“En matière de bien-être animal, nous, cavaliers, avons une responsabilité”, Philippe Léoni (3/3)
“Travail, travail, travail”, martèle Philippe Léoni. Voilà sans doute l’un des secrets du succès retrouvé par le Français ces derniers mois. Après avoir connu ses premières heures de gloire au milieu des années 2000, le Sudiste, originaire d’Aix-en-Provence, avait mis sa carrière équestre entre parenthèses pendant quatre années, afin de se concentrer sur sa vie professionnelle à mille à l’heure. Passé par le concours complet à ses débuts, l’homme, toujours enjoué, vit avec bonheur son retour sous les projecteurs. De sa médaille de bronze aux championnats de France de Fontainebleau, à ses classements en Grands Prix 4 et 5*, et son retour sous la veste de l’équipe de France, à l’occasion du CSIO 3* de Madrid, l’ancien partenaire de l’excellente Cyrenaïka a connu une saison faste, qu’il était bien loin d’imaginer, en février dernier, lorsqu’il a pris la route en direction d’Oliva. Rencontré à l’occasion de l’agréable CHI d’Equita Lyon, le cavalier, père de famille et homme d’affaires de soixante-trois printemps n’a éludé aucune question, de ses derniers mois à haut niveau, à sa rencontre avec sa formidable Miss Marie v’t Winnenhof, en passant par ses inspirations, son système, son programme d’élevage maison, et les questions de bien-être animal et d’écologie. Ultime partie d’un entretien en trois volets.
Les première et deuxième parties de cette interview sont à (re)lire ici et ici.
En plus de vous avoir permis de disputer deux finales de la Coupe du monde et d’engranger d’excellents résultats, Cyrenaïka semble vous avoir donné goût à l’élevage. Pouvez-vous revenir sur le rôle qu’a joué cette jument dans votre vie ?
Cyrenaïka a vraiment été une jument importante dans ma carrière. Elle était extraordinaire. Je pense que Miss est tout aussi bonne, mais nous verrons ce que nous réserve l’avenir. Cyrenaïka n’avait pas le même statut que Miss lorsque je l’ai achetée. Elle était déjà une star et avait gagné un Grand Prix Coupe du monde, à La Corogne, avec Toni Hassmann, à huit ans. Son arrivée dans mon piquet de chevaux a été un accélérateur incroyable. Je me suis vraiment très bien entendu avec elle et nous avons réalisé des choses formidables : remporté des Coupes des nations, disputé deux finales Coupe du monde, etc. C’était super. Elle n’a pas beaucoup profité de sa retraite. Après quatre ou cinq ans, elle a eu un problème neurologique et nous avons été obligés de l’euthanasier. Par conséquent, elle n’a donné que trois produits. Le premier (Abricote, par Dollar dela Pierre, ndlr) est né inapte au sport. Je l’ai donné à une vétérinaire en Normandie. Ensuite, il y a eu Atomika (Diamant de Semilly). Elle n’était pas assez bonne pour le très haut niveau (la baie a évolué jusqu’à 1,40m, notamment avec Benoit Cernin, ndlr), mais je l’ai conservée comme poulinière. C’est donc grâce à elle que la souche de Cyrenaïka prospère. Atomika est d’ailleurs la mère de Firefox. Enfin, Cyrenaïka a donné Black Star, le cheval que monte Charlotte. Pour la petite histoire, Black Star est un fils de Lavillon, que j’ai aussi monté à haut niveau. C’est chouette ! Je n’ai pas forcément une passion pour l’élevage, mais je fais naître quelques poulains avec Atomika, et Shana de Kerglenn. Shana est une mère absolument incroyable. J’ai huit poulains d’elle et tout le monde veut les acheter. Elle est classée numéro un du classement des poulinières en France (selon une hiérarchie établie chaque année par nos confrères de l’Eperon, ndlr). Elle fait des poulains pour Charlotte. Ce n’est pas moi qui les monterai ; c’est à peu près sûr (rires). Dans trois ans, j’aurai arrêté de monter. C’est en tout cas mon idée. Il faut savoir dire stop.
On imagine que vous regardez attentivement les étalons disponibles sur le marché. Lesquels avez-vous utilisé ?
