Entre valorisation et élevage, Déborah Lefebvre sculpte sa destinée (1/2)

Déborah Lefebvre n’est pas (encore) la cavalière la plus connue du circuit Jeunes chevaux. Pourtant, début septembre, les quatre sans-faute et la mention Elite décrochée par son remarquable partenaire, Joe de Cerisy, sont venus récompenser son travail de formation. À ses côtés depuis 2022, le puissant alezan brûlé a fait étalage de ses qualités. Installée dans l’Indre, sa cavalière bâtit patiemment sa destinée, sans brûler les étapes. De ses débuts aux rênes d’un compétitif Trotteur Français, en passant par ses premiers parcours à 1,40m et le lancement de sa propre structure, jusqu’à son inoubliable Grande Semaine 2025, la sympathique Berrichonne d’adoption a toujours mis un point d’honneur à tisser un lien privilégié avec ses complices. Gérant sa structure seule, sur une quinzaine d’hectares, Déborah Lefèbvre s’est, en plus, lancée dans l’élevage, notamment à partir de la lignée de Vallée d’Or III. Rencontrée dans son cocon des Pouzets, elle est revenue sur son parcours, son fonctionnement, a évoqué sa philosophie, son affixe, et évidemment fait l’éloge de Joe de Cerisy. Premier épisode.
Derrière Clément Fortin, cavalier du haras de Semilly, et Pierre-Marie Friant, habitué de l’équipe de France et des pistes internationales, Déborah Lefebvre, installée dans l’Indre, à Argenton-sur-Creuse, a suscité l’intérêt et la curiosité de bon nombre d’observateurs à Fontainebleau, début septembre. Et pour cause ! Troisième du championnat réservé aux entiers de six ans et deuxième du Critérium avec son impressionnant manchois Joe de Cerisy (Chrome d’Ivraie x Kannan), la jeune femme de trente-quatre ans a déroulé un championnat remarquable, avec quatre sans-faute à la clef. Sortant parfois du cadre classique, le couple qu’elle forme avec son alezan brûlé a bien fait émerger quelques bruissements des tribunes du Terrain d’honneur du Grand Parquet, qui retenaient leur souffle face à des choix audacieux, mais leur entente a très vite rassuré les foules. Installée au lieu-dit Les Pouzets depuis 2014, la Parisienne d’origine a aussi contribué à faire briller sa région d’adoption, le Berry, où a grandi un certain Indigo de Nantuel (Balou du Rouet x Diamant de Semilly), champion de France des sept avec Arthur Deuquet, ou encore Lady Million Bamar (Million Dollar vh Schaeck x Fetiche du Pas), née chez Philippe Baillargeat et troisième du championnat des juments de quatre ans sous la selle d’Antoine Baillargeat.
Joe de Cerisy a donné le sourire à Déborah Lefebvre et tout son entourage à Fontainebleau. © Mélina Massias
Des débuts à dos de Trotteur Français
L’histoire entre Déborah et le Berry débute à l’été 2004. Mutés, ses parents quittent la région parisienne pour poser leurs valises dans l’Indre, où la qualité de vie est jugée par beaucoup comme supérieure. La jeune fille retrouve là des racines familiales, ses grands-parents étant établis sur place. Déjà cavalière, et comptant plusieurs championnats de France Poussins à son actif, Déborah a hérité sa passion de sa mère, Valérie, qui a évolué en concours complet. Unesco d’Aumont (Nelfo du Mesnil x Rayon Vert), son complice d’alors, a permis à sa fille de découvrir les joies de la compétition. “Ma maman avait un cheval pour son plaisir et a même disputé les championnats de France avec lui. J’ai, en quelque sorte, pris la suite ! La passion est venue comme cela”, ouvre Déborah. D’abord séduite par le complet, qu’elle pratique en club, l’amazone en herbe se dirige rapidement vers le saut d’obstacles après avoir été refroidie par des accidents survenus dans la première des deux disciplines. Ses parents lui offrent alors son premier complice à elle : Jiking Wild (Viking de Bellouet x Minou du Donjon), un… Trotteur Français ! S’il ne semble, a priori, pas disposer d’énormes moyens, le hongre permet à Déborah de révéler ses talents de formatrice. Elle le guide ainsi jusqu’à 1,25m et lui permet de décrocher un honorable ISO 133 en 2008. Cette même année, la jeune femme lance en compétition Primo de Sisse (Elan de la Cour x Qredo de Paulstra), cinq ans et acquis deux ans plus tôt par ses parents. Le petit-neveu de Sarcelle de Sisse, créditée d’un ISO 170 en 1993, permettra à sa cavalière d’évoluer jusqu’à 1,40m et de vivre ses premières expériences en CSI. “J’ai tout appris avec ces chevaux”, souligne l’amazone, qui aguerrit en parallèle l’Anglo-arabe Quatro du Figuier (Gentleman IV x Phosph’Or), d’un an le cadet de Primo.
