Gamin van’t Naastveldhof, une réussite faite de rencontres décisives (1/3)
L’histoire de Gamin van’t Naastveldhof pourrait grossièrement se résumer à celle d’une étoile montante qui en croise une autre sur sa route. Issu d’un élevage belge peu connu, qui n’a jamais produit un tel cheval, le bai, dont les origines le prédestinaient tout de même à une belle carrière, aurait tout aussi bien pu sombrer dans l’oubli. Mais, pour le plus grand bonheur de toutes les personnes qui ont contribué à l’éclosion de ce doux géant, le destin en a décidé autrement. En un peu plus d’un an, le sBs a connu une ascension fulgurante sous la selle d’Edouard Schmitz, dépeint comme la relève du clan suisse depuis ses jeunes années. Ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Entre leur première victoire en Grand Prix 3* et leur prestation magistrale lors de la finale de la Global Champions League de Prague, les deux complices ont trouvé le temps de triompher au milieu de l’arène de Dublin, arrachant leur plus beau succès face à de redoutables adversaires, stupéfaits par leur prestation. De ses débuts en compétition, sous la selle de Mathieu De Nutte, dentiste à la ville et cavalier passionné, à son acquisition par Arturo Fasana et son arrivée dans les écuries de son pilote genevois, Gamin a mûri, jusqu’à devenir l’un des meilleurs chevaux du monde. Celles et ceux qui ont contribué à son éclosion brossent le portrait de ce phénomène, qui n’a pas fini de faire parler de lui.
Prague, dimanche 20 novembre 2022. Avant le passage du dernier couple, les Valkenswaard United et les Miami Celtics sont à égalité. Un sans-faute et l’équipe entraînée par Helena Stormanns remporte les Play-Offs de la Global Champions League (GCL), ainsi que la dotation qui va avec ; une faute ou plus et le trophée file chez ses adversaires. La pression pèse sur les épaules d’un duo aussi jeune que talentueux : Edouard Schmitz et Gamin van’t Naastveldhof (Tannenhof’s Chacco Chacco x Toulon). “Gamin n’avait pas encore fait un sans-faute du week-end. À chaque fois, nous avions concédé quatre ou huit points, mais l’équipe avait assuré, nous permettant de remonter au classement jusqu’à dimanche. Nous étions l’ultime équipe à entrer en scène et Edouard était le dernier à passer. Tout reposait sur lui, sur son parcours. Je m’en souviens encore : nous regardions l’écran géant avant d’aller en piste et nous savions que nous n’avions pas le droit à l’erreur, c’était le sans-faute ou rien. Edouard caressait l’encolure de Gamin et lui disait ‘tu ne me lâches pas mon grand, tu ne me lâches pas’. Et il n’a pas lâché. Ils ont réussi à arracher le sans-faute, c’était magique. Lorsqu’il doit être là, Gamin est là, il répond présent. Il ne nous a jamais déçu”, décrit Thibault Baudron, qui, au-delà même de son rôle de groom, a participé à l’éclosion du puissant bai au plus haut niveau. Un peu plus de deux ans après son arrivée dans le piquet de chevaux d’Edouard Schmitz, le sBs de onze ans a connu une ascension phénoménale et explosé au grand jour ces derniers mois.
[revivead zoneid=48][/revivead]
Fils de Tannenhof’s Chacco Chacco, Gamin a vu le jour chez Patrick Trienpont, à Lokeren, ville néerlandophone de Belgique sise à quelques mètres de la rue Naastveldhof, d’où son petit élevage tire son affixe. En 2011, cet ancien officier de la gendarmerie, désormais retraité, participe à un concours d’élevage avec l’un de ses étalons, Kalabastro van’t Naasteldhof (Alabastro x Silvio I) et remporte… une saillie de Tannenhof’s Chacco Chacco (Chacco Blue x Stakkato) ! Éleveur amateur depuis déjà plus d’une décennie, le Belge savoure la récompense et en profite pour imaginer un nouveau croisement. “À ce moment-là, nous avions chez nous une poulinière par Silvio I, qui nous a donné deux filles, l’une par Rockefeller van de Zelm et l’autre par Va-Vite. Ma femme, qui étudie la génétique de nos poulinières, m’a dit que nos juments n’étaient pas tellement compatibles avec Chacco Chacco, mais que celle de ma fille, une BWP par Toulon, le serait davantage. Nous avons donc utilisé Feria van’t Schrijberg, qui avait plus de masse et de force”, retrace-t-il. “Feria appartient à ma fille. Elle l’a achetée lorsqu’elle était encore pouliche, puis nous l’avons montée et éduquée nous-mêmes. Lorsqu’elle avait cinq ans, j’ai participé avec elle au concours de Malines. Nous avons alors senti qu’elle était une bonne sauteuse. Sachant cela, nous avons choisi d’utiliser la saillie de Chacco Chacco pour Feria.”
