Sortir des sentiers battus, casser les codes et suivre sa propre voie font définitivement partie des mots d’ordre de Brendan Wise, cavalier américain multi-casquette, qui a fait souffler un vent de fraîcheur sur la toile au printemps dernier. Outre-Atlantique, sur le circuit national de saut d’obstacles, il a présenté Lyric, un cheval avec lequel il se produit également en spectacle, en cordelette, sur des parcours jusqu’à 1,40m. Incitant à utiliser les meilleurs outils en fonction de chaque cheval, dans une démarche saine, viable et sécuritaire, celui qui a grandi, au sens propre comme figuré, entouré d’influences aussi diverses que variées, livre sa vérité et lève le voile sur un système qui détonne et fonctionne.
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À travers sa démarche et son ambition première d’aider les chevaux et leur apporter du confort, Brendan Wise espère pouvoir faire bouger les lignes. “Certaines organisations sont ardemment contre l’idée qu’il y ait autre chose qu’un mors sur la tête d’un cheval. J’aimerais que les gens aient, dans le futur, la possibilité de monter avec l’outil qui convient le mieux à leur cheval, qu’il s’agisse d’un hackamore, d’un side pull, d’un filet sans mors, d’un mors ou de rien du tout, tant que cela reste sécuritaire et viable”, plaide-t-il. “Si Lyric et moi parvenons à prouver que cela est possible, et à un bon niveau, j’espère profondément que les personnes qui ont la main sur les règlements les réexamineront et donneront une chance aux cavaliers de performer d’une manière plus confortable pour leurs chevaux. J’aimerais prouver qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des mors durs pour réussir.”
Au printemps dernier, Brendan et son cher Lyric ont fait “un pas dans la bonne direction” en terminant leur premier Grand Prix à 1,40m, sur le circuit national, en cordelette. Perfectionniste dans l’âme, le cavalier aurait évidemment aimé que cela soit encore mieux, mais se réjouit de sa progression… et de pouvoir la partager aux yeux du monde. “Les réseaux sociaux ont été une aide précieuse. Il y a dix ou vingt ans, il était impossible de mettre en lumière des gens qui font de belles choses en dehors des pistes de compétition. Il y a tant d’excellents cavaliers complètement inconnus du grand public car ils n’ont pas envie d’être sous le feu des projecteurs ou d’aller en concours. Pour autant, ces personnes font des choses incroyables pour les chevaux et n’ont pas toujours la reconnaissance qu’elles méritent. Avec les réseaux sociaux, les gens peuvent voir ce genre de choses, en apprendre davantage sur d’autres systèmes et façons de faire. Je pense qu’il est très important d’utiliser les personnes qui montrent les bonnes pratiques et un entraînement de haute qualité, même en dehors des pistes de compétition, à des fins de sensibilisation. J’aimerais que cela se poursuive, que les gens poussent les limites et collaborent ensemble. Ce n’est pas une compétition entre les entraîneurs pour savoir qui peut faire mieux que qui. Aux Etats-Unis, lorsque j’étais plus jeune, il y avait une vraie rivalité entre les coaches. Je pense que l’ambiance générale est en train de changer et qu’il y a beaucoup plus de coopération. J’adore collaborer avec d’autres personnes, d’autres cavaliers et apprendre d’eux. Je pense que cela pousse notre sport dans la bonne direction”, estime l’Américain.
“Un cheval avec un filet sur la tête peut s’arrêter ou renverser plusieurs barres, les gens ne se formalisent pas ; mes parcours en cordelette sont beaucoup plus scrutés et décortiqués”
En chaussant ses bottes en début d’année pour concourir au niveau national outre-Atlantique, Brendan n’imaginait pas que les vidéos de ses parcours avec Lyric traversent le globe. “Je ne m’attendais pas à cela, du moins pas dans une telle proportion !”, sourit Brendan. “Lorsqu’on sort des sentiers battus, on a forcément des retours. Parfois, ceux-ci sont négatifs. D’autres fois, ils sont positifs. J’avais une vague idée de ce qui allait se produire après ces parcours et je me doutais que nous allions faire tourner quelques têtes, mais il y avait également une énorme pression. Un cheval avec un filet sur la tête peut s’arrêter ou renverser plusieurs barres : les gens ne se formalisent pas. Alors que mes parcours en cordelette sont beaucoup plus scrutés et décortiqués, notamment par les professionnels du milieu. D’une façon générale, les personnes qui ne sont pas professionnelles sont beaucoup plus réceptives, mais il y a encore beaucoup de choses à prouver, et un sentiment constant de pression. Et quand bien même j’essaye de ne pas y penser et de ne pas laisser cela affecter mon équitation, je ne peux pas l’occulter totalement !”
