’embryons, eux, sont devenus monnaie courante. Que pensez-vous de tout cela ? Ne craignez-vous pas que l’élevage perde en diversité et tende vers une uniformité toujours plus grande ?
C’est difficile à dire. Ces techniques sont formidables. Tout le monde a recours aux transferts d’embryons. Parfois, je me dis que j'essaierai bien l’ICSI avec Gentiane, qui vient d’une souche incroyable. Peut-être que j’y aurais recours avec elle, et que je pourrais commercialiser des embryons par la suite. Pour l’instant, je ne sais pas. En règle générale, je ne vends pas mes poulains. Je pourrais évidemment obtenir pas mal d’argent, et ce serait peut-être plus intéressant sur le plan financier. Mais, parmi nos quatre ou cinq poulains, il ne sera pas autant à être du calibre d’Iq. Si j’arrive à produire un autre Iq, ce serait parfait. Mais, si je venais à vendre ce poulain-là, ce serait stupide ! Par conséquent, je les garde tous puis nous avisons lorsqu’ils ont trois ans. À ce moment-là, nous avons une meilleure vision sur leurs qualités.
En dehors des chevaux, appréciez-vous vous adonner à d’autres hobbies ?
Quand je ne suis pas avec les chevaux, j’aime sortir avec Robin ou ma femme. Nous sommes tout le temps ensemble tous les trois lorsque nous avons du temps libre. Nous profitons de bons repas et de choses comme cela. Je n’ai pas vraiment de passe-temps spécial.
Photo à la Une : Dernière caresse de Wilm Vermeir pour Iq van het Steentje avant leur parcours, sur la piste de Palexpo. © Mélina Massias