Je ne suis pas un grand expert. De toute façon, chaque fois que nous avons voulu associer le meilleur père avec la meilleure mère, nous n’avons jamais fait naître le meilleur poulain. J’essaye toutefois d’utiliser de bons étalons. J’ai deux produits de Mylord Carthago, qui sont, de fait, les frères de Dexter de Kerglenn, que monte Jeanne Sadran. J’ai un Tangelo vd Zuuthoeve, un Balou du Rouet, deux magnifiques Eldorado vd Zeshoek, une Comme Il Faut et une Kannan. Malgré tout, l’élevage est tellement ingrat ! Je pense que Shana est une mère exceptionnelle. Elle a déjà des produits qui sautent à haut niveau, puisqu’avant que je l’achète, elle avait déjà fait quatorze transferts d’embryons.
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Avez-vous songé à avoir recours aux transferts d’embryons avec Miss Marie v’t Winnenhof ?
Non, je n’en ferai pas. Tout le monde m’en parle, mais je n’ai pas envie de perturber quoi que ce soit, du moins à court terme. Aujourd’hui, Miss Marie est jeune et elle se concentre à 100% sur le sport.
“Il faut mettre en lumière tout ce que nous faisons de bien en matière de bien-être animal”
Le bien-être animal, et notamment celui des chevaux, occupe une large place dans les débats liés aux sports équestres. En la matière, où vous positionnez-vous ?
D’abord, je pense qu’il s’agit d’un sujet très important. Sur ce dernier, il est primordial de ne pas laisser la parole être préemptée par des gens qui disent des tas de bêtises. Nous, cavaliers, avons une responsabilité. Déjà, il faut très bien se comporter avec nos chevaux. Mais, ne rêvons pas, c’est le lot de 99% des cavaliers. Si on monte à cheval, c’est parce qu’on aime les chevaux et pas dans le but de les maltraiter. Ceci étant dit, oui, il faut rester vigilant, oui, il faut être draconien avec les règlements, et oui, il ne faut pas laisser de place aux abus, au paddock comme en piste. Nous devons être responsables vis-à-vis de cela et nous devons prendre en compte le problème. Si nous ne le faisons pas, je ne sais pas si nous monterons encore à cheval dans vingt ans. Il faut s’en emparer. C’est aux cavaliers de le faire, d’abord, et à la Fédération équestre internationale (FEI), qui ne communique pas assez. Il faut mettre en lumière tout ce que nous faisons de bien en matière de bien-être animal. Et ce n’est pas en trois cavaliers aux Jeux (olympiques, ndlr) que nous avançons sur le sujet. Il faut aussi que la Fédération mette en avant l’utilité de la filière sportive pour les chevaux. Sans elle, il y aurait beaucoup moins de chevaux. C’est assez facile à comprendre. Je ne pense pas que beaucoup de personnes achètent des équidés pour les mettre dans leur pré… Il ne faut pas être passager clandestin sur le bien-être animal. Nous devons dire haut et fort que nous aimons les chevaux, que nous nous en occupons bien, qu’ils sont parfaitement soignés, etc. À côté de cela, nous avons besoin de règlements qui préservent la santé de nos compagnons, et ce, à tous les niveaux. Nous parlons souvent du haut niveau, mais il faut aussi aller dans les concours amateurs. Il faut des commissaires au paddock aussi dans ces catégories et rester vigilants. C’est un vrai sujet et, si on ne s’en empare pas, je pense que la suite sera difficile pour les générations à venir.
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Comment définiriez-vous le bien-être animal ? Selon vous, quels sont les critères principaux permettant d’apprécier et juger cette notion ?
C’est vaste. Le bien-être animal passe par le fait premier de ne pas faire faire aux chevaux des choses dont ils ne sont pas capables. Ainsi, il faut être conscient de son niveau, et de celui de son cheval, afin de pouvoir évoluer dans une zone de confort. Cela me paraît être la base. Sortis de ce précepte, les problèmes commencent. Il n’y a pas de honte à sauter 1,10m si notre cheval est à l’aise sur ces hauteurs. En revanche, en prenant le départ de parcours à 1,30 ou 1,40m avec un cheval qui n’est pas prêt ou pas en mesure de le faire, là, on se met dans le rouge. Deuxièmement, les soins apportés aux chevaux me semblent importants : bien les nourrir, bien les soigner, au quotidien et en concours. Troisièmement, nous devons faire attention aux artifices que nous utilisons. Nous ne devons pas être trop punitifs et contraignants avec, par exemple, des mors abracadabrantesques. Le matériel que nous utilisons doit aller dans le bon sens, sans être chevalier blanc, parce qu’on ne peut pas monter tous les chevaux en filet simple. Cela n’existe pas, ou alors il y aura un sacré trou dans les engagés. 90 ou 95% des chevaux de Grand Prix ne sont pas montés en filet, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ont des embouchures coercitives. Malgré tout, il faut prêter attention à cela au quotidien et ne pas être dans l’excès.
