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“Hello Sanctos est le cheval le plus intelligent que j'aie jamais eu”, Scott Brash (2/2)

Hello Sanctos Scott Brash Caen
Interviews mardi 11 juillet 2023 Rolex Grand Slam

Dix ans, ça se fête ! À l’occasion du mythique CHIO d’Aix-la-Chapelle, les équipes du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles, qui voyait le jour en 2013, ont organisé une rencontre avec quatre de leurs ambassadeurs. Au menu, des échanges constructifs et enrichissants, sur divers sujets, tous aussi intéressants les uns que les autres. Dans cet entretien version géante, Rodrigo Pessoa, Scott Brash, Martin Fuchs et Daniel Deusser se livrent, sans filtre, sur leur vision du sport, leurs incroyables partenaires à quatre jambes et les difficultés rencontrées et surmontées au cours des années.

La première partie de cette interview croisée est à (re)lire ici.

Daniel, avez-vous des routines spécifiques que vous suivez avant d’entrer en piste ?

Daniel Deusser [DD] : Non, je ne pense pas. J’effectue la reconnaissance avant l’épreuve, et je répète le parcours plusieurs fois dans ma tête. Je connais le niveau et l’expérience de mon cheval, quelles lignes j’ai déjà sauté auparavant, ce qui allait et n’allait pas, ce que je pourrais améliorer cette fois, etc. J’essaye simplement de me concentrer sur cela avant d’entrer en piste. On peut faire de son mieux pour amener parfaitement son cheval face à l’obstacle, mais le reste relève de sa qualité de saut. Il y a des phases où tout s’aligne bien, et d’autres où l’on peut avoir une faute, qui peut être malchanceuse. Dans notre sport, il y a plein de facteurs qui entrent en jeu, et cela est très difficile. 

Lorsque cela ne se passe pas bien, je me demande souvent pourquoi il en a été ainsi, qu’est-ce qui aurait pu être mieux fait ? Peut-être que mon cheval n’était pas assez concentré, ou ai-je commis une erreur en tant que cavalier ? Notre détente était-elle suffisamment bonne ? Il y a beaucoup de choses à prendre en considération, mais je pense qu’il est très bénéfique de tout remettre en question. Sans quoi, on ne peut jamais s’améliorer.

D’un autre côté, je pense que si l’on adopte une vision d’ensemble au fil des années, nous tous ici avons connu des moments au sommet, et avons tous des chevaux très différents. Ainsi, j’imagine que le système unique et les idées de chaque cavalier derrière leur façon de faire est bonne pour le sport. Nous ne pouvons que nous concentrer sur les chevaux que nous avons en ce moment et leur faire profiter de l’expérience accumulée, dans l’espoir de performer aussi bien que possible.

Sean Lynch, toujours au plus près de sa chère Killer Queen VDM, comme ici lors de sa victoire dans le Grand Prix Rolex d'Aix-la-Chapelle en 2021. © Sportfot

Scott, si vous deviez recommencer à zéro et vous donner un conseil à vous-même, sachant ce que vous avez accompli, que feriez-vous différemment ?

Scott Brash [SB] : Je me dirais simplement de m’accrocher et de me sentir légitime d’être où je suis. Parfois, lorsqu’on vient pour la première fois à Aix-la-Chapelle en tant que cavalier, on peut connaître une petite perte de confiance, se demander si on devrait vraiment être là, au milieu des meilleurs mondiaux, et être un peu timide sur notre préparation habituelle. Je pense qu’il faut se concentrer sur ce qui nous a mené à être ici à la base ; on est probablement suffisamment doué pour être là, à ce concours. Alors, croyez en vous, et focalisez-vous sur vous et votre cheval. Votre cheval ne sait pas s’il saute pour une médaille d’or, une victoire dans un Grand Prix Rolex. Pour lui ou pour elle, c’est une piste différente, un nouveau lieu, avec une ambiance particulière, des obstacles différents qu’il ou elle va sauter. Vous connaissez votre cheval mieux que personne, alors croyez en cela et tenez-vous à ce que vous connaissez.

Scott Brash a en Hello Jefferson, né Jerenmias van het Hulstenhof, un excellent partenaire. © Mélina Massias



Cette année, le Rolex Grand Slam de saut d’obstacles fête ses dix ans. Pensez-vous être en mesure de réaliser une nouvelle fois le Grand Chelem dans la décennie à venir ?