En 2009, son baccalauréat en poche, la Berrichonne retrouve les pistes de Fontainebleau, découvertes quelques années plus tôt lors d’un championnat Poussins, pour vivre sa première Grande Semaine de l’élevage, sur le Cycle libre et en compagnie de Primo et Quatro. À cette époque, celle qui vient d’achever ses années de lycéenne n’envisage pas de faire carrière dans le milieu équestre et savoure la joie que lui procure sa passion. Son projet professionnel ? Devenir architecte ! Mais un stage vient bousculer sa perspective. “J’ai effectué un stage chez Jean-Michel Garnier, un cavalier professionnel installé près de Poitiers. À la fin du stage, il m’a dit ‘Déborah, si tu veux venir travailler chez moi demain, je t'accueille avec plaisir’ !”, se souvient-elle. Après une courte mais mûre réflexion, Déborah, soutenue par sa maman, accepte la proposition. “Si c’est vraiment ce que tu veux faire, lance-toi. Si cela ne fonctionne pas, tu pourras toujours reprendre tes études”, lui glisse-t-elle alors. Les bancs de l’école ne reverront jamais Déborah. Pendant un an, elle apprend et évolue auprès de Jean-Michel Garnier, puis poursuit son aventure aux côtés de Yohann Mignet, en Indre-et-Loire, durant une année supplémentaire. “Mon premier maître de stage m’a vraiment poussée dans le métier. Puis Yohann m’a permis de beaucoup évoluer. J’avais un bon cheval, mais nous étions tous les deux en phase d’apprentissage”, détaille-t-elle. Déborah étoffe le piquet de chevaux qui lui est confié, participe à ses premières épreuves du Cycle classique, et court ses premiers Grands Prix Pro 2.
À la fin de l’été 2011, la cavalière de Primo et Quatro complète son CV chez Grace Barton-Dekkers, cavalière britannique et éleveuse installée en Haute-Vienne, vue jusqu’en Grand Prix 3* et médaillée de bronze par équipe lors des championnats d’Europe Jeunes cavaliers d’Hartpury en 2000 - derrière la France, notamment représentée par Marie Pellegrin, Simon Delestre et Kevin Staut, l’Irlande, qui comptait dans ses rangs Cian O’Connor, et devant la Suisse d’un certain Steve Guerdat. “Grace m’a emmenée faire des premiers CSI, mes premières épreuves à 1,40m. J’ai appris et progressé dans chacune des écuries où je me suis arrêtée et toutes les personnes que j’ai croisées m’ont poussée à continuer ce métier, qui reste assez difficile”, remercie Déborah, qui a également été employée durant plusieurs mois avant de s’installer chez elle en 2014.
Avec l’élevage, Déborah ajoute une corde à son arc
Depuis qu’elle a fait le grand saut, la trentenaire s’affaire à développer son charmant havre de paix, sis aux Pouzets, à Argenton-sur-Creuse. Au bout d’une étroite et escarpée voie sans issue entourée de verdure et donnant sur la voie de chemin de fer voisine, Déborah gère, seule, sa structure qui s’étend sur quinze hectares. Lorsqu’elle s’éclipse en compétition, son papa, retraité, se charge d’assurer la surveillance et les soins quotidiens de ses protégés restés sur place. Mais son activité prenant de l’ampleur, la jeune femme n’exclut pas de faire appel à un ou une apprentie dans les prochains mois.
