Ella Yunjing Wang, ou l'ascension éclair d’une pionnière chinoise
Une cavalière presque inconnue du grand public, juchée sur une minuscule jument grise de treize ans, aperçue dans un seul Grand Prix 5* au cours de sa carrière. Toutes deux s’élancent sur la piste des championnats du monde de Herning, où les meilleurs mondiaux ont pris date. Deux parcours sans-faute plus loin, la paire entre dans l’histoire, en devenant la première à signer un parcours parfait, de niveau 5*, à 1,60m, pour la Chine. Ella Yunjing Wang et sa chère Quidamia D ont frappé fort à Herning. À vingt-quatre ans, la sympathique et discrète amazone a montré une magnifique équitation, après avoir posé ses valises en Europe il y a de cela une poignée d'années. Epaulée par l’Allemand Meike Patrick Leichle, son entraîneur, la jeune femme touche du doigt ses rêves et a connu une progression exceptionnelle, qui lui laisse entrevoir un avenir radieux. Jusqu'à Paris 2024 ?
Lors des Mondiaux de Herning, tout le monde a retenu le double sacre d’Henrik von Eckermann et son King Edward. En début de semaine, une jeune amazone, presque inconnue du grand public, a pourtant suscité la curiosité des spectateurs. Discrète, précise et en parfaite harmonie avec sa monture, Ella Yunjing Wang a d’abord déroulé un bon parcours de Chasse, lent, certes, mais sans-faute, avant de réitérer sa prouesse lors de la première manche de la Coupe des nations. À vingt-quatre ans, la sympathique Chinoise est devenue la première cavalière de sa nation à signer un sans-faute sur un parcours de niveau 5* à 1,60m. “Je crois que beaucoup de Chinois étaient fiers après ce qui s’est passé à Herning. J’espère que cela permettra de faire avancer le sport dans mon pays, et poussera les gens à comprendre et s'investir davantage dans notre discipline”, se projette Ella. “Je crois que beaucoup d’enfants ou de familles chinoises pensent que le sport est si en retard chez nous qu’il n’y a pas de chemin possible pour percer. Imaginer réussir en saut d’obstacles est fou. Le fait que je sois la première Chinoise à réussir un sans-faute à ce niveau prouve à quel point nous sommes derrière les autres nations. Personne n’aurait cru que c’était possible. Alors, j’espère sincèrement que plus de personnes vont se rendre compte qu’il y a des possibilités et donner le meilleur d’eux-mêmes pour atteindre leurs objectifs.”
Fraîchement diplômée de l’équivalent du baccalauréat en Chine, Ella débarque en Europe en 2017 pour poursuivre ses rêves. À l’époque, la jeune femme confie n'évoluer que sur de modestes épreuves, entre 1,30 et 1,40m, d’un niveau de technicité bien différent. En l’espace d’une poignée d’années, elle a ajouté près de trente centimètres aux obstacles qu’elle franchissait alors, pour tutoyer l’élite mondiale. Cette progression éclair, elle la doit en partie à son entraîneur, l’Allemand Mike Patrick Leichle, lui-même cavalier et ayant principalement évolué jusqu’en Grands Prix 3 et 4*. “Nous sommes évidemment très fiers d’Ella. Tous les cavaliers ont des ambitions, mais pour Ella, sa capacité à rester calme, à écouter et à se concentrer sur ce qu’elle doit faire en piste font la différence. Le premier jour, à Herning, on sentait qu’elle n’était pas encore complètement détendue. C’est normal. Pendant ce parcours, elle a senti que sa jument sautait avec aisance. Elle s’est ensuite fait confiance et lors de la première manche de la compétition par équipes, elle n’avait plus de doute, était libre mentalement et motivée. Sa confiance était à son maximum et elle anticipait ce qui allait se passer. C’était très, très bien. Je suis très fier. Si tout continue ainsi, je crois qu’elle deviendra une excellente cavalière d’ici quelques années”, assure sans détour le coach germanique.