SB : C’est certainement un rêve, un objectif ! Oui, j’ai déjà remporté le Grand Slam par le passé, mais je meurs toujours d’envie d’essayer de le gagner à nouveau, comme nous tous. Nous sommes toujours à la recherche du prochain cheval capable de s’imposer ici à Aix-la-Chapelle, ou à Bois-le-Duc, Genève ou Spruce Meadows. Je vais continuer à me concentrer là-dessus et à croire que je peux réaliser cela dans les dix prochaines années. Je ne vais pas cesser d’y croire, d’espérer et d’essayer !

Hello Mango, née Keswichtime HV, est peut-être la nouvelle star des écuries Brash. © Mélina Massias

“Nous apprenons chaque jour”, Rodrigo Pessoa

Rodrigo, qui étiez-vous en tant que cavalier il y a dix ans et qui êtes-vous aujourd’hui ?

Rodrigo Pessoa [RP] : Je pense que ce qui est fantastique avec les chevaux et l’équitation, c’est que nous apprenons chaque jour. Chaque nouvelle journée est une leçon, car nous montons des jeunes chevaux, des chevaux différents, et nous vivons de nouvelles expériences à chaque fois parce qu’il s’agit d’un être vivant. Ce métier est vraiment spécial parce qu’il n’est jamais le même. On gagne en expérience en permanence. On peut essayer de reproduire ce qui a fonctionné dans le passé pour nous, mais on cherche toujours ce que l’on peut faire mieux, comment on peut améliorer ses résultats. Je pense qu’en dix ans j’ai vécu tout un tas d’expériences, que j’utilise aujourd’hui, pour mes projets suivants. Ce travail est vraiment gratifiant pour cette raison ; rien n’est jamais pareil.

Rodrigo Pessoa fonde d'immenses espoirs en son crack Major Tom, né Nielsdaka van de Rhamdia Hoeve, et il a de quoi ! © Mélina Massias

Scott, il y a dix ans, vous étiez à deux années du Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles. Pouvez-vous décrire qui vous étiez à ce moment-là, et qui vous êtes aujourd’hui ?

SB : Beaucoup de choses ont changé entre-temps. Je me souviens encore de ma première Coupe des nations ici à Aix-la-Chapelle. Je crois que j’avais concédé vingt-huit points en première manche, avant de revenir et de signer un sans-faute et de voir mon score compter en seconde manche. C’était une expérience un peu mitigée. Dix ans plus tard, j’ai beaucoup appris. J’ai le sentiment d’être un meilleur cavalier, mais je donne toujours tout pour progresser encore plus. J’ai encore tant à apprendre. Je veux sincèrement m’améliorer, avoir une meilleure compréhension de mes chevaux, avec une meilleure connexion avec eux. Et même si je pense que mon expérience jusqu’à maintenant m’a permis d’accomplir cela, je vais continuer d’essayer de progresser.

Martin, même question ?

Martin Fuchs [MF] : Il y a dix ans, j’étais un jeune garçon, qui allait de concours en concours, essayant de gagner la première épreuve, la deuxième, et toutes les suivantes. Évidemment, cela n’a pas toujours fonctionné, mais je dirais qu’aujourd’hui, dix ans plus tard, je suis davantage conscient de ce dont mes chevaux ont besoin et de ce sur quoi je veux travailler avec eux. J’ai de plus grands objectifs que juste un concours en lui-même. Je sais qu’il faut essayer d’avoir une relation spéciale avec chaque cheval, de lui donner la confiance nécessaire dans l’espoir de connaître le succès sur l’un des quatre Majeurs.

Conner 70 est sans doute l'un des meilleurs chevaux qu'a croisé Martin Fuchs dans sa carrière. © Mélina Massias

Quid de vous, il y a dix ans, Daniel ?

DD : Il y a dix ans, j’étais assurément un cavalier inexpérimenté. Ces dix dernières années, j’ai vraiment engrangé de l’expérience et développé mes connaissances. Parfois, je m’interroge. Est-ce vraiment bien d’avoir plus de savoir ? Ne serait-ce pas mieux de rester discret et de monter de la manière la plus simple possible ? Je ne sais pas. En tant que cavalier, je pense que l’on peut être de plus en plus couronné de succès avec l’âge, parce qu’on en sait plus, on comprend davantage les chevaux et on parvient à s’occuper d’eux un peu mieux.



