Gentillesse, sensibilité et talent : Fancy de Kergane, un cocktail breton gagnant (1/2)
Victor Jégu aime à dire qu’il est “l’un des meilleurs sept ans du monde”. Troisième du championnat de France des cinq ans, puis vice-champion les deux années suivantes, Fancy de Kergane a, en tout cas, tout d’un grand. Si la route vers le haut niveau est encore longue, tout l’entourage du bai s’accorde à dire que le Selle Français est promis à un avenir 5*. Né dans les prairies bretonnes de Louis Menier, qui gère désormais l’affixe de Kergane main dans la main avec Victor Jégu, puis formé successivement par Marine Roque, Jonathan Chabrol et surtout Arthur Le Vot, ce produit pur beurre salé défendra désormais le drapeau irlandais. Séduit par le coup de saut phénoménal, l’aisance et la gentillesse extrême de l’étalon, Cian O’Connor, et surtout Max Wachmann, qui est son nouveau pilote, ont investi. Une bonne opération pour eux, mais moins bonne pour l’élevage français, qui commençait à percevoir la stature de père de Fancy. Retour, en deux volets, sur l'ascension de ce phénomène.
Exceptionnel. À lui seul, l’adjectif pourrait (presque) suffire pour décrire Fancy de Kergane. Son talent, son tempérament, ses moyens et même sa jeune production : chez cet étalon made in Bretagne, tout semble hors norme. Son père avant lui, Berdenn de Kergane (Quaprice Bois Margot, ex Quincy x Flipper d’Elle), alias Casco Bay, parti pour la Grande-Bretagne à l’issue des ventes Fences Elite de 2014, avait prouvé toutes ses qualités. Sous la selle de Laura Kraut, le bai s'apprêtait à embrasser une carrière au plus haut niveau, avant de disparaître subitement à neuf ans, des suites d’une hernie inguinale. Le fils de Quincy ne dénombre, à l’heure actuelle, que treize produits enregistrés au SIRE. Pourtant, la qualité de sa production semble remarquable. Outre Fancy et son propre frère, Fanuatou, Berdenn compte parmi ses descendants Fa Diese Eralfa (mère par Un Ami du Houley), Excellent à quatre ans, Fireskenn de Kergane (mère par Grand Chef Bleus), vu jusqu’en Grand Prix Pro 2 à 1,30m, ou encore Guss de Kergane (mère par Ok du Rozel), finaliste à six ans cette année sous la selle de Laurent Le Vot. Cinq pouliches et poulains, nés en 2019 et 2020 complètent l’héritage laissé par le regretté étalon et compétiteur.
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“Berdenn sautait bien. Il avait beaucoup de sang et un bon style”, se souvient Louis Menier, qui l’avait vendu à deux ans, avant de le voir enflammer l’espace Rozier un an plus tard et être adjugé pour 160.000 €. “En revanche, dans le caractère, il était peut-être un peu moins facile que Fancy.” Comme souvent, le savant éleveur breton ne perd pas de temps et voit juste, en utilisant très rapidement son protégé. Grand bien lui en a pris, puisque son premier produit, Fancy, est en passe de devenir le meilleur représentant de son affixe. “Pour moi, Fancy est ce qu’on a fait de mieux ici”, assure-t-il, après avoir notamment vu passer dans ses prés l’excellente Nangaye de Kergane (Grand Chef Bleus x Type d’Elle), rebaptisée Lady Lindenhof et vue au plus haut niveau avec Luciana Diniz. “S’il n’a pas de pépin physique, je pense qu’il peut atteindre le haut niveau. Dans les moyens, il a tout. Son physique est peut-être la seule chose qui n’est pas extraordinaire chez lui. Ce n’est pas le plus beau des chevaux, mais, pour le reste, il n’y a rien à dire. Je pense qu’il a largement autant de moyens que Berdenn. Surtout, il va moins fatiguer. Fancy ne stresse pas du tout, il est très cool et donne l’impression de tout faire en s’amusant. Berdenn se donnait plus. Parfois Fancy est un peu pendant dans son geste de devant, mais il ne commet jamais de faute tant il a de moyens. Je ne sais pas ce que cela va donner quand les barres vont monter, mais j’imagine qu’il va se ranger davantage.”
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L’aventure de Fancy de Kergane débute au printemps 2014, dans les prairies bretonnes de l’élevage éponyme. “Le croisement ayant mené à Fancy vient d’une histoire un peu bizarre”, sourit Louis Menier, qui partage le crédit de naisseur de l’étalon avec Sandrine Gallou. “J’avais offert une saillie de Berdenn à une apprentie. Elle m’avait alors fait part de son souhait de faire un transfert d’embryon avec Vita, une jument que nous avions fait naître. J’avais déjà fait ce croisement cette année-là, qui a donné Fanuatou, le propre frère de Fancy.”
Berdenn de Kergane, le père de Fancy, lors des ventes Fences Elite 2014.
