François Mathy, une légende faite de passions et de plaisirs (3/3)
Le commerce et son évolution, bien plus qu'un travail ...
Alors que la Belgique vient de remporter une seconde médaille de bronze par équipe à Tokyo, 45 ans après celle de Montréal, on se souvient d’un athlète qui était revenu du Canada avec deux médailles de bronze ! Accompagné de Stany van Paeschen, Edgar Henri Cuepper et le regretté Eric Wauters par équipe, Fifi comme on aime l’appeler dans le milieu, reste à ce jour le seul médaillé individuel belge de l’équitation ! Depuis l’homme s’est distingué en étant l’un des marchands les plus réputés et respectés du milieu. Difficile de dénombrer le nombre de stars passées par ses écuries. Homme de goût et de classe, comme en attestent ses installations, il n’en demeure pas moins un homme accessible de tous au contact des hommes et de la terre.
Quand avez-vous décidé d’arrêter de monter pour ne vous consacrer qu’au commerce ?
F.M. : « Il y a déjà quelques années que j’ai arrêté de monter… Sans que je sache exactement quand. En fait, ça ne me disait plus rien de voyager et d’être toutes les semaines trois à quatre jours en concours. Je n’étais plus passionné, j’en avais fait assez. J’ai un peu continué à monter car durant une époque, j’essayais moi-même les chevaux que je comptais acheter puis à un moment, je me suis dit que chaque chose en son temps et j’ai laissé la main. C’était très agréable et j’aurais pu continuer à aller me promener dans le bois mais j’ai eu assez vite d’autres occupations. Il faut être réaliste, on se fait plus vite mal et cela représente un certain risque avec l’âge et je n’en ai pas suffisamment envie pour prendre le risque. »
François Mathy et la gagnante en Grand Prix 4*, Raia d’Helby
Vous n’avez jamais cherché à construire véritablement une écurie de haut niveau chez vous. Votre objectif a toujours été de détecter de nouvelles pépites et de les mettre en relation avec les clients ?
F.M. : « J’ai eu de très bons cavaliers à la maison comme Marc Bettinger, Diego Bilbao ou aujourd’hui Charlotte Bettendorf. Après, j’ai également de très bonnes relations commerciales avec des gens comme Pénélope Leprévost. Néanmoins, c’est vrai que je n’ai jamais gardé des chevaux pour le plus haut niveau et je ne sais pas vraiment pourquoi. Les choses se sont juste présentées de la sorte. En fait, c’est très difficile de garder des chevaux pour des cavaliers d’un certain niveau car cela devient toujours un problème quand on les vend ! Je n’ai jamais voulu être dans cette situation où vendre devenait un drame. »
Marc Bettinger avec Oh d’Eole avant sa vente au Haras de Hus
Comment a débuté votre relation avec McLain Ward ?
F.M. : « J’ai rencontré le père de McLain dans un concours en Afrique du Sud en 1976. Nous avons toujours eu une relation d’affaire et j’ai suivi l’évolution de McLain depuis son enfance, lorsqu'il montait à poney en Floride. En général, j’ai toujours gardé mes clients longtemps pour des relations à la fois commerciales et amicales. J’ai toujours essayé de travailler avec des gens avec qui j’aimais bien travailler. En fait, mon problème est surtout que j'ai beaucoup de difficultés à rester en contact avec des personnes que je n’aime pas. Ce que j’ai construit, j’ai pu le faire parce que c’était mon sport, mon commerce et mon plaisir en même temps. J’ai eu la chance de pouvoir faire cela sans m’obliger à le faire avec des individus que je n’appréciais pas. Aujourd’hui, c’est plus difficile car il y a des gens qui arrivent de partout et qui ne sont pas nécessairement des hommes de chevaux. C’est plus difficile de travailler avec des gens comme cela car ils ne savent pas de quoi on parle ! Ce n’est pas agréable pour moi et je dois bien avouer que c'est difficile de le faire. »
HH Azur est l’un des rares chevaux dans lequel François Mathy est resté co-propriétaire au plus haut niveau
Par contre, encore aujourd’hui, malgré le nombre de marchands en activité, on entend régulièrement que lors d’un gros commerce : c’est François Mathy qui est derrière !
F.M. : « Tant mieux ! (rire) Je connais quand même la plupart des gens dans le monde entier qui achètent des chevaux et je reste au courant de tout ce qui se passe à gauche et à droite pour être dans les premiers informés lorsqu’un cheval est à vendre, et les gens me croient lorsque je dis qu’un cheval est bien ! Ce sont les relations et la confiance qui permettent de se mettre dans des affaires un peu importantes. »
Après avoir collaboré durant de nombreuses années avec Guido Bruyninx, vous êtes aujourd’hui épaulé par Pedro Renault. C’est important d’avoir des gens de confiance autour de soi ?