“Plus le moment était important, meilleur Sanctos était”, Scott Brash

Scott, à quel point les personnes travaillant dans l’ombre au sein de votre équipe sont-elles importantes ?

SB : Vous nous voyez ici comme des cavaliers esseulés, mais nous avons tous une importante équipe derrière nous. Il y a les vétérinaires, les maréchaux-ferrants, les ostéopathes, les nutritionnistes, et ce n’est que le collectif pour les chevaux ! Le sport a évolué avec le temps et nous pensons désormais davantage à la santé des cavaliers que par le passé. En fin de compte, il y a deux athlètes dans l’équation. En tant qu’équipe nous nous fixons des objectifs tout au long de l’année, sur lesquels nous nous concentrons. Nous choisissons les Majeurs et établissons notre programme autour d’eux. En 2014, Hello Sanctos (né Sanctos van het Gravenhof, ndlr) était en grande forme lorsqu’il a gagné le CHI de Genève. Après cette victoire, nous avons ciblé le CHIO d’Aix-la-Chapelle en 2015. Un cheval ne peut pas rester au top de sa forme toute l’année. De fait, il faut choisir ses objectifs et essayer d’arriver dans la meilleure condition possible au bon moment. Nous l’avons fait ici à Aix, puis nous avions l’espoir de récidiver à Spruce en 2015. Je pense que Sanctos était le plus en forme de sa vie lorsqu’il a gagné à Spruce Meadows. Il a sauté deux tours là-bas. Lorsqu’il sortait de piste, honnêtement, il n’avait pas une once de transpiration sur lui, même s’il venait d’affronter deux énormes parcours à 1,60m. Je pense que c’est un beau témoignage pour mon équipe et tous ceux qui ont travaillé dur autour de ce but. Je pourrais parler des heures durant de tous les efforts fournis pour chaque cheval, mais ce sont vraiment des individus. Chaque cheval a besoin d’un régime différent, ou d’une façon spécifique pour être en forme. Sanctos, par exemple, était très, très intelligent. On ne pouvait pas le faire tourner en rond tout le temps. À la place, nous allions beaucoup en extérieur, faisions beaucoup de travail avec du dénivelé. Je l’ai également emmené sur les pistes de galop, de sorte à ce qu’il soit au meilleur de sa forme pour Calgary.

Scott Brash et son génie d'Hello Sanctos aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. © Sportfot

Est-ce qu’il y a une chose en particulier qui a fait de Sanctos un tel cheval ? 

SB : C’était sa tête. Il est le cheval le plus intelligent que je n’aie jamais eu. Il avait tout ce dont on avait besoin chez un cheval de premier rang ; les moyens, le respect, la vitesse. Mais je pense que sa plus grande qualité était son intelligence. Il savait toujours lorsqu’il s’agissait d’une grande occasion. Lorsqu’on entrait en piste, il grandissait, donnait toute son âme. Lorsqu’il a pris un peu d’âge, plus le moment était important, meilleur il était. Je crois que tout a commencé lors des Jeux olympiques de Londres en 2012. Je pense qu’il n’y aura jamais autant de spectateurs que lors de ces Jeux. Le premier jour, j’ai senti les battements de son cœur et je me suis dit que ce serait tout ou rien cette semaine-là. Sanctos appréhendait un peu le fait d’être là-bas, mais le dernier jour, c’était comme s’il avait pris une nouvelle dimension. Depuis ce moment, à chaque grand concours, plus la foule faisait du bruit, plus il y avait de personnes qui le regardaient, meilleur il était. Je pense que c’est ce qui le rendait si spécial.

“Un cheval très fort qui comprend le sport a pour sûr un avantage sur les autres”, Daniel Deusser

Une dernière question pour vous tous : quel type de cheval est le plus à même de remporter un Majeur, d’autant plus dans une immense piste comme celle d’Aix-la-Chapelle ?