“En Chine, nous montions principalement des chevaux de course réformés”, Ella Wang
En Chine, où les sports équestres et la culture sont bien différents de ce qui se fait en Europe, la jeune Ella part à la découverte des équidés grâce à son père, Lei Wang. “Je devais avoir dix ans la première fois que je suis montée sur un cheval”, se souvient-elle. “C’était en Chine. Mon père adorait monter. Les week-ends et après l’école, il m’amenait avec lui aux écuries. J’ai commencé comme cela, doucement, pour m’amuser. Plus tard, j’ai commencé à m’intéresser davantage à l’équitation, et à monter de plus en plus. Toutefois, tout était différent en Chine. Le sport n’y est pas très développé. Nous montions principalement des chevaux de course réformés, donc il n’était même pas question de saut d’obstacles ou autres disciplines. Nous nous sommes ensuite rendus dans des structures un peu plus professionnelles, où j’ai commencé à sauter de petits obstacles et participer à quelques compétitions. Je crois que je me suis réellement intéressée au sport grâce aux Jeux olympiques de 2008 (organisés à Hong Kong, ndlr). C’était la première fois que la Chine avait des compétiteurs dans les épreuves équestres et cela a attiré beaucoup de personnes : c’était quelque chose de totalement nouveau. Une fois mon cursus scolaire au lycée terminé, je suis venue en Europe. C’était il y a cinq ans. Là, j’ai réellement commencé à monter à cheval, tous les jours, et à m’entraîner plus sérieusement. C’est très différent de comprendre le sport et de monter pour le plaisir.”
Avant d’accueillir Ella, Mike Leichle supervisait déjà Reana Leung, une autre cavalière ambitieuse, originaire de Hong Kong. Après avoir participé à plusieurs championnats asiatiques, cette dernière s’était frayé un chemin jusqu’à la finale de la Coupe du monde Longines de Göteborg, en 2013, puis aux Jeux équestres mondiaux de Caen, grâce au Selle Français Orphée du Granit. “Les familles d’Ella et Reana se connaissaient bien. Ils m’ont donc présenté Ella, qui est venue s’entraîner quelques semaines. Je crois qu’elle a apprécié l’expérience, et qu’elle a compris qu’elle pouvait apprendre beaucoup”, détaille l’Allemand. Et Ella de compléter : “La première année où je suis arrivée, mes parents m’ont accompagnée, car c’était la première fois que j’étais loin de la maison. J’ai également une très bonne amie ici (Reana, ndlr), qui montait avec mon entraîneur. C’est l’une des raisons qui m’a poussée à le choisir comme coach. Et puis, tout a bien fonctionné entre nous. Ce sont des personnes adorables et j’ai tout ce dont j’ai besoin ici. Alors, je suis restée.”
Nouveau départ, dans un nouveau monde
En posant ses valises en Allemagne, Ella a découvert un nouveau monde. Pourtant, tout a été très vite pour la cavalière. “La première chose que j’ai faite avec Ella a été de lui donner confiance. Ensuite, elle avait besoin de bons chevaux, ce que nous avons trouvé. Je choisis les bons concours pour elle, afin qu’elle puisse continuer à prendre de l’assurance, tout en étant suffisamment spéciaux pour qu’elle puisse apprendre à gérer la pression et à monter correctement ses parcours. Nous avons pris part à de nombreux concours ces cinq dernières années. Elle a grandi très vite. Ella est très patiente. Elle écoute avec attention ce que je lui dis. Je pense qu’elle a confiance en ce que je lui dis, ce qui est positif. Cela rend mon travail beaucoup plus facile. Elle n’a aucun doute. Elle aime travailler et suit toujours mes conseils en piste. Elle s’intéresse énormément aux chevaux et à son ressenti avec eux. Elle va devenir une vraie femme de cheval”, loue Mike Leichle.