Une souche maternelle confirmée
Avant d’être mise à la reproduction en 2011, pour la seule et unique fois de sa carrière, cette fameuse Feria dispute quelques parcours nationaux, jusqu’à 1,05m, sous la selle de Patrick. Si son expérience en compétition reste limitée - la belle ayant, après avoir donné naissance à Gamin, permis à la fille de Patrick de se faire plaisir et de s’amuser -, Feria jouit d’une souche maternelle particulièrement intéressante. Au premier coup d'œil, celle-ci peut paraître seulement correcte, mais elle renferme en réalité plusieurs excellents performers. Si Benita van’t Schrijberg, gagnante jusqu’en Grands Prix Pro 1 avec son cavalier de toujours, Pierre Antoine Henault, et créditée d’un ISO 142, n’a pas évolué à 1,60m, contrairement à ce que laisse croire la base de données Horsetelex, sa propre soeur, Erythrea van’t Schrijberg, qui présente également la même génétique que Feria, s’est révélée particulièrement intéressante à l’élevage. Formée en France jusqu’à ses huit ans, notamment par Pascale Wittmer et François-Xavier Boudant, la fille de Toulon a fait le bonheur de l’élevage des Brimbelles, géré par la famille Schumacher. Elle est ainsi à l’origine du bondissant Atome (ISO 169, Amadeus), gagnant en Grand Prix 4* aux rênes de Titouan Schumacher et malheureusement gravement blessé à Bourg-en-Bresse en mai dernier, de son propre frère, Azote Brimbelle, qui, à neuf ans, affronte ses premiers Grands Prix 3*, ou bien encore d’Umbrella Brimbelles (Kannan), titulaire d’un ISO 140 après avoir effectué deux courtes années de formation à quatre et cinq ans.
En réalité, les premières générations de cette souche maternelle ont surtout servi l’affixe van’t Spieveld de la famille Vercauteren. Via Ugana (Lugano van la Roche x Usurpator), la grand-mère de Feria et, de fait, la troisième mère de Gamin, le Belge a notamment produit le fer de lance de son élevage, un certain Echo van’t Spieveld, excellent partenaire de Niels Bruynseels sur la scène sportive et dont la carrière à l’élevage s’annonce tout aussi prometteuse. Prolifique, Ugana donnera plusieurs filles, qui, à leur tour, brilleront en tant que mères. Ainsi, Melissa (Lys de Drammen) donnera Quinta et Summer van Spieveld (Capital) et Falco van Spieveld (Toulon), vus à bon niveau, ainsi que les deux étalons approuvés Picasso et Ensor van Spieveld (Capital et Heartbreaker). Nikita van Spieveld, propre soeur de Melissa, engendre, elle, Smash van de Plataan (Larome), Atletico van’t Paradijs (Ohio van de Padenborre), Hautain van’t Paradijs (Quadrillo) ou encore La Jolie van’t Eigenlo (Zandor), qui ont évolué sur des épreuves allant d’1,45 à 1,60m. Citons également Copain van T&L (Vancouver d’Auray x Phin Phin), petit-fils d’Ugana, qui a vécu ses plus belles heures avec Benedicte Kolnik en se classant jusqu’à 1,45m.
