Grooms et reconversion : quel avenir pour ceux qui ont parcouru le monde avec les stars des 5* ?
Si l’avenir du cheval après sa carrière est tout tracé, celui de son groom se heurte à l’incertitude du futur. Difficile d’exercer un métier aussi prenant mentalement que physiquement toute une vie. Charge mentale combinée à fatigue permanente, poussent nombre d’entre eux à opter pour une reconversion, bien avant l’âge de la retraite. Cependant, se réinsérer dans un milieu professionnel n’est pas une mince affaire : le métier de groom est avant tout une passion, qui ne trouve malheureusement pas d’équivalent dans de nombreux domaines. Julie Martijn, Lolita Riotte et Maud Ligouzat, qui ont parcouru le monde auprès de quelques grands noms du jumping mondial témoignent de leur expérience, offrant des perspectives d’avenirs tout aussi large que leur panel de connaissances.
Après trois ans d’études de comptabilité, pendant lesquelles ses week-ends étaient consacrés aux soins de chevaux évoluant jusqu’en CSI 2*, Julie Martijn s’est pleinement lancée dans le métier qu’elle exercera pendant quinze ans. “J’ai travaillé trois ans pour Harrie Smolders, cinq pour Pénélope Leprévost et trois pour Joe Clee”, énumère-t-elle.
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“Je n’ai malheureusement pas écouté mes parents, qui me disaient d’aller à l’école. À l’époque, je voulais être cavalière, mais je n’étais pas assez douée à cheval. J’ai eu l’opportunité de partir au Sunshine Tour pour groomer pendant trois mois”, livre quant à elle Lolita Riotte. Si l’aventure ne devait être qu’une passade, une fois sur place, la jeune femme se découvre une passion. “Je me suis dit que c’était génial”, se souvient-elle. Alors âgée de dix-huit ans, Lolita est propulsée sous le feu des projecteurs des concours 5*, en rejoignant l’équipe de Cassio Rivetti. “De fil en aiguille, j’ai été aux Jeux équestres mondiaux, puis je suis partie travailler pour Lorenzo de Luca. Avec lui, j’ai vécu les championnats d’Europe, avant d’intégrer les écuries de Janika Sprunger. À ses côtés, j’ai été aux Jeux Olympiques : j’étais dans un engrenage”, réalise-t-elle.
Après l’obtention de son monitorat, Maud Ligouzat a arpenté les terrains 5* dès ses dix-neuf ans. “J’avais envie de voir du pays, je n'avais pas trop d’attache”, explique-t-elle. Arrivée chez Philippe Rozier, la bonne fée du crack Rahotep de Toscane, sacré champion olympique à Rio en 2016 avec l’équipe de France, va vivre une aventure “tant sportive qu'humaine” longue de huit années.
Une passion parfois (trop) débordante
Ces trois acharnées de travail ont consacré tout leur temps et leur énergie à parcourir le monde et prendre soin des meilleurs chevaux, mais cela avait un prix. “J’étais très fatiguée. Ce métier est très prenant. Je le faisais plus qu’à fond”, confesse Maud. Si Philippe Rozier devait initialement s’appuyer sur deux grooms, la motivation et le courage de cette dernière ont pris le dessus. “Je voulais apprendre, avoir des collègues, mais aussi aller à tous les concours ! J’ai été seule pendant cinq ans”, souligne-t-elle. En parallèle de ses déplacements, la volontaire groom était aussi chargée de la gestion des écuries. “C’était éreintant”, avoue-t-elle. “La charge mentale était conséquente. Vient s’ajouter à cela l’épuisement physique. J’ai pris ce poste à vingt-trois ans et l’ai quitté à trente-deux. C’est particulier de se rendre compte que ce qu’on a fait pendant des années ne brille plus autant à nos yeux.”
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Lors du confinement, survenu en 2020, en raison de la pandémie de Covid-19, Maud, qui a toujours baigné dans le milieu équestre, sa mère ayant un centre équestre, cherche d’autres alternatives. “Je faisais toujours mon travail correctement, mais plus avec la même envie”, analyse-t-elle. Le retour en concours sera finalement décisif. Malgré une dernière tentative, la flamme ne se rallume pas. “J’ai annoncé fin juillet 2020 à Philippe que j’arrêtais. Cela n’a pas été facile”, poursuit-elle. “Ce métier est passionnant, mais je sentais qu’en continuant, je ne prendrais plus le même plaisir.”
Après cinq années de haut niveau, ce sera au tour de Lolita de lever le pied, en prenant la route de Wellington : "Émotionnellement, je n’étais pas prête à supporter la pression et autant de responsabilités, même si c’était magnifique.” Toujours dans son costume de groom, celle qui a notamment pris soin du crack Bacardi va œuvrer auprès des cavaliers amateurs. “Ce métier est dur ; on ne peut pas le pratiquer toute sa vie”, approuve Julie.
Changer de voie, une équation difficile à résoudre
Un problème se pose alors : vers quelle direction se tourner après avoir exercé le métier de groom ? “Je ne savais pas trop quoi faire. Je me suis rendue dans des bureaux d’intérim, où je n’ai jamais eu de réponse ou de proposition de travail. Quand nous nous présentons, nous ne pouvons que dire que nous avons soigné des chevaux pendant quinze ans : en dehors du monde équestre, le métier de groom n’est pas connu. Personne ne sait ce qu’est être groom”, avoue Julie. Le monde équestre est une sphère bien à part, d’autant plus ce métier. “Il est difficile de revenir dans le monde normal. Lorsqu’on est groom, on est dans une vie particulière. Nous n’avons pas de limite”, souligne-t-elle.