Chaque jour, la jeune femme, titulaire depuis 2021 d’un diplôme en gestion et en économie, monte à cheval, sous l’œil de son entraineur. “J’ai beaucoup de chance de toujours avoir de bons chevaux et que mon entraîneur m’aide à m’occuper de tout”, sourit-elle. En débarquant à Schnarup-Thumby, au Nord de l’Allemagne, non loin de la frontière danoise, Ella a découvert un nouveau monde. “Rien n’est comparable, entre ce que j’ai connu en Chine et le fonctionnement en Europe. En Chine, le sport commence à se développer un peu, mais lorsque j’ai commencé, c’était très sommaire. Cela s’améliore petit à petit, et de plus en plus de personnes s’investissent. Même si le Covid a mis à l’arrêt tous les événements internationaux, nous avions un peu plus de concours, quelques 3* et même un 4*. Malgré tout, il y a une immense différence, puisqu’il n’y a pas d’historique en Chine”, confie la cavalière.
En deux ans à peine, Ella a gravi les échelons, prenant part à son premier Grand Prix 2* en novembre 2017, puis à son premier 5* en début d’année suivante… à Shanghai ! Un concours qui lui avait permis, quelques années en arrière, d’assister pour la première fois à une compétition de saut d’obstacles de haut niveau, et de voir son idole, Daniel Deusser. “C’est mon cavalier préféré de tous les temps”, sourit-elle. “Je l’ai vu la première année où le Global Champions Tour à organisé une étape à Shanghai, en 2015. Je n’étais pas encore installée en Europe et je n’avais jamais vu de 5* en vrai. C’était l’un des événements les plus importants auquel j’assistais. Je l’ai vu monter et il était fantastique. Le niveau des cavaliers était complètement différent et j’ai toujours apprécié Daniel Deusser depuis ce jour.” Sans griller les étapes, l’amazone a poursuivi sa progression, aidée par un piquet de chevaux pour lequel elle ne tarit pas d’éloges, jusqu’à décrocher sa qualification pour les Mondiaux de Herning, grâce à un parcours sans-faute dans la Coupe des nations du CSIO 5* de Sopot, déroulé après des débuts prometteurs dans le Grand Prix.
Quidamia D, la révélation
Cette performance en terres polonaises, Ella l’a réalisée grâce à sa chère Quidamia D, véritable perle découverte un peu par hasard, fin 2019. “C’est assez drôle. Mon entraîneur l’a trouvée sur Facebook ! (rires) Son ancienne cavalière (Hélène Delhaye, ndlr) avait sauté un très bon parcours lors d’un concours national en Suisse et avait partagé la vidéo. Mon coach l’a vue et a dit qu’il fallait qu’on aille l’essayer. Hélène monte très bien et forme de nombreux jeunes chevaux. Elle a eu Quidamia très jeune et l’a conservée jusqu’à ses dix ans. Je ne suis que la deuxième cavalière de Quidiamia, alors cela rend l’aventure encore plus spéciale. Lorsque je l’ai vue pour la première fois, elle était toute petite. Quand je l’ai montée, j’ai tout de suite eu le sentiment qu’elle pouvait tout sauter et qu’elle faisait de son mieux. Je l’ai achetée et nous avons commencé doucement. Elle est très respectueuse et n’avait pas beaucoup d’expérience donc nous avons pris notre temps. Elle est particulièrement intelligente et capable de tout faire. En raison de son grand respect, elle est un peu peureuse, mais nous avons vraiment travaillé sur cela et nous nous faisons désormais confiance. Elle est incroyable depuis le départ”, savoure la représentante chinoise. “Depuis que je l’ai achetée, il y a peut-être une centaine de personnes qui m’ont demandé s’il était à vendre : elle ne l’est pas. Après Herning, beaucoup de cavaliers sont venus me voir. Je leur ai dit qu’ils devraient me tuer s’ils voulaient avoir Quidamia (rires).” Propriété de Lei Wang, le père d’Ella, la jument de treize ans, enregistrée au stud-book du cheval de selle luxembourgeois, va donc permettre à son amazone de poursuivre ses objectifs.