[revivead zoneid=48][/revivead]
“J’ai fait du travail à pied avec Gamin ; le but était de lui donner confiance”, Patrick Trienpont
Mais, lorsque Patrick Trienpont fait inséminer sa jument par Chacco Chacco, en 2011, Echo van’t Spieveld n’en est qu’aux prémices de son ascension et Atome, lui, dispute ses tous premiers parcours sur le Cycle classique de saut d’obstacles. Difficile, donc, de prédire un tel avenir à Gamin van’t Naastveldhof, d’autant plus que son père n’est alors âgé que de quatre ans. Chic et doté d’une technique parfaite, sans-doute hérité de son grand-père maternel, l’excellent et regretté Stakkato, le fils de Chacco Blue n’a pas encore fait ses preuves. Aujourd’hui, et alors qu’il n’est plus apparu en compétition depuis 2016, l’étalon de seize ans a pourtant confirmé, en s’imposant jusqu’à 1,50m avec Andreas Knippling. Malgré tout, les éleveurs ne semblent pas séduits outre mesure par le charisme que dégage le bai ; deux produits seulement sont nés en France, en 2013 et 2021, tandis qu’Horstelex lui attribue… quarante-neuf descendants. Un total à mettre en perspective, la base de données n’étant pas exhaustive.
Chacco Chacco, le très chic géniteur de Gamin van't Naastveldhof.
Dès ses premiers mois de vie, en 2012, Gamin montre de la taille, “beaucoup de souplesse dans ses mouvements” et révèle un caractère proche de l’homme. “Il était très honnête, en main comme sous la selle”, rapporte son éleveur, qui une fois son protégé débourré, prend en charge son éducation de base. “J’ai assuré l’entraînement de Gamin en dressage et fait du travail à pied avec lui, en le faisant marcher sur différents objets, en le faisant monter dans le van, en lui faisant découvrir des ballons et toute sorte de choses. Le but était de lui donner confiance, de lui montrer qu’il n’avait rien à craindre. Monté, il exécutait chacune de mes demandes, mais je n’ai jamais exagéré ou été au-delà de ses limites. Il n’a jamais fait de résistance.” Attaché à former ses poulains, et même à les monter sur de petites compétitions, Patrick a préféré lever le pied et mettre un terme à son activité d’éleveur en raison de son âge. “J’ai soixante-trois ans et ma femme en a soixante-sept. Après leur débourrage, effectué par un cavalier spécialisé, nous les montions nous-mêmes en dressage et à l’obstacle à la maison. Pour les premiers concours, nous les confions à un ami. Ces cinq dernières années, en raison de notre âge, nous n’avons plus eu de poulains”, détaille le Belge. “Mais cette année, en raison du succès de Gamin, nous allons avoir recours à l’ICSI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, ndlr), afin de reproduire le croisement avec Chacco Chacco et de vendre des embryons.”
[revivead zoneid=48][/revivead]
Une formation loin des tapis rouges
Avant que Gamin ne devienne le crack qu’il est aujourd’hui, et que ses éclatantes performances au sommet ne donne envie à ses naisseurs de se relancer dans l’élevage, l’immense bai, qui toise plus d’1,75m, a suivi une formation en toute discrétion. Confié à Mathieu De Nutte à quatre ans, le sBs progresse gentiment. “Gamin est un super cheval ! Il a été élevé par des amis, qui habitent à un kilomètre de chez nous. Après qu’il est parti au débourrage pendant un mois, ses propriétaires m’ont demandé si je voulais lui faire faire ses premiers sauts et ses premiers concours. J’ai quelques jeunes chevaux moi-même et j’aime bien les monter, les former depuis le début. Comme nous étions dans le même village, cela était d’autant plus facile. Patrick et sa famille montaient Gamin sur le plat ou le longeait entre nos séances ensemble. Il était très agréable, très grand. Comme tous les jeunes chevaux présentant un modèle comme le sien, il faut du temps pour qu’ils mûrissent. Malgré tout, il était déjà de bonne volonté et avait envie de faire de son mieux”, se souvient le jeune homme, dentiste à la ville et cavalier ou éleveur sur son temps libre. “Gamin était agréable à monter et me procurait un bon sentiment. Il était toujours très enthousiaste à l’idée de sauter. Même si nous ne sommes que des amateurs, en selle ou dans les écuries, il avait bon caractère. On dit souvent que les grands chevaux ont beaucoup de tempérament, mais Gamin était facile à gérer. Il était vraiment gentil et doux. Je l’ai monté quelques mois, de l’hiver de ses trois ans à l’été de ses quatre ans, puis il a été vendu. À l’époque, j’avais songé à l’acheter, mais mon métier me demande beaucoup de temps. M’occuper de mes propres chevaux ainsi que de mon petit élevage remplit largement mes journées. Cela n’aurait pas été sympa de le garder pour moi dans ces conditions, même si le monter était un vrai plaisir.”