La carrière des écuries de Déborah Lefebvre devrait prochainement être rejointe par un manège. © Mélina Massias
Il faut dire qu’en plus de ses activités de pension, de valorisation et de ses sept chevaux au travail, dont l’excellent Joe de Cerisy, mais aussi le prometteur Ilton Donell (Untouchable M x Adorado) et sa fidèle Fantoum de Serre (Quantum x Argentinus), l’Indrienne s’est lancée dans la folle aventure de l’élevage voilà une poignée d’années ! Sa rencontre avec Patrick Chapuis, naisseur et propriétaire de Fantoum, fut déterminante. Lorsqu’elle débarque dans ses écuries, l’alezane au caractère bien trempé est alors gestante de Diamant de Semilly. Quelques mois plus tard, elle met au monde Idbora de la Serre, la bien nommée, pour le compte de Patrick Chapuis. Avant de débuter sa carrière sportive, la fille de Diamant de Semilly donnera deux poulains, cette fois à Déborah : L Taime des Pouzets (Kanna) et Magicjump des Pouzets (Comme Il Faut), qui ont étraîné leur affixe. Tandis que Fantoum, montée à quatre ans par Thierry Moutrille et Lolita Saclier, se classe et gagne régulièrement à 1,25 et 1,30m avec Déborah, sa première fille poursuit son évolution aux rênes d’Eric Lelièvre. Après de bonnes performances sur le Cycle classique des six ans l’an dernier, la baie a pris le départ de deux Grands Prix Top 7 cette saison, en marge d’une année majoritairement consacrée à des épreuves Pro 2 à 1,30 et 1,35m.
La Berrichonne espère voir son charismatique MagicJump des Pouzets, trois ans, être approuvé étalon. © Mélina Massias
Dans ses prés comme dans les allées des boxes qui surplombent sa carrière, Déborah s’occupe de tout elle-même, en dehors de l’insémination de ses juments. En revanche, les poulinages ont lieu aux Pouzets, où grandissent ensuite ses poulains, avant de découvrir les bases de leur futur rôle. À l’aube de l’automne, le grand Magicjump, qui ne peut renier son père, a fait ses premiers sauts sous la selle et se prépare en vue d’une potentielle approbation. L Taime, son aînée, a quant à elle eu deux poulains : un fils de Tangelo vd Zuuthoeve en 2024, puis un autre, à la magnifique robe noire, par… Pegase van’t Ruytershof (Comme Il Faut) cette année. En 2026, l’attachante baie aux quatre balzanes herminées troquera sa casquette de mère pour celle de sportive. Si ses deux descendants, O Cali et Pegaz Ornoir ne comptent pas (encore) beaucoup de collatéraux performants à haut niveau, seule une dizaine d’années les éloignant de leur… arrière-grand-mère, leur cinquième mère, Vallée d’Or III (Kildare III x Esma de Fondelyn) a plus que fait ses preuves. Issue d’une lignée Trotteur Français croisée au bon sang Anglo-Arabe, la baie a évolué à haut niveau avec Roger-Yves Bost et décroché un ISO 179 en 1996. En plus de cette lignée montante, et de la jeune Poney Français de Selle Kapitole des Sous (Spartakus de France x Dyffrynaled Gari Tryfan), mariée cette année à Okavango Sitte (Quempas, alias Quel Homme de Hus x Greco Sitte), l’éleveuse en herbe mise depuis cette année sur Anette (Tiamo van Overis x Negro), sa “jument de coeur”, née chez… Grace Barton-Dekkers, cela ne s’invente pas ! La magnifique alezan brûlé a donné vie à Primparadise DPouzets, un fils d’Halifax van het Kluizebos.
Déborah en compagnie de L Taime des Pouzets et son poulain de l'année par Pegase van't Ruytershof, Pegaz OrNoir DPouzets. © Mélina Massias
Avec une à deux naissances par an, Déborah veille au grain et accorde une place capitale à la relation qu’elle entretient avec ses protégés. “J’aime tout dans l’élevage, à commencer par le contact avec l’animal et la possibilité de développer un lien avec les chevaux. Cela est très, très important pour moi. Je pense qu’ensuite, ils nous le rendent au centuple”, glisse-t-elle. Si elle n’a pour l’heure vendu aucun de ses poulains, cela arrivera assurément par la suite. Pour ses choix de croisements, elle s’adapte à ses juments, qui ont, de son propre aveu, beaucoup de tempérament. “J’essaye de faire attention à ce point-là, et de trouver des étalons performers, qui sont un minimum à la mode”, complète celle qui n’a encore jamais procédé à des transferts d’embryons, toujours onéreux. Également friande d’origines français, la Berrichonne ne cache pas son envie d’avoir un jour un poulain de… Joe de Cerisy, ce fabuleux complice qui lui a permis de vivre une Grande Semaine de rêve début septembre.
Anette, qui a suivi le Cycle classique à six ans puis sauté jusqu'à 1,25m avec Déborah, et son premier fils, Primparadise DPouzets. © Mélina Massias
La seconde partie de cet article est disponible ici.
Photo à la Une : Déborah Lefebvre espère voir son beau MagicJump des Pouzets être approuvé étalon et ouvrir la voie à son jeune affixe. © Mélina Massias