F.M. : « Oui, évidemment. J’ai travaillé toute ma vie avec Guido Bruyninx. Nous avons fait de très bonnes affaires et c’était très agréable. Guido était un grand commerçant lui-même qui connaissait bien les chevaux. Il faisait son business mais nous pouvions également acheter ensemble. Il se trompait très rarement, c’était un bon associé. Guido a désormais décidé d’arrêter de se consacrer autant aux chevaux et de profiter de la vie différemment. Personnellement, je n’imagine pas en faire de même, même si évidemment je fais moins qu’avant. Je ne vois pas ce que je ferais d’autre néanmoins. Je n’ai pas envie de jouer au golf. Je suis bien chez moi, je n’ai pas envie de voyager plus car j’aime ma région. Il n’y a donc pas de raison que je me prive de choses que j’aime bien tant que je peux le faire. L’activité, c’est important. Il y a toujours quelque chose de nouveau, c’est agréable. J’aurai tout le temps de m’arrêter quand je n’aurai plus le choix et que ce sera obligatoire. Le tandem que je forme aujourd’hui avec Pedro est très important. Nous collaborons depuis de nombreuses années. Il peut m’informer de manière précieuse : il est jeune et en pleine forme. Il voyage beaucoup plus que moi. »
François Mathy & Pedro Renault autour du produit maison Kartoon d’Ayrifagne, fils d’une ancienne monture de Laura Mathy et n°1 du catalogue de l’Excellence Auction.
Dans les chevaux que vous avez pu vendre, certains vous rendent particulièrement fier ?
F.M. : « Il est certain que nous avons vendu de très bons chevaux. Il y en a quand même cinq ou six qui ont gagné le Grand Prix d’Aix la Chapelle ! Il y a eu Deister de Paul Schockemoehle, Boomerang, La Ina de Peter Charles, Sapphire avec McLain Ward, Amai avec Michael Whitaker… Il y en a tellement finalement.
Nous avons acheté Kannan lorsqu’il avait 5 ans avec Guido Bruyninx ! Nous avions également acheté Amai au même âge. Lors de son année de 7 ans, nous sommes partis au Sunshine Tour avec dans le camion : Amai, Carlina, Bridgit et qui ont tous participé à des championnats plus tard. C’est agréable évidemment quand on voit la carrière qu’ils ont fait par la suite… Mais il n’y a pas eu de surprise non plus, on savait que c’était de bons chevaux et qu’ils avaient le potentiel de faire de grandes choses ! Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile. Les chevaux sont plus chers et les gens sont plus informés de tout. Dès qu’un cheval sort un peu du lot, les gens s’enflamment très vite. »
Kannan lors des championnats d’Europe de San Patrignano avec Michel Hécart
Aujourd’hui, vous avez décidé de franchir un nouveau cap avec l’organisation de la vente en ligne : Excellence Auction by François Mathy. Quelle est votre motivation ?
F.M. : « Les ventes en ligne sont quelque chose de très nouveau qui s’est fort développé avec la crise sanitaire que nous traversons. C’est une époque qui change. Il y a beaucoup plus de cavaliers mais aussi plus de marchands. Les contacts entre les gens sont beaucoup plus rapides et efficaces. Cela a changé le commerce. Il y a une valeur ajoutée qui est bien présente dans la manière dont les chevaux sont travaillés, dont ils sont présentés où ils vont. Je dis toujours : Pour élever un bon cheval, il faut une bonne jument et pour avoir de bons résultats en concours, il faut un bon cavalier ! C’est ça la différence, c’est lui qui donne la valeur au cheval car dès qu’un cheval a gagné une épreuve, on s’y intéresse même si c’est le même cheval que le jour avant ! Le marketing est devenu également très important. Le travail de Paul Schockemoehle aujourd’hui à ce niveau est très impressionnant. Cela peut très bien être un marketing discret. Je trouve que le ratio de bons chevaux issus de Chacco Blue est assez faible comparativement à d’autres étalons mais, dans la masse, des bons sortent du lot. Son principe est que de la quantité vient la qualité qui fait la publicité pour tous les autres. Sur les finales jeunes chevaux de Gesves, Fontainebleau ou Lanaken : il n’y en avait presque pas… Mais il y a 3.000 embryons de Chacco Blue congelés en Italie ! Le commerce a un côté très psychologique. »
Vous dites ne pas être passionné par l’élevage mais vous suivez néanmoins cela de très près !
F.M. : « Oui ! La patience d’élever, garder et attendre me manque mais je m’intéresse beaucoup à l’élevage en Belgique, en Allemagne, en France et en Hollande ! Je connais pas mal ce qui tourne autour des jeunes chevaux et des origines. »
Fille de la jument de Grand Prix Miss d’Helby, gagnante elle-même en Grand Prix et sœur de plusieurs chevaux de Grand Prix, Raia sera représentée par un embryon lors de l’Excellence Auction
Quand on vous écoute, on pourrait penser que vous n’avez que les chevaux dans votre vie alors que vous aimez également beaucoup l’art et la culture.
F.M. : « Oui, j’aime bien la nature et tout ce qui y touche que ce soit le jardinage ou les bois. J’aime beaucoup l’art également et particulièrement l’art liégeois tout comme l’architecture. J’ai aussi le goût du voyage, j’apprécie également la pêche et la montagne… Je n’ai jamais le temps de faire tout ce que j’ai envie de faire, il n’y a pas de doute. »
Comment voyez-vous la suite des choses ?
F.M. : « Vous savez, souvent, la vie a une imagination que vous n’avez pas imaginée vous-même ! »