"Je me sens encore loin d'être arrivé", Edward Levy
Le pilote a encore tout à prouver bien qu'il soit bien lancé.
À vingt-sept ans, Edward Levy n'a plus rien d'un rookie des CSI 5*, il compte déjà bon nombre de victoires à ce niveau là. Pourtant, le Normand ne cache pas son envie de participer pour la première fois à un championnat majeur, que ce soit une finale Coupe du monde, les Mondiaux ou les Jeux olympiques, mais pas à n'importe quel prix. Prudent, patient mais optimiste, il construit encore l'avenir en rêvant des sommets.
Comment allez-vous en ce début d'année 2022 ?
J’ai fini les concours après Londres. Aux écuries tout va bien, les chevaux sont plutôt en forme. C’est une période que j’aime bien parce qu’on peut s’occuper des jeunes chevaux avec toute mon équipe. Au total, on en a vingt-cinq et j’en monte une petite quinzaine en piste, des cinq ans aux chevaux d’âge. J'en ai quatre à cinq qui me permettent de sauter les gros parcours. En terme de nombre, c'est plutôt pas mal.
Vous avez connu pas mal de réussite en 2021, est-ce qu'il y a une performance qui vous a particulièrement marquée ?
Il y a eu ce week-end assez incroyable au Paris Eiffel Jumping avec la victoire dans le Grand Prix dominical, la sixième place dans le Grand Prix du Global Champions Tour le samedi et les deux victoires dans les épreuves de la Global Champions League. Ca avait été un week-end assez fort, néanmoins il y a aussi eu pas mal de bons moments comme dans le sans-faute et le classement dans Grand Prix 5* de Dinard, qui est pour moi l’un des plus beaux de l’année, avec Uno de Cerisy (Open Up Sémilly) et la troisième place dans le Grand Prix 5* de Londres avec Rebeca LS (Rebozo). J’ai la chance d’avoir un piquet de chevaux assez fourni et compétitif pour pouvoir réaliser de bons classements au fur et à mesure de l’année.
Avec trois victoires sur quatre épreuves courues, le Paris Eiffel Jumping reste l'un des meilleurs souvenir d'Edward au cours de l'année 2021 © Sportfot.com
Parmi ces belles performances, il y a eu la sixième place dans l'étape de la Coupe du monde de Lyon qui vous a permis de marquer quelques points. Vous pourriez éventuellement vous qualifier si vous marquiez des points à Göteborg. Est ce que c'est quelque chose que vous ambitionnez. Si oui, avez quel cheval pensez-vous y aller ?
Je devais aller à Malines et à Bordeaux mais les deux étapes ont été annulées, il ne reste que Göteborg. Il faudrait que je fasse un bon classement là-bas pour pouvoir y prétendre. Après Lyon, j'étais allé à Londres où j'ai malheureusement fait une faute en fin de parcours ce qui m'a privé de points, c'est le sport. Je ne fais pas de la finale quelque chose d'obsessionnel. Si je n'y vais pas, il y a de très beaux concours comme 's-Hertogenbosch et le Saut Hermès (sous réserve qu'ils n'annulent pas à leur tour) avant d'attaquer les concours extérieurs.
La généreuse Rebeca est aujourd'hui l'une des juments de tête d'Edward © Sportfot.com
Je dois dire que Rebeca saute en ce moment d’une manière assez incroyable. Si jamais je devais en être, ce serait avec elle. Rebeca fait partie de ces chevaux qui plus ils sautent, mieux ils sautent. C’est d'ailleurs souvent ce qui défini les vrais bons chevaux : sauter ne leur coûte pas trop, ça leur apporte. Par exemple à Londres, la jument a sauté les deux Grands Prix d'affilée. C'est tout à fait faisable puisque pas mal de chevaux l’ont fait mais ça demande un certain effort de sauter deux gros parcours sur deux jours d’affilée. Le deuxième jour, elle était encore plus en jambes, encore plus sûre d’elle. En plus, comme elle est extrêmement rapide, elle peut être compétitive dès la Chasse. Mais bon, on en est encore très loin.
