Gérald Mossé, itinéraire d'un enfant gâté. (2/2)
A Hong-Kong, les courses se déroulent soit sur l'hippodrome d'Happy Valley, soit sur celui de Sha Tin. Deux hippodromes, ça vous change de la France.
G. M. : « Soyons clair : ce n'est pas assez. Déjà le fait de courir deux fois par semaine lorsqu'on vient d'Europe et que l'on court tous les jours … c'est un système de vie et un système de course qui est très différent et qu'il est impossible de comparer. Maintenant, j'ai le privilège de pouvoir aller monter dans le monde entier. Si je devais être condamné à devoir rester ici 24h/24, 7j/7 et 365 jours par an, je vous dirais sincèrement que je pense que je ne supporterais pas. On a besoin d'oxygène et lorsqu'on est pilote de haut niveau, on a besoin d'évoluer dans le monde entier. Entendons-nous bien : c'est un privilège que je souhaite à tout le monde. Il est vrai que lorsqu'on peut courir les grandes courses dans le monde entier avec les meilleurs chevaux, ce n'est pas la même chose que devoir monter toute l'année sur deux champs de courses avec des chevaux de seconde zone. Il faut appeler un chat, un chat ! Lorsque vous pouvez aller monter la Melbourne Cup, la Japan Cup, L'Arc de Triomphe, Epsom Derby ou ce genre de course avec les meilleurs chevaux de leur génération… ce n'est pas la même chose que si vous devez courir des classes 5 tout l'année à Hong-Kong. Il n'y a plus de classe 6 ici à Hong-Kong, le plus bas niveau a été ramené aux classes 5. Cela veut dire que le niveau des courses a été amélioré. Il y a de nombreuses classes 1 et il y a beaucoup d'argent dans les grandes courses. Je ne tiens absolument pas à dénigrer la profession, ni les courses à Hong-Kong précisément, car peu importe le pays où vous évoluez, je pense qu'il est préférable d'évoluer dans le monde entier que juste dans le monde des courses asiatiques. »
Sur une année, combien de temps passez-vous dès lors à Hong-Kong ?
G. M. : « Je dirais la majorité de mon temps. En fait, je fais des sauts de puce pour aller courir l'été les plus grosses épreuves lorsque j'ai le privilège qu'on me le demande car je ne peux pas m'imposer. J'essaie donc de faire un peu l'Europe durant l'été et l'Asie durant l'hiver puisqu'il n'y a rien en Europe à cette période et qu'en plus, le climat est très bon ici. Le meeting international durant le mois de décembre qui est l'équivalent du week-end de L'Arc de Triomphe en Europe. Il y a les meilleurs chevaux de l'île qui courrent, ainsi que de nombreux étrangers dont les Américains. » Vous n'avez pas eu peur de vous faire oublier et de ne plus avoir la possibilité d'aller courir les plus belles courses européennes ? G. M. : « Si je n'avais plus du tout été en Europe, je serais parti aux oubliettes. Le fait de partir une partie de l'été et de marquer quelques buts vous garde au contact de la pole position de l'élite et des jockeys. Il faut rester humble par rapport à ma vie à Hong-Kong. Être le king à Hong-Kong, ça ne veut pas dire grand-chose dans le métier des courses. »Qu'aimez-vous dans votre vie ici ?
G. M. : « Il y a beaucoup de choses qui sont très importantes ici à mes yeux. Premièrement, la sécurité. Deuxièmement, la convivialité des gens qui aiment les courses et aiment notre profession. C'est agréable d'être bien considéré et d'avoir un certain standing dans ce que l'on fait. On a un peu ce même statut en Europe mais qui est encore amplifié ici. On est beaucoup plus idolâtré et respecté que dans le reste de la planète. Troisièmement, et pour vous dire la vérité, il y a le côté des taxes. Ici, vous payez 15% de taxes alors que quand vous êtes dans votre pays ou en Europe en général, vous payez entre 50 et 70%. Travailler pour le gouvernement, je pense l'avoir fait durant longtemps et je pense avoir déjà largement contribué. Du coup, en plus de mes divorces quelque peu douloureux, je pense avoir donné au niveau des contributions. Je continue donc de joindre l'utile à l'agréable en continuant de pratiquer ma profession ici. J'aime la nourriture chinoise, le climat est agréable mais cela demande de vivre loin d'une partie de sa famille, même si une autre partie de ma famille vit ici également. Je profite néanmoins de mes retours en France pour la compétition et également voir ma famille. J'ai l'itinéraire d'un enfant gâté et je remercie tous les jours ma famille et les gens de mon entourage qui me donnent la possibilité de faire ce que je fais. C'est un grand privilège. »
Comment aviez-vous accepté la première fois de venir vous installer à Hong-Kong ?