À la fin du mois de juillet 2016, Gamin, quatre ans, a disputé six parcours officiels dans sa vie, jusqu’à 1,05m. Ses qualités et son talent suffisent à séduire Natalie Steinhauser, une amazone allemande spécialisée dans les jeunes chevaux, qui en fait l’acquisition. “Nous étions allés en Belgique essayer des chevaux, et les écuries où se trouvait Gamin étaient notre dernière destination. Je l’ai essayé et, comme il avait seulement quatre ans, j’ai fait un tout petit saut. Avec ce seul saut, qui ne devait même pas être à 1m, je me suis dit ‘c’est le bon’. J’ai vraiment eu un sentiment spécial. Nous l’avons alors acheté”, déroule la jeune femme.
[revivead zoneid=48][/revivead]
L’Allemagne avant la Suisse
Après avoir grandi quatre ans en Belgique, le fils de Chacco Chacco s’en va outre-Rhin, où il demeure deux ans, jusqu’en août 2018. “Je sais bien que si Gamin était resté ici, il n’aurait jamais atteint le niveau qui est le sien aujourd’hui. Nous sommes des amateurs, assez éclairés, mais nous ne montons pas à haut niveau. J’ai fait quelques concours à 1,10 voire 1,15m, mais pas à 1,50 ou 1,60m !”, constate Patrick. “Nous avions fait sauter Gamin en liberté à la maison une fois. Il s’était très bien comporté et cela nous a conforté dans notre choix de le vendre. En 2016, Natalie Steinhauser est venue l’essayer avec Marcus Rieger, et ils étaient très contents.”
Pour Natalie, pas de doute : “J’ai toujours dit que Gamin serait un cheval de Grand Prix, depuis la première fois où je l’ai monté. Il a toujours été très fier. Il avait du caractère et n’était pas toujours le plus facile à monter. Il avait la fâcheuse tendance de secouer la tête de haut en bas. C’était parfois horrible dans ses jeunes années ! J’ai vu qu’il le faisait encore un peu aujourd’hui. Malgré tout, il avait toutes les qualités dont on peut rêver. Son cœur était peut-être la plus grande d’entre elles. Il avait aussi des moyens et était respectueux. Il voulait toujours aller de l’autre côté. Lorsqu’il se servait bien de son caractère, cela pouvait aussi devenir une qualité. Il savait qui il était. À pied, il avait toujours beaucoup d’énergie, de puissance. Il avait besoin de beaucoup marcher ! Idem au travail. Je faisais de longues séances tous les jours (rires). Surtout, il fallait toujours rendre les exercices intéressants et ne pas le blaser. Alors, parfois nous allions en forêt, puis revenions travailler en carrière. J’ai l’habitude de monter en épreuves jeunes chevaux, de former des montures puis de les revendre lorsqu’elles ont six ou sept ans. Avec Gamin, cela a été difficile.”
Gamin van't Naastveldhof, en début d'année 2018, en compagnie de sa cavalière et propriétaire d'alors : Natalie Steinhauser.
[revivead zoneid=48][/revivead]
La suite des aventures de Gamin van’t Naastveldhof est disponible ici.
Photo à la Une : Gamin van’t Naastveldhof et Edouard Schmitz à Genève, en décembre dernier. © Mélina Massias