C'est encore compliqué de se projeter avec les aléas de la pandémie...
Exactement, c’est pour ça que je garde des petites choses dans un coin de ma tête. J’essaye de faire des plans à plus ou moins long terme pour savoir où je me dirige avec mon équipe mais il reste toujours entre 15 et 20% d’inconnu quant à ce qu’il va se passer.
En parlant de la France, il y a du mouvement au sein de l'encadrement fédéral, est ce que vous vous êtes à l'aise avec ceci ?
Disons que ça bouge pas mal mais il y a des personnes déjà présentes cette année qui vont rester en poste et qui vont nous permettre de garder nos repères. Je me suis toujours très bien entendu avec les différents entraineurs que j’ai eu dans ma jeune carrière. J’ai toujours eu l’impression qu’il y avait la volonté de mettre en avant des jeunes cavaliers ainsi que de bons chevaux et de leur donner de l’expérience. Et puis, j’ai la philosophie de dire que la vérité, c’est la vérité de la piste. On peut débattre pendant des mois sur le staff, ce qu’il faut faire ou ne pas faire mais quand on a de bons chevaux et que les résultats sont là, on est amené à faire des choses par équipe. Quand les chevaux sont en moins bonne forme et que les résultats sont un peu moins présents, on essaye de s’améliorer et on ne fait des concours que pour soi. Ce n'est pas plus compliqué que cela à mon sens.
Edward aux côtés de Kévin Staut © Sportfot.com
On entend souvent les gens se plaindre de ne pas décrocher de sélection. Vous, au contraire, vous pensez qu’elles arrivent logiquement…
Pour éviter de perdre de l’énergie, je simplifie un peu mais il y a rarement une injustice en France. Quand on est bon et que l’on a des résultats, on est souvent appelé et on a notre chance. Quand on confirme cette chance là, on a d’autres possibilités. Si on est en méforme, à nous de nous bouger, de trouver les failles et de nous remettre en question pour retrouver les résultats. Ce ne sont pas les discussions de couloir qui font avancer, c’est la piste.
La réalité, c’est tout de même que la France peine à obtenir des médailles lors des grands rendez-vous. Comment expliquez-vous cela ?
Pour ce qui est des résultats, je pense que l'on est dans un changement générationnel de chevaux. Nos cavaliers les plus expérimentés n’ont pas les mêmes chevaux qu’à une certaine époque. Peut-être aussi que les chevaux les plus qualiteux sont chez des cavaliers qui manquent encore un peu d’expérience ou qui n’ont en tout cas pas l’expérience de nos cavaliers les plus capés. Ce changement peut expliquer que lors des grands championnats où rien n’est laissé au hasard, où les meilleurs cavaliers sont présents avec leurs meilleurs chevaux, on se retrouve à une ou deux barres du podium. Je ne suis pas du tout catastrophé par cela. Je trouve que l’on a des chevaux en devenir et les cavaliers sont toujours aussi motivés. Je suis sûr que cela va revenir rapidement.
S'il a déjà porté la veste de l'équipe de France à plusieurs reprises, Edward n'a encore jamais participé à un championnat Sénior © Sportfot.com
De mon côté, créer un piquet de chevaux pour pouvoir participer à ces grandes échéances est un grand objectif sportif que j’essaye de mettre en place avec mes différents partenaires. C’est vraiment dans nos priorités et c’est ce sur quoi je vais beaucoup bosser dans les prochains mois.
Avez-vous déjà les chevaux qui pourraient être prédestinés aux grosses échéances au sein de votre écurie ?