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Vita de Kergane (Cor de Hus x Gold de Bécourt) a elle-même évolué en compétition, jusqu’à 1,35m, notamment en Grands Prix Top 7, avant de poursuivre sa carrière quelques années sur des épreuves Amateur, puis de se consacrer à l’élevage, à partir de 2020. “Vita avait un bon coup de saut. Elle a suivi le Cycle classique réservé aux chevaux de six ans (sous la selle d’Alexandra Lepage Rantet, ndlr), puis nous l’avons louée quelques temps, avant de la récupérer comme poulinière”, confirme son naisseur et propriétaire, Louis Menier. Initiée dans la Manche, la souche de Vita de Kergane compte, à chaque génération ou presque, de bons performers. Sa troisième mère, Guapa de Banville (Arpège Pierreville x Quabri de Laleu) a ainsi produit le bon Quasi de Kergane (Elan de la Cour), exporté à l’étranger, gagnant à 1,45m et vu jusqu’en Grand Prix et Coupe des nations 3* sous bannière polonaise, ou encore Ultimo de Kergane (Gold de Bécourt), très prometteur et mené jusqu’à la finale du championnat de France des sept ans par Marc Lucas. Les filles de Guapa, dont Acadie de Kergane (Campo Flamingo) et Maeva de Kergane (Gold de Bécourt), régulièrement invitée aux tours d’honneurs d’épreuves à 1,45m en compagnie de la Suissesse Nadine Traber, ont engendré les bons Eothymm de Kergane (Quinoto Bois Margot) pour la première, et Newberry Cleverleaf (Nonstop) pour la seconde. Âgé de huit et neuf ans, tous deux affrontent déjà des parcours à 1,45m. Croisée à Cor de Hus, un étalon oldenbourgeois issu de l’association entre les sangs de Cordalmé Z et l’excellent géniteur Pilot, Shaba de Kergane donnera ainsi naissance à Vita de Kergane.
Vita de Kergane, ici à sept ans, sous la selle d'Alexandra Rantet. © GRANDPRIX.tv.
“À l’époque, lorsque Fancy est né, j’étais encore apprenti à l’élevage. Il a toujours été un grand cheval, avec une super sortie d’encolure, à l’image de ce qu’il est aujourd’hui”, dépeint Victor Jégu, désormais associé au sein de la SCEA de Kergane. “J’ai monté Vita à cinq ans. Elle était vraiment très, très respectueuse, plutôt courageuse, mais n’avait pas toute la force. Dans l’hiver de ses quatre à cinq ans, Fancy pouvait être un peu joueur, notamment lorsqu’il faisait froid. Et il faisait exactement comme sa mère : il ruait. On avait l’impression d’être sur Vita ! Physiquement, ils se ressemblent énormément. Lui est bai, elle est alezane brûlée, mais tous deux ont cette encolure d’étalon et un dos assez long. Vita est un peu plus petite, mais ils ont beaucoup de points communs.”
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Sans faire de bruit, Fancy grandit tranquillement, jusqu’à ses premiers sauts. Dès lors, le bel étalon montre un potentiel certain. “Quand on voit des vidéos de Fancy à trois ans en liberté, il saute comme aujourd’hui !”, s’amuse Victor Jégu. Les deux fils de Vita, Fancy et Fanuatou, se présentent avec brio lors de la qualificative étalon de Lamballe. Résultat ? Un doublé pour l’affixe de Kergane, qui voit ses deux protégés se hisser aux deux premières positions, Fancy en tête avec une moyenne de 15,71/20, dont 16,75 pour le saut, devant son propre frère, crédité d’une note globale de 15,58. La même année, en 2018, Louis Menier présente ses deux mâles aux ventes Fences Elite. “Ils n’ont sélectionné que Fanuatou. Je leur avais d’ailleurs dit que, pour moi, Fancy était meilleur ! Ils recherchaient aussi davantage de chic, ce que n’avait pas Fancy. Physiquement ce n’était pas une gravure”, expliquait alors l’éleveur, auprès de la Société hippique française (SHF), deux ans plus tard.
Fanuatou de Kergane, le propre frère de Fancy, à trois ans.
