Visconti du Telman n’a peut-être (encore) jamais triomphé dans l’épreuve reine d’un CSI 5*, mais les émotions qu’elle fait vivre à Françoise Sanguinetti, sa co-naisseuse et propriétaire, n’ont pas de prix. La vaillante baie, seize ans cette année, continue d’épater son monde chaque semaine, à commencer par son cavalier, Kevin Staut, qui la monte depuis 2019. Ensemble, le duo a terminé troisième de la finale de la Coupe du monde Longines de Bâle, début avril. Présente sur place, sa bonne fée vendéenne, qui a partagé mille aventures à ses côtés depuis 2009, s’est confiée sur la très belle histoire que sa fille de Toulon lui permet d’écrire aux quatre coins du globe. Rencontre.
Quelques heures avant que sa chère Visconti du Telman ne décroche la troisième place de la finale de la Coupe du monde Longines de saut d’obstacles de Bâle sous la selle de Kevin Staut, dimanche 6 avril, Françoise Sanguinetti contait la merveilleuse histoire, remplie de passion, qui l’a menée jusqu’en Suisse et (presque) propulsée sur le toit du monde. Avant d’être l’éleveuse, aux côtés de sa sœur, Marjorie, et la propriétaire de l’excellente fille de Toulon, la Vendéenne a elle-même été cavalière amateure, jusqu’à un niveau honorable. “Un jour, nous avons fait faire un tour de poney à ma petite sœur. Et puis, en voyant les enfants monter à cheval, j’ai eu envie d’en faire autant. De fil en aiguille, j’ai commencé à pratiquer l’équitation en club et à faire un peu de saut d’obstacles, puis un ami m’a proposé son AQPS, qui sortait des courses et était à vendre. Il s’appelait Gai du Telman (Alguazil x Popof), d’où l’affixe que j’ai conservé, en raison du caractère extraordinaire de ce cheval ! On montait sur son dos, on enclenchait la sixième et c’était parti ! J’ai gagné pas mal de concours avec lui, puis j’ai monté une petite trotteuse, Olonne du Gazeau, une demi-sœur d’Idéal du Gazeau (vainqueur, entre autres nombreux succès, du Prix d’Amérique en 1981 et 1983, ndlr). Cela m’a toujours fait sourire, car cette jument avait été achetée par quatre propriétaires et n’a jamais été qualifiée en courses ! Nous avons aussi remporté de nombreuses compétitions ensemble”, narre celle qui est installée en Vendée et exerce, en parallèle de ses déplacements auprès de Visconti, en tant qu’infirmière.
Deux photos pour un destin hors du commun
Dans les années 90, Françoise Sanguinetti croise la route d’une certaine Cora de la Grange, fille de Quiniou et de Katia du Roualland, une Anglo-arabe de complément par Fureteur, dont quelques collatéraux ont été indicés en dressage, concours complet et saut d’obstacles. Conservée pour sa retraite sportive, Cora est alors vouée à l’élevage. “Cora de la Grange était une fille de Quiniou, lui-même fils de Galoubet A. J’ai toujours été passionnée par Galoubet. Alors, je me suis dit que ce serait formidable de pouvoir la faire pouliner”, détaille Françoise, qui se lance alors dans une nouvelle aventure, aux côtés de sa sœur, Marjorie. Cora de la Grange aura cinq produits, dont une certaine Rohanne du Telman, sa seule fille à avoir poursuivi son œuvre à l’élevage. “Un jour, je suis tombée sur une photo de Dollar du Mûrier, qui sautait de gros tonneaux. Je me suis dit : ‘c’est cet étalon que je veux utiliser !’”, confie l’éleveuse sur le choix de croisement ayant donné vie à Rohanne. “Cora a eu d’autres poulains, mais ils n’ont pas donné grand-chose et, financièrement, je ne pouvais pas tous les assumer. Rohanne était une petite jument, excellente sauteuse, mais psychologiquement très fragile. Elle était très sujette aux coliques et stressait pour un rien. Une carrière en compétition était impossible pour elle.”
Séduite par une photo, Françoise Sanguinetti a marié Cora de la Grange à Dollar du Mûrier pour donner Rohanne du Telman, la mère de Visconti du Telman. © Scoopdyga
Au détour d’un autre coup d'œil, cette fois sur une photo de Toulon, Françoise imagine, en 2008, un croisement avec sa chère Rohanne. “J’aimais beaucoup le geste de devant de Toulon et je me disais que c’est ce qui manquait à Rohanne, qui avait une forte propulsion derrière”, poursuit-elle. “Un jour, nous avions emmené Rohanne au concours Modèle et allures au Pin au haras. Touchée un peu trop fort par une chambrière, elle a paniqué et, au lieu de tourner, a sauté hors du rond d’Havrincourt ! Elle avait donc des moyens, mais était trop stressée pour qu’ils soient exploités. Je trouvais que son geste de devant était perfectible, et que Toulon serait une bonne option pour elle.”