G. M. : « J'étais apprenti en France pour Patrick Biancone lorsque ce dernier a arrêté et est venu s'installer en Asie. Il m'a demandé pour le suivre mais j'ai décliné la proposition car je ne savais pas encore ce qu'il allait représenter ici. Je venais de signer un contrat pour Jean-Luc Lagardère et je ne pouvais pas me permettre de tout plaquer sans savoir où j'allais. L'hiver, je suis donc venu un tout petit peu voir à quoi cela ressemblait mais sans courir. J'ai trouvé ça assez agréable et après une saison ici, Patrick Biancone m'a proposé de venir en me faisant un contrat qui me permettait de venir m'installer dans ce pays dans de bonnes circonstances. Ce qu'il a fait et je l'en remercie encore aujourd'hui car c'est lui qui m'a donné la chance de venir en Asie en me mettant le pied à l'étrier avec le parrainage d'Allan Lee qui était le chairman à Hong-Kong. Propriétaire de chevaux sur l'Asie et en France où je montais déjà pour lui, il a été très important aussi pour moi. Je suis arrivé ici en 1990, juste après ma victoire dans le prix de L'Arc de Triomphe. J'ai fait trois ou quatre saisons pleines pour Patrick Biancone avant de rentrer en France après un petit différent mais j'ai eu à cette époque le privilège de pouvoir signer un contrat de premier jockey pour les service de l'Aga Khan mais même durant la période où je suis rentré durant 9 ans en France, j'ai continué à venir courir en Asie pendant la période creuse en Europe, pour pouvoir continuer à mettre mon nom à un certain niveau ici tout en profitant du climat et des bonnes choses de la vie d'Hong-Kong. »
Vous disiez gentiment que vous étiez idolâtré ici mais les jockeys sont de véritables stars ici. Qu'est-ce que cela implique dans votre vie au quotidien ?
G. M. : « On ne recherche pas réellement cela … mais on le vit bien car il y a beaucoup de respect. Ce n'est pas quelqu'un qui va venir vous taper sur l'épaule en vous disant « tiens à cheval pour demain. » On vous fait un petit signe, on vous demande pour signer, si ça ne dérange pas, sur un billet ou un livre ou une photo car les gens sont assez nombreux ici et aiment réellement ça. Ils viennent vous demander avec beaucoup de délicatesse s'ils peuvent faire une photo avec vous ou signer un autographe. Ça reste très restreint et jamais on ne vous demandera des chevaux pour le lendemain, c'est juste le privilège d'avoir une photo avec vous et vous êtes reconnu par rapport à ce que vous faites. Je trouve que c'est plutôt agréable. »
Vous habitez sur une partie de l'île très nature et assez inattendue pour Hong-Kong ?
G. M. : « Je vis sur la partie de l'île qui me convient le plus. J'aime la nature, j'aime les animaux. J'ai une maison dans le « National Park » qui est une zone naturelle avec très peu d'accès où je peux vivre avec mes animaux. J'ai mon bateau qui est à 5 minutes de la maison, il y a des oiseaux et le soleil est présent quasiment tous les jours sauf un peu cet hiver où nous avons un hiver assez délicat mais je pense que c'est un phénomène mondial donc on ne peut pas se permettre de juger ça.
Néanmoins dans l'ensemble, c'est un privilège de vivre de ce côté-là. Je peux aller au cinéma ou voir des propriétaires en ville car ce n'est pas loin du tout mais, même si la foule ne me dérange pas, j'aime bien vivre retiré dans une zone beaucoup plus relax sans la ville, les buildings et le bruit. Je trouve que l'île d'Hong-Kong en elle-même est très stressante comme toutes les grandes villes. De plus, je suis plus près de mon travail que si j'étais en pleine ville. Le champ de course d'Happy Valley est en ville mais tout se fait pour nous à Sha Tin où se trouve le second champ de course mais également les écuries. C'est là que nous nous entraînons tous les jours. Je suis donc à 10 minutes de mon travail en voiture, ce qui est impossible à Hong-Kong. Je préfère donc ce côté « européen ».
Que peut-on vous souhaiter pour l'avenir ?
G. M. : « Que cela continue encore un peu ainsi. Je dirais que je suis presque arrivé au bout de mon trip en tant que pilote car je trouve qu'on a tous une place pour une période déterminée mais ensuite il est nécessaire de faire la place aux jeunes. Je voudrais néanmoins continuer dans ce que j'aime, les chevaux, le plus possible en ayant la possibilité d'entraîner en Asie. Ce serait le côté idéal à mes yeux car je connais le système, les chevaux, la manière dont les entraîneurs et les propriétaires communiquent ainsi que la façon dont les Chinois pensent au niveau de la culture ce qui est un plus énorme pour moi pour avoir le privilège de continuer ici. Maintenant, si je dois rentrer en Europe, je rentrerai en Europe. Je ne pense pas avoir ma place ici ou là-bas en priorité … même si mon souhait serait ici car c'est ce que j'aime. Le côté asiatique m'a toujours plu que ce soit par la culture, l'autodiscipline des asiatiques me convient bien et j'ai le privilège que tout se passe bien alors je fais durer encore un peu le plaisir en attendant que le jockey club ne me délivre ma licence d'entraineur.»
FIN