En matière de bien-être animal, les réseaux sociaux font de la surexploitation de sous-événements. Je prends l’exemple de Mark Todd, un immense cavalier de concours complet. On a pris une vidéo de lui qui mettait deux coups sur la croupe d’un cheval qui refusait d’entrer dans un gué… Je ne dis pas que c’est bien, mais de là à dire que c’est le dernier des monstres… Je pense que les réseaux sociaux ont un rôle maléfique sur le sujet et qu’ils mettent en exergue des sous-événements. J’ai le souvenir de la vidéo de Pénélope (Leprevost, ndlr) qui redresse un peu violemment son cheval parce qu’il a trébuché (Vagabond de la Pomme, lors d’une détente à l’occasion de la finale de la Coupe du monde Longines d’Omaha en 2018, ndlr). Qui ne l’a jamais fait ? Encore une fois, je ne dis pas que c’est bien. Pénélope était presque devenue une sorcière qu’il fallait brûler au bûcher. Ça, c’est les réseaux sociaux. C’est épouvantable.
“Je suis extrêmement dynamique dans la modification de nos agissements vis à vis du climat”
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Ce week-end, il a fait extrêmement chaud à Lyon. Les températures ressenties n’avaient rien de plaisant lorsqu’on sait la menace écologique qui menace la planète Terre. Êtes-vous sensible à cette cause, au réchauffement climatique et aux nombreux rapports qui alertent sur le sujet ?
Nous sommes obligés de l’être. On ne peut pas fermer les yeux et se dire que tout va bien. Là aussi, je crois que c’est une question de mesure et de mise en place. On ne peut pas passer d’un monde qui, pendant des dizaines d’années, ne s’est absolument pas occupé du sujet, à, du jour au lendemain, un monde où tout doit être parfait. Et ce, pour la simple et bonne raison que ce n’est pas possible. C’est parler pour ne rien dire et ne pas être efficace. Bien sûr, nous devons changer nos comportements et être responsables. Je ne suis pas un grand fan de Greta Thunberg ; elle m’agace. Non pas en raison des idées qu’elle prône, puisque je suis assez d’accord avec beaucoup d'entre elles, mais à cause de ses accusations envers la terre entière. Non, les vieux ne sont pas des cons et ne pourrissent pas la vie des jeunes. Ce n’est pas ça la vie, ce n’est pas vrai. Je me méfie des ayatollahs, dans tous les domaines. Je suis contre le fanatisme, qu’il soit religieux, politique ou climatique. Néanmoins, je suis concerné par la chose. Oui, il faut faire attention. Oui, il faut modifier nos comportements. Oui, il faut être responsable. Mon vrai métier est de gérer des fonds d’investissement. Il y a dix ans, nous n’entendions pas du tout parler d’écologie ou d’ESG (critères environnementaux, sociaux et gouvernance, ndlr). Aujourd’hui, tous mes investisseurs me demandent ce que je fais d’un point de vue investissement responsable. La vie a complètement changé. Quand nous achetons une entreprise, nous nous préoccupons de ses émissions carbones, de ses actions en matière écologique, etc. Ce sujet fait partie de la vie et je suis extrêmement dynamique dans la modification de nos agissements. Encore une fois, je ne suis pas pour être ayatollesque, être pointé du doigt et qu’on dise que j’assassine la planète parce qu’un jour j’ai pris un avion. Non. J’ai pris l’avion parce que je n’ai pas pu faire autrement. J’ai horreur des donneurs de leçons, dans tous les domaines. Quoi qu’il en soit, je suis très concerné par l’écologie.
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Photo à la Une : Philippe Léoni et Uhlan Okkomut à Fontainebleau, lors du CSI 4* organisé au printemps dernier. © Mélina Massias.