RP : Comme nous l’avons déjà évoqué, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, sur herbe ou sur sables, les chevaux doivent être polyvalents et dotés d’un éventail de qualités. Ils doivent être respectueux et rapides, avoir une grande foulée que l’on peut raccourcir, être en forme et bien préparés. Toutefois, le plus important reste la mentalité du cheval. Ils doivent être 100% impliqués et ne pas appréhender ni être intimidé par quoi que ce soit. Il faut qu’ils veuillent aller à la guerre. Dans l’ensemble, ils ont besoin de ces qualités. Certains ont plus ou moins de telle ou telle chose, mais en gros il y a un minimum nécessaire de qualité, de respect, d’agilité et de souplesse. La constitution athlétique des chevaux est vraiment incroyable, mais ce sont les chevaux qui ont la meilleure combinaison de points forts qui gagnent.

Rodrigo Pessoa et Baloubet du Rouet. © Sportfot



SB : Je suis totalement d’accord. Ce sport est devenu rude. L’époque où un grand cheval, puissant et lent était au sommet toutes les semaines est révolu. Cela n’existe plus. Les chevaux doivent avoir tous ces attributs, de moyens, de respect, d’intelligence, tout en étant rapides, maniables et prêts à travailler avec vous. En tant que cavaliers, nous pouvons améliorer certains aspects. Par exemple, Hello Sanctos n’avait pas tous les moyens du monde lorsqu’il est arrivé dans mes écuries. Ce que l’on peut accomplir avec un cheval au grand cœur, confiant et volontaire est incroyable. Lorsqu’ils se sentent en confiance, les chevaux peuvent finir par sauter des parcours plus importants qu’ils n’en sont réellement capables intrinsèquement. Lorsqu’ils ont toute confiance en nous, on peut obtenir ce petit plus. Prenons l’exemple d’HH Azur Garden’s Horses, la jument de McLain Ward. Elle était une jument plutôt lente. Aujourd’hui, à dix-sept ans, elle a remporté deux des barrages les plus rapides (à Genève et Bois-le-Duc, ndlr). Elle était tellement véloce à Genève en 2022 et à Bois-le-Duc cette année qu’il est difficile de croire qu’elle était en réalité connue pour être assez lente par le passé. En tant que cavaliers, on peut donc apporter quelques éléments, mais nous avons besoin d’un cheval exceptionnel, avant tout doté de ces qualités.

Scott Brash et son bras droit, David Honnet, en sortie de piste à Aix-la-Chapelle en 2022, après un triple sans-faute signé Hello Jefferson. © Mélina Massias

MF : Je crois que beaucoup de chevaux ont les moyens, le respect et la qualité pour remporter un Grand Prix Rolex sur le papier. Mais ce qui différencie les superstars des autres chevaux, c’est leur cœur et leur mentalité. Ils peuvent répéter cela très régulièrement, sans grand changement. J’ai été dans cette situation avec Clooney 51 : j’avais le même mors, les mêmes guêtres, les mêmes éperons, tout pareil, pendant nos quatre dernières années de concours ensemble. Je n’avais pas à m’inquiéter quant au fait qu’il allait être différent d’un jour à l’autre. En général, il sentait lorsqu’il s’agissait d’un Grand Prix Rolex. Je n’avais plus qu’à le monter correctement. Il me donnait tout ce qu’il avait.

Martin Fuchs lors du CHI de Genève, pour son ultime tour de piste avec Clooney 51. © Mélina Massias

DD : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Beaucoup de chevaux peuvent franchir un obstacle massif, ou aller un peu plus vite au barrage. Mais, comme l’ont dit les autres ambassadeurs Rolex, je crois aussi que le mental est vraiment la plus grande caractéristique. Imaginons que l’on parte en fin de barrage, et que le cavalier avant nous est sans-faute. Tous les chevaux ne pourront pas gérer l’ambiance en piste. Tous ne sont pas non plus en mesure de galoper à pleine vitesse vers le premier obstacle. Et ce ne sont pas des choses que l’on peut vraiment leur apprendre. Il est très difficile de faire comprendre à un cheval comment appréhender son stress dans un tel moment ; on peut seulement les aider à se relâcher un peu et à se concentrer sur la tâche à venir. C’est pour cela que je pense que le mental est primordial. Un cheval très fort qui comprend le sport a pour sûr un avantage sur les autres.

Daniel Deusser et son fantastique Scuderia 1918 Tobago avaient excellé à Bois-le-Duc en 2021. © Mélina Massias

Photo à la Une : Scott Brash et Hello Sanctos. © Sportfot