Le tout bon Toulon est le père de Visconti du Telman. © Scoopdyga
Un attachement viscéral
Décrite comme “assez carrossée et très ronde”, la baie brune, dotée du regard “très doux, aux airs parfois endormis” propre à la lignée de Cora de la Grange, donne naissance à son premier produit en mai 2009. Cette toute petite pouliche née du mariage entre Toulon et Rohanne du Telman est baptisée Visconti du Telman. “À la naissance, Visconti était une petite crotte”, s’amuse sa propriétaire. “Elle avait les antérieurs en forme de X. D’ailleurs, je la surnommais Viscontix ! Nous avons fait attention et soigné cela.” Très vite, la demoiselle affiche son caractère bien trempé et enchaîne les facéties, qui rythmeront toute sa vie. “Pouliche, déjà, elle faisait toujours ce qu’il ne fallait pas faire”, glisse Françoise dans un rire. “Nous avions un paddock bordé par une mare, où nous mettions les juments et leurs poulains. La longueur donnant sur la mare était extrêmement sécurisée, avec une énorme barrière. Un jour, j’ai entendu ‘pof, pof, pof’. J’ai regardé : Visconti était dans la mare ! Je ne sais pas comment elle a réussi son compte, puisque la clôture était impeccable ! Il n’y avait qu’elle pour faire cela. Un autre jour, nous avons retrouvé du sang partout dans le box de Visconti. Certainement en jouant, elle s’était accroché la commissure des lèvres dans le mousqueton que nous utilisions pour fixer le seau dans lequel nous lui donnions à manger ! Elle a eu des points, qui n’ont pas tenu, et elle a gardé un petit sourire de cette mésaventure !”
Rohanne du Telman, la mère de Visconti du Telman, ici âgée de trois ans. © Collection privée
Et Visconti n’en reste pas là. Malgré des expériences positives aux côtés de sa mère pour des présentations de modèle et allures étant pouliche, la Selle Français se fait prier pour embarquer en van, si bien qu’il faut parfois plusieurs heures à ses proches avant de pouvoir prendre la route. Face à cette situation désagréable, Françoise contacte un éthologue, spécialiste du comportement des équidés, pour résoudre le problème et convaincre Visconti qu’elle n’a rien à craindre dans cette situation. “L’éthologue est arrivé, et je lui ai proposé de déplacer le van dans la carrière en sable, afin de travailler dans un environnement sécurisé. Il m’a dit que cela n’était pas nécessaire, et que l’on pouvait le laisser dans la cour. Il a essayé d’embarquer Visconti, qui a fini par se cabrer. Il l’a touchée au niveau de la tête avec son stick et Visconti s’est retournée, est tombée sur le béton et s’est cassé trois vertèbres au niveau du garrot. Elle a dû passer six mois au box, mais s’en est remise !”, raconte l’infirmière.
Visconti du Telman fait preuve d'une longévité remarquable au plus haut niveau. © Sportfot
Pourtant, toutes ces anecdotes, désormais racontées avec une pointe d’humour, Visconti aurait pu les vivre loin de sa co-naisseuse. Pour des raisons financières, sa sœur souhaitait que la fille de Toulon et Rohanne du Telman soit vendue. Françoise fixe alors un prix élevé, dans le but de dissuader d’éventuels acheteurs. Rapidement, l’un d’eux se montre très intéressé et conclut l’affaire, mais laisse la belle grandir sur ses terres natales jusqu’à ses trois ans. “Lorsque Visconti a eu deux ans, j’ai contracté un problème de santé, qui m’a obligée à passer un mois et demi à l’hôpital. En rentrant chez moi, je ne pensais qu’à une chose : racheter Visconti”, se souvient-elle. Françoise trouve une solution et redevient l’unique propriétaire de sa jument, qu’elle ne vendrait désormais pour rien au monde. “Dès le départ, la voir toute petite, avec ses genoux tordus, je me suis dit que c’était ma jument”, sourit celle qui ne veut pas, et ce sous aucun prétexte, avoir connaissance des offres qui ont pu ou peuvent être formulées pour sa chère Visconti. “Dès le début, c’était clair et net : j’ai dit à Kevin que, peu importe la hauteur de l’offre, que ce soit un ou plusieurs millions d’euros, la réponse était non.”
Visconti du Telman pouliche et déjà si craquante ! © Collection privée
Des débuts prometteurs avec Reynald Angot
Après seize ans passés aux côtés de sa perle, Françoise a encore du mal à réaliser le chemin parcouru. “Je suis toujours épatée par Visconti”, avoue-t-elle. “Pourtant, on m’a souvent dit qu’elle était fantastique, et ce depuis ses jeunes années. Elle avait d’ailleurs été sacrée championne suprême en Vendée à trois ans, à la Roche-sur-Yon.” Convaincue de la première heure, et encore plus après ces premières performances, Françoise se décide à faire valoriser sa protégée. Souhaitant avant tout conserver sa belle près d’elle, l’éleveuse confie Visconti à Paco Diouf. Mais l’aventure ne dure qu’un peu plus d’un mois, le pilote ayant quitté la Vendée pour rejoindre le haras de Pléville. La quête du cavalier idéal se remet alors en place, mais n’aboutit pas vraiment, entre désaccords financiers et formateurs peu motivés. Finalement, Françoise s’oriente vers la Normandie et Reynald Angot, dont la réputation n’est plus à faire. Le nouveau couple fait ses débuts officiels en compétition à Canteleu, en 2014, et réalise deux excellentes saisons de cinq et six ans, jusqu’à la finale de Fontainebleau, où Visconti décroche la mention “Très Bon” et la vingt-quatrième place parmi les juments de sa génération. Reynald Angot continue de façonner Visconti à sept ans, puis l’engage sur ses premiers parcours à 1,40 et 1,45m à huit. La progression se poursuit les deux années suivantes, durant lesquelles la fille de Toulon achève sa première épreuve à 1,55m. Après plus de cinq ans passés ensemble, Reynald Angot et Visconti du Telman prennent des chemins différents.
Dès ses jeunes années, Visconti s'est distinguée à l'obstacle. © Collection privée
La seconde partie de cet article sera publiée mardi sur Studforlife.com…
Photo à la Une : Françoise Sanguinetti et sa chère Visconti du Telman après sa troisième place à Bâle. © Mélina Massias