Pourtant, au premier abord, la jolie grise, née dans les prairies de Philippe Berthol, également propriétaire de… Cayman Jolly Jumper, ne paie pas de mine. Mais, une fois lancée au galop sous la selle de sa cavalière, la fille de Quidam de Revel semble déployer ses ailes pour s’envoler au-dessus des immenses obstacles qui se dressent devant elle. Une impression intensifiée par la connexion et la complicité qui l’unissent à sa cavalière. “Ma jument est vraiment fantastique. Je ne suis pas la meilleure cavalière qu’elle puisse avoir, mais nous avons déjà beaucoup accompli toutes les deux, et nous allons continuer”, sourit Ella. En plus d’avoir brillé à Herning, toutes deux s’étaient déjà classées quatrièmes des championnats asiatiques de Pattaya, en 2019. Avant son éclosion danoise, la paire n’avait disputé qu’un seul et unique Grand Prix 5*, à Sopot, et deux au niveau 4*. Alors, même si l’aventure des Mondiaux 2022 s’est conclue sur un abandon face au très relevé parcours de la finale par équipe, le bilan n’est que positif pour Ella et sa géniale camarade.
Objectif Paris 2024
“Herning est un souvenir extrêmement marquant. C’était vraiment différent des autres concours, qui n’ont rien à voir avec ce que j’ai vécu là-bas. La pression et le format sont différents. C’est un vrai championnat, où l’on monte à côté de cavaliers d’exception”, analyse Ella. “On ne voit pas seulement comment ils montent en vrai, mais aussi comment ils reconnaissent les parcours, comment ils gèrent leurs chevaux, etc. Tous les chevaux sont différents : certains sont un peu plus calmes, d’autres un peu plus dans le sang. Le simple fait de voir comment les cavaliers font tout ça et les équipes qui les soutiennent est inoubliable. C’est quelque chose que je n’avais jamais vraiment vu avant.”
Avant de penser à la suite, la reine Quidamia va profiter de quelques vacances bien méritées. De son côté, Ella va poursuivre son ascension fulgurante. Pouvant compter sur quelques bonnes montures - toutes propriétés de son père, pour l’instant - pour l’aider à atteindre ses objectifs, malgré les aléas du sport, la Chinoise espère ne pas s’arrêter en si bon chemin. “J’ai plusieurs bons chevaux, dont une nouvelle jument que nous venons d’acheter et qui saute déjà des Grands Prix 3*, mais certains ont été arrêtés et reprennent la compétition. Je dois donc de nouveau former un bon groupe. Nous irons sans doute faire une tournée à l’automne. Mais nous n’allons pas trop en faire cette année. J’ai une excellente jument et je pense que nous allons nous concentrer sur l’année prochaine, et la suivante, celle des Jeux olympiques de Paris. Quidamia est tellement spéciale que j’aimerais décrocher une place pour la Chine à Paris et, avec un peu de chance, participer à cet événement”, se projette la jeune femme, qui s’adonne à la guitare, la peinture et l’écriture pendant son temps libre. Pour tenter de conquérir la capitale française, Ella Wang pourra toujours compter sur son entraîneur qui espère bien faire un beau voyage en 2024. “Nous allons sans doute essayer d’obtenir une qualification pour les Jeux olympiques. C’est une possibilité, mais nous devrons aussi voir si la Chine nous soutient en nommant Ella ensuite”, note Mike Leichle. “Nous verrons comment seront les chevaux, comment les choses évoluent dans le futur et si Ella parvient à avoir quelques sponsors pour l’aider. Mais je pense qu’un bel avenir l’attend.”
Crédit photo : © Sportfot. Photo à la Une : Ella Wang et Quidamia D aux Mondiaux de Herning après leur second sans-faute.