Mais la force de caractère de ces anciennes soigneuses a pris le dessus et toutes trois ont su rebondir. “Pour être transparente, j’ai tapé sur Google ‘métiers qui embauchent’. Il y en a un qui me parlait plus, autour de la santé et de l’éducation de l’enfant. Le travail d’éducateur, que je suis en train d’apprendre, allie santé, pédagogie et le fait de prendre soin de l’autre”, révèle Maud, ravie de la voie qu’elle a choisie et de ses trois premières années d’études. “C’est tellement passionnant !” Un choix peu étonnant, tant son dévouement et sa gentillesse transparaissent dans ses paroles.
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De son côté, Julie a gardé un pied près des chevaux. Grâce à une connaissance, elle découvre European Horse Services, une entreprise de transport aérien de chevaux, sise à Bruges, en Belgique. Un mois après l’envoi d’un mail, Julie y pose ses valises, en tant que chef d’écuries. “J’aime apprendre plein de choses. Maintenant, je fais le planning des camions, m’occupe des papiers pour l’export et formalités douanières, des factures, de la comptabilité, du transport de semences, etc. Parfois je conduis encore le camion jusqu’à l’aéroport, et, s’il y a une vraie nécessité, je prends l’avion avec les chevaux”, décrit-elle. Même si elle n’est pas dépaysée de son univers passion, Julie sait apprécier sa reconversion. “J’aime ma vie. Je travaille de 9 heures à midi, puis de 13 heures à 17h30. Surtout, toutes les heures supplémentaires sont payées !”, s’amuse-t-elle. Sa polyvalence trouve à s’épanouir dans l’entreprise, grâce à une expérience conséquente et de larges connaissances.
Après avoir posé ses valises à Wellington, Lolita rencontre Alicia Heiniger, une entrepreneuse genevoise. “Alicia cherchait à développer Jumpfax (une application et base de données au service des cavaliers, qui a fermé ses portes en 2021, ndlr) aux Etats-Unis. Elle m’a débauchée pour venir travailler à Genève avec elle. Une superbe opportunité que j’ai saisie à mes vingt-cinq ans avec plaisir.” La jeune femme rejoint l’entreprise en navigant toutes les trois semaines entre l’Europe et les Etats-Unis. “La transition s’est faite progressivement et en douceur. J’avais toujours un pied dans le milieu du cheval, mais j’étais passée de l’autre côté”, développe-t-elle. “De fil en aiguille, je me suis passionnée pour la communication et le marketing digital. J’ai même repris mes études, en suivant une formation de cinq mois dans ce domaine. Je n’étais pas scolaire, mais je sentais que j’étais bloquée et que cela me permettrait d’évoluer”, souligne l’intéressée avec sa bonne humeur communicative. Désormais Lolita assure l’aspect communication d’Equestrio, une fondation qui soutient des projets dans les domaines de l’environnement et la protection animale, toujours aux côtés d’Alicia Heiniger. Du ramassage de plastiques au nettoyage des océans en passant au reboisage des forêts, les projets sont multiples.
“Nous sommes capables de plein de choses”, Maud Ligouzat
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Même si Lolita, Julie et Maud s'épanouissent dans leur nouvelle vie, impossible d’ignorer les difficultés liées à ce changement de direction. “Nous ne pouvons pas retrouver un métier passion. Il faut en trouver de nouvelles et être heureux. En tant que groom, nous vivons la vie de quelqu’un d’autre. C’est comme une drogue : cela nous procure quelque chose et nous pousse à continuer. Une fois ce chapitre clos, il faut réapprendre à vivre. La vie d’une personne normale n’est pas fade. Au contraire, elle est super belle, mais le choc est difficile”, souligne Lolita. Pour autant, les soigneurs disposent de nombreuses compétences, qu’ils peuvent mettre au service d’un emploi plus classique. “L’organisation, la communication, le suivi de protocoles de soins par exemple, sont autant de choses que nous maîtrisons. Nous développons une très bonne capacité d’observation et d’adaptation, deux qualités primordiales dans le milieu professionnel”, ajoute Maud.
Pour Julie, “ne pas avoir la même connexion avec les chevaux” est sans doute le seul point négatif de sa nouvelle vie. “Après avoir été groom, nous n’avons pas envie de couper les ponts avec ce monde. Les chevaux restent une passion. De temps en temps, nous avons des retours de la part des clients. C’est sympa”, relativise-t-elle. “J’ai appris à apprécier d’autres choses et à les aimer différemment”, confesse de son côté Lolita. Comme les anciennes soigneuses de la regrettée Flora de Mariposa, de la géniale Bonne Chance et du champion olympique Rahotep de Toscane, d’autres grooms ont choisi de changer de voie. La force procurée par leur premier métier, associée à une volonté de fer, leur permet alors d’embrasser avec brio un nouveau destin. “Nous sommes capables de plein de choses”, résume avec justesse Maud. Et Julie d’enchérir : “Tout est possible. Il suffit d’y croire.”
Julie Martijn n'oublie pas de rendre visite à ses anciennes protégées. L'ancienne groom pose ici aux côtés de Dame Blanche et Ratina d'la Rousserie, au haras de Clarbec. © Collection privée
Photo à la Une : Julie Martijn et l'exceptionnelle Flora de Mariposa. © Scoopdyga
Zoé Préel