Des débuts prometteurs et un caractère en or
À quatre ans, Fancy entame sa carrière sportive sous la selle de Marine Roque, qui a également pu apprécier les qualités de sa mère, Vita, et celles de son demi-frère, Cyann (Pezetas du Rouet), dont elle est propriétaire. Appliqué, le grand bai se montre exemplaire en réalisant sept parcours sans faute en Cycle classique, dont un lors de la finale bellifontaine. Pourtant, la révélation n’interviendra qu’un an plus tard. “À quatre ans, on pouvait lui reprocher de sauter un peu moins bien, mais c’est parce que les obstacles étaient petits”, estime Victor Jégu. “Il sautait avec une grande aisance. Quand on regarde Fancy, tout paraît facile. Il répète toujours ses sauts. Je l’avais suivi cette année-là, et je l’avais même essayé pour Monsieur Rocuet, pour qui je travaillais à l’époque. Il ne faisait pas le show : tout était simple.” Et Louis Menier de reprendre : “Lorsqu’il a commencé la compétition à quatre ans, on voyait qu’il s’agissait d’un bon, voire d’un très bon cheval. Mais nous avons réellement commencé à voir quelque chose de différent à partir de son quatrième parcours à cinq ans. À Dinard, sous des trombes d’eau, il a réalisé une véritable démonstration, en sautant comme il le fait toujours aujourd’hui. Avant, ce qu’il montrait était bien, mais pas exceptionnel. Depuis, il a toujours été égal à lui-même. J’ai l’impression qu’il s’est vraiment déclenché à ce moment-là.” Alors aux rênes de Victor Jégu, Fancy va taper dans l'œil d’Arthur Le Vot.
“Nous avions repéré Fancy et, déjà, pas mal de monde s’intéressait à lui. Finalement, en 2020, nous avons acquis une partie du cheval, avec mes beaux-parents, Hervé Carneaux, et mon père, Olivier Le Vot, en copropriété avec l’élevage de Kergane”, se souvient le Breton. “Nous l’avons acheté sans même l’essayer. Je l’avais adoré en le voyant en piste. Nous avons tout de même fait quelques sauts quelques jours plus tard, plus pour rassurer Louis Menier qu’autre chose. Les sensations ont tout de suite été bonnes et elles l’ont toujours été. Fancy n’a jamais été décevant, il a toujours été bon élève et a toujours bien sauté.”
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Si Fancy se démarque par son talent inné sur les barres, notamment marqué par un passage de dos - sans guêtres postérieures - très démonstratif, son caractère le rend d’autant plus hors norme. “Fancy a un coup de saut exceptionnel, mais il est encore plus exceptionnel dans le caractère, et ce à tout point de vue. Dans le travail, ou dans la manipulation, il ne pose jamais de problème”, souligne Louis Menier. “Avant qu’il ne parte de la maison, il y a deux ans, je le transportais même dans un van, avec une jument à côté, alors qu’il avait été prélevé et avait saillie une ou deux juments (rires). Il n’y a eu aucun souci ! Ses qualités mentales dépassent presque son aptitude à l’obstacle ; son caractère le distingue des autres.”
Un point de vue que partage Victor Jégu. “Fancy est très gentil, tout en étant assez sensible. Il veut toujours bien faire, et ce depuis son plus jeune âge. Grégoire Hercelin, qui l’avait monté au testage, avait déjà ce sentiment, d’un cheval froid et voulant faire de son mieux. Malgré ce qu’on peut croire, Fancy reste vraiment sensible. Dès qu’on lui demande quelque chose, il s’exécute immédiatement. À cinq ans, il commençait à être vraiment démonstratif. Dessus, on sent qu’il saute vraiment très bien, mais, quand on regarde la vidéo, il fait cela avec tellement de facilité que ça semble normal. On ne se fait pas décapsuler parce qu’il ne force pas. Il est tellement souple que c’est normal pour lui de sauter aussi haut. Même aujourd’hui, Arthur ne bouge pas, que ce soit à l’abord, au planer ou à la réception. Comme si c’était un cheval lambda, alors que ce n’est pas le cas ! (rires) Il est quand même au-dessus du lot”, assure-t-il. Et Arthur Le Vot d'acquiescer en ce sens : “Fancy a surtout toujours été égal à lui-même. Que ce soit sur un terrain en sable, en herbe, ou en indoor, il est toujours le même. Il a un caractère vraiment facile, rien ne le perturbe. Il reste cependant sensible, mais il ne se laisse pas déborder une fois en piste. Lorsqu’il commence un parcours, il sait ce qui lui reste à faire et devient imperturbable. Il peut parfois se montrer joueur sur les paddocks et s’amuser avec les autres. C’est aussi ce qui fait sa qualité ; ce n’est pas un cheval blasé. Plein de personnes pensent qu’il n’a pas tout le sang, mais, en fait, ils ne se rendent pas compte qu’il est doté de beaucoup de sensibilité. En piste, il est tellement à son affaire qu’il paraît très simple, et presque manquant de sang. Dans le comportement, il est aussi hyper facile. Honnêtement, on n’arrive pas à lui trouver de défauts ! C’est marrant à dire, mais c’est véridique : que ce soit dans le caractère, en main, à la maison ou à s’occuper, on n’a rien à lui reprocher. Il est hyper attachant, en même temps très sensible et adorable. C’est un rêve de s’occuper de lui. Il est d’accord pour tout, ne bouge jamais, se moque des juments, etc. Bref, un vrai bonheur.”
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La seconde partie de ce portrait est disponible ici.
Photo à la Une : Fancy de Kergane et Arthur Le Vot à Dinard cette année. © Mélina Massias