Notre site web utilise la publicite pour se financer. Soutenez nous en desactivant votre bloqueur de publicite. Merci !

Géraldine Hieronimus, la discrétion au service de l’excellence (3/3)

Interviews jeudi 23 décembre 2021 Lea Tchilinguirian

Dans ce dernier échange, nous abordons le propriétariat dans le milieu équestre, sa place et sa reconnaissance. 

Aujourd’hui, en tant que propriétaire française de chevaux de haut niveau, vous sentez-vous aidée et soutenue par votre fédération ? 

« Le métier de sélectionneur est l’un des plus compliqués, et dans notre sport encore plus. Autant dans le football, un joueur peut dire qu’il a mal avant que ça casse, un cheval non. Les listings partent d’un bon sentiment, comme celui des chevaux espoirs. Encore une fois, c’est une question d’objectivité, nous on pense que notre cheval va passer le cap et qu’il est bon. L’entraîneur et le sélectionneur sont là pour nous dire “oui, ton cheval vaut le coup” ou le contraire. J’admire Sophie Dubourg, elle est à l’écoute ! Quand quelque chose se passe mal, elle essaie d’arranger les choses. Maintenant, je pense que le point important est de pouvoir planifier l’avenir de nos chevaux. Si on peut avoir des retours objectifs de la Fédération sur notre cheval, et on peut en avoir encore plus, ce ne sera que bénéfique ! Nous avons des aides financières par exemple lorsque notre cheval est double sans-faute dans une coupe des nations. Je n’ai pas eu ce résultat mais en effet, des dotations sont distribuées (Les primes FFE promettaient cette saison 4 000€ au propriétaire dont le cheval réalisait un double sans-faute dans une Coupe des nations Longines de division 1, 2 000€ pour un sans-faute + un 4 points ou moins, ndlr). Il faut comprendre deux choses, ces épreuves sont les plus prestigieuses mais pas les plus dotées. Aujourd’hui, il y a des choix à faire : est-ce que vous allez faire un Grand Prix dont la dotation est supérieure à la Coupe des nations où le cheval va faire deux parcours ? L’idée de la FFE est sûrement de valoriser les propriétaires qui préservent les chevaux pour ces épreuves car ce jour-là le cheval aurait pu aller faire un autre concours avec des dotations plus importantes. Je pense que c’est un geste qui montre qu’ils sont attentifs à la considération apportée au propriétaire. » 

Marc Dilasser et Abricot Ennemmelle lors du CSIO 5* de Rome. ©Sportfot.com

Qu’en est-il de la considération des propriétaires dans ce milieu ? 

« Nous avons un manque de reconnaissance globale, surtout au niveau des concours. Certaines fois, nous sommes accueillis de façon à suivre notre cheval de manière correcte avec une tribune, nous pouvons faire des allers-retours au paddock et aux boxes tout en retrouvant une place rapidement. C’est très important, on dépense énormément d’argent pour ces chevaux, le risque financier est sur nos épaules ! Sur d’autres compétitions, c’est une aberration. Il y a des tas de tables sponsorisées et des corners. Ces personnes regardent les épreuves faites grâce à vos chevaux et vous, vous n’avez pas accès aux tribunes, même pas à celles des cavaliers et vous êtes quasiment traités comme des voleurs, c’est juste odieux. Avoir une table VIP est un choix, certains adorent y aller et c’est tout à fait respectable. Elles sont aussi faites pour ceux qui apportent leur soutien financier au concours mais le propriétaire ne peut pas y aller tous les week-end. La plupart du temps, ils sont aussi éleveurs et ont un rêve devant eux : voir leur cheval sur les plus belles pistes. C’est un point sur lequel il faut insister et c’est surtout aux organisateurs de concours de le faire via la FEI sûrement ! »

Vous qui voyagez beaucoup, ces gênes sont-elles ressenties quelle que soit la nation ? Savez-vous si des choses ont été mises en place ?