Quant aux critiques qu’il peut recevoir, l’Américain tente d’analyser leur fondement. “Je ne peux que formuler des hypothèses sur ce que pensent les gens, mais j’imagine qu’en ce qui concerne le monde du saut d’obstacles, le succès est jugé en fonction du nombre de classements, de l’argent gagné, des victoires et des flots accumulés. Avec Lyric, je n’ai pas toujours l’ambition de battre le cavalier en tête de l’épreuve ou de lui donner un coup de talon pour sauver une faute. Ce n’est pas mon ambition. J’entre en piste pour offrir à mon cheval la meilleure monte possible et prendre du plaisir, pas pour gagner à n’importe quel prix. Et si nous décrochons un classement au passage, c’est formidable. Mais, aux yeux de beaucoup, ne pas gagner n’est pas suffisant. Pour moi, les classements ne sont pas la seule façon de définir la réussite ou le succès de quelqu’un. Lorsque je suis en compétition et que je regarde des épreuves de haut niveau, voir un cheval heureux dans son travail, une belle équitation, qui soit également efficace, m’enchante plus que tout autre chose. Oui, voir un barrage disputé et des cavaliers aller vite est excitant, mais, si cela pouvait aussi se dérouler dans l’intégrité la plus totale des chevaux, ce serait d’autant plus intéressant à mes yeux. Pour moi, ces critères sont plus importants à prendre en compte dans la définition de ce qui est bon ou non dans le sport. Une large portion du public n’a pas envie de voir les sports équestres perdurer et souhaite que nous arrêtions tout. Nous devons être vigilants à cet égard. Tirer sur la corde pour gagner tout le temps n’est pas dans l’intérêt des chevaux. Si nous parvenons à trouver une façon d’être compétitif tout en respectant l’intégrité des chevaux, tant mentale que physique, je pense que nous serons sur la bonne voie. Est-ce que le travail sans filet est la réponse à cette problématique ? Non, pas nécessairement. En revanche, c’est un moyen de montrer aux gens que l’on peut faire les choses mieux, différemment. Si cela peut avoir ne serait-ce que cette influence, je pense que ça en vaut la peine.”
Le juste équilibre
Comptant sur deux chevaux de tête - dont Lyric - pour ses représentations, Brendan doit être d’autant plus attentif à ses sorties. “J’ai deux chevaux de tête en ce moment, avec lesquels je prends part à des démonstrations. Lyric est celui qui est le plus avancé dans le travail à l’obstacle, mais je compte aussi sur Arwen une Espagnole, qui se consacre davantage au travail avancé en dressage. Elle saute aussi sans filet et elle et Lyric se complètent bien. Arwen peut toutefois être assez délicate. Elle est très chaude et sensible, mais se comporte très bien dès lors que je peux prendre mon temps avec elle. En nocturne, ou lors de manifestations où il y a beaucoup de public, de musique et de bruit, elle a plus de mal”, explique-t-il. “Il est très difficile de trouver le bon équilibre entre les spectacles et les compétitions pour Lyric, car sa santé est toujours ma priorité. On ne peut pas courir tous les lièvres à la fois. S’il y a un vrai dilemme, je garde toujours à l’esprit que les représentations restent ma source de revenus principale. Pour pouvoir concourir, je dois avoir les finances nécessaires pour le faire. Et tout cela est bien loin d’être gratuit, surtout aux Etats-Unis ! Pour l’instant, je ne suis pas à un stade où je gagne de l’argent en concours. J’y vais en sachant qu’une large facture m’attend à la fin du week-end ! (rires)” L’Américain ambitionne de continuer à développer son travail sans filet en compétition aussi loin que possible, sans s’empêcher d’utiliser un mors, et rêve de s’associer à d’autres personnes partageant sa vision afin de trouver une pérennité financière.
“Lorsque je pense au bien-être de mes chevaux, les premières choses qui me viennent en tête sont le respect de leur intégrité physique et mentale. La première est peut-être plus facile à définir. J’essaye de faire en sorte que le travail que j’effectue avec mes chevaux contribue à allonger leur carrière, pas à la réduire. D’ailleurs, c’est l’une des réflexions qui m’a fait m’éloigner des disciplines western. Je ne voyais pas d’avenir à la façon dont j'entraînais mes chevaux. Cela est devenu une question morale : dois-je continuer sur ce chemin si je sais, avec certitude, que cela va raccourcir la carrière de mon cheval ? Si nous pouvons pratiquer le saut d’obstacles tout en promouvant et préservant la longévité des chevaux et en leur permettant d’être en meilleure forme générale, ce qui est le principe de base du dressage, c’est une bonne chose”, développe Brendan. “Ensuite, on veut que nos chevaux aiment ce qu’ils font, qu’ils soient heureux de le faire. La façon dont nous les entraînons, en travaillant sur certains problèmes et autres difficultés, joue sur ce point. Parfois, certains chevaux ont aussi besoin d’un changement de carrière ! (rires) Si un cheval n’aime pas ce qu’il fait, que fait-on ? Je n’ai pas envie que la pression financière et sportive outrepasse le mental et le plaisir de mes chevaux au travail.”
Exemple parmi d’autres, Brendan Wise permettra peut-être de continuer à faire évoluer les consciences. “L’ouverture d’esprit grandit, rapidement, du moins aux Etats-Unis. Est-ce assez ? Non. Mais il y a du changement dans l’air”, conclut-il. “De temps en temps, il y a des histoires de personnes faisant des choses atroces qui émergent, mais je découvre de plus en plus de personnes qui ont à cœur de bien faire. Je pense que l’ouverture d’esprit va continuer à grandir et je suis optimiste pour l’avenir.”
Photo à la Une : Brendan Wise et Lyric en sortie de piste à Ocala. © Andrew Ryback Photography