J’ai quelques jeunes chevaux qui pourraient prétendre à ce profil de concours là, maintenant il y a encore du travail. Je suis assez pragmatique, j’essaye de ne pas avoir des rêves inutiles donc j’attends de voir leur évolution avant de me projeter. Il me semble avoir plusieurs jeunes chevaux qualiteux et prometteurs, je pense à Jecibelle I du Seigneur (Boyfriend du Seigneur), Jolie Mome du Seigneur (Don't Touch Tiji Hero) ou Junior du Seigneur (Eternity du Seigneur). Il y en a aussi d'autres un peu plus âgés comme Catchar Mail (Diamant de Sémilly), Igins du Seigneur (Inshallah de Muze) et Confidence d’Ass (Diamant de Sémilly), une jument de neuf ans qui a beaucoup performé cette année et qui devrait commencer les épreuves à 1,50m et 1,55m en 2022. J’ai tout un groupe de chevaux de sept à neuf ans qui a l’air de montrer plein de qualité. Il y a aussi Uno qui a un bon profil pour courir les Coupes des nations dans le sens où il répète les sans-faute, qu'il saute bien les rivières et qu'il est à l'aise sur l’herbe, il l’a prouvé à plusieurs reprises. C’est un cheval qui peut totalement aider une équipe.
Edward peut compter sur plusieurs jeunes chevaux de l'élevage du Seigneur pour construire l'avenir © Sportfot.com
Toutefois dans un championnat, les meilleures nations alignent souvent des chevaux d’exception. J’ai la chance d’avoir des partenaires fidèles et passionnés avec moi, espérons que cela crée par la suite un piquet de chevaux pour accéder à ces échéances là.
Vous parliez de Catchar Mail, il a justement couru sa première Coupe des nations à Vilamoura l'automne dernier (4+8). Fait-il partie des chevaux sur lesquels vous pourriez vous appuyer au plus haut-niveau ?
C’est un cheval qui a demandé d’être un petit peu patient parce qu'à l'image de tous les chevaux respectueux, il faut savoir les amener comme il faut vers les gros parcours. Il s’est pas mal allégé dans sa manière de faire ces derniers mois mais il n’est pas encore arrivé à son pic de maturité, il dispose encore d'une bonne marge d’amélioration. Je pense que c’est un cheval qui va faire du très haut-niveau. Je vais prendre le temps et démarrer l’année sur des épreuves à 1,45m et 1,50m avant de repartir progressivement sur plus gros. J’espère pouvoir sauter en milieu d’année des Grands Prix 4* et pourquoi pas 5*.
Le puissant fils de Diamant de Sémilly et Katchina Mail pourrait courir son premier Grand Prix 5* en 2022 © Sportfot.com
Vous avez l'air de prendre particulièrement le temps de le construire ?
Quand on dispose d’un piquet déjà mûr avec des chevaux comme Sirius, Rebeca et Uno, on peut se le permettre ou du moins, c'est plus facile de patienter avec les autres. Toutefois même si je ne disposais pas de ces chevaux là, je me forcerais à être patient. A huit ou neuf ans, on peut vite aller trop vite. Il faut savoir parfois répéter un parcours sur les mêmes hauteurs quitte à se dire à la fin « bon je me suis un peu ennuyé j’aurais pu faire plus haut » mais il vaut mieux se dire « j’aurais pu faire plus haut » que « j’aurais du faire plus bas ». Je prends donc mon temps. En ce qui concerne Catchar, Bernard Le Courtois, son propriétaire et éleveur, me fait 100% confiance et c’est très agréable. Il voit que le cheval avance dans le bon sens. Je pense qu’il va arriver à haut-niveau cette année, il aura dix ans.
Est-ce que ce sont les chevaux qui vous ont manqué jusqu'à présent pour accéder à ces échéances là ?
Non, je pars du principe que si je n’ai pas encore couru un championnat du monde ou les Jeux, c’est à cause de mon équitation. Je n’aime pas me cacher derrière les chevaux. Peut-être que si Marcus Ehning ou Steve Guerdat avaient eu le même cheval, il aurait