« Ce que je vois est que ce n’est pas mieux ailleurs. Ce que j’exprime beaucoup l’ont en tête ! En Allemagne par exemple, les organisateurs essaient parfois de faire des efforts mais on ressent tout de même que le cavalier est star. Dans les courses par exemple, les jockeys ont des casaques qui leur permettent d’être reconnus, avec leur équipe et leurs valeurs, et surtout, les propriétaires sont associés aux victoires. Même sur de gros enjeux, nous ne sommes pas cités. Quand vous gagnez le Grand Prix de l’Arc de triomphe, le propriétaire est avec le jockey et l'entraîneur : tout l’écosystème est remercié. Aujourd’hui, on est en train de faire un "star system" autour des cavaliers, associé à leurs chevaux, mais les propriétaires sont rarement mis sur le devant de la scène. Rien que de faire une caresse à votre cheval lors de la remise des prix procure une émotion. Si on ne peut pas profiter de ces moments, on a moins d'affect et on se dit qu’on peut le regarder à la télévision. Je trouve que ça peut être une idée à améliorer sur les compétitions ! Le Jumping Owners Club dont le président est Monsieur Megret a fait une réunion il y a quelques mois, ils ont essayé de faire porter cette valeur : le propriétaire doit être traité comme le cavalier. Nous attendons de voir s'il y aura des avancées du côté de la FEI... » 

Moment de complicité entre Géraldine Hieronimus et Chacconia PS (Chaccoon Blue), séllée par Rémi Neve, cavalier de Marc Dilasser. ©Jessica Rodrigues

Aujourd’hui, la France perd de nombreux cracks vendus à l’étranger et cela crée toute une polémique autour. Comment voyez-vous ça ? 

« Il y a des cycles et justement en France, il y a eu des écuries qui ont fourni des cavaliers avec des chevaux prêts. Aujourd’hui, il faut en construire de nouveaux. Le fait qu’il y ait des chevaux d’âge vendus, ça arrive et continuera d’arriver. Je ne connais absolument pas les origines de la vente de Berlux Z par exemple, mais on voit que Simon Delestre est déjà en train d’avoir d’autres chevaux qu’il est en train de préparer. Je pense que c’est vraiment un renouvellement et qu’il faut simplement donner confiance et une visibilité à tous. Il y a aussi tous ceux qui ont encore six ou sept ans et qui ne se sont pas encore révélés. En France, nous avons des terres d’élevage, on peut réussir à trouver une bonne équipe et surtout, n’oublions pas que dans notre sport il faut une dizaine de chevaux pour faire les grosses échéances par année ! »

Lors de la vente d’un bon cheval, de nombreux commentaires fusent sur les réseaux sociaux en disant que les propriétaires courent après l’argent. Qu’avez-vous à y répondre ? 

« Vendre un cheval pour telle ou telle somme est très personnel, ça dépend de la situation de chacun. Je pense que ces personnes ne se représentent pas ce que coûte une écurie. Avoir un cheval en pension est bien différent d’avoir une écurie entière ! Il faut se dire que le cheval qui fait du haut niveau en 5* c’est vraiment la cérise sur le gâteau. Pour arriver à avoir celui-ci, on a eu des chevaux cassés, des chevaux morts, des chevaux qu’on a achetés très chers et qui finissent au pré car ils ont des blessures inguérissables. Les propriétaires ne font jamais le coup avec un cheval, ça n’existe pas. Par contre, ils ont plusieurs chevaux, et de temps en temps, ils en ont un qui permet d’éponger toutes les dettes qu’ils ont eu les années précédentes. Le système est comme ça ! Après, d’autres sont des marchands ou ont de grosses écuries de commerce, ces gens-là font en effet progresser les chevaux et les vendent mais c’est leur métier. Je pense qu’il faut vraiment enlever ça de la tête des personnes, ce n’est pas de la cupidité mais il faut pouvoir payer les factures de tous ceux qui sont moins bons. Également, avec ces ventes, on peut acheter de jeunes chevaux qui permettront peut-être plus tard à alimenter le système et l’équipe de France. » 

Photo à la une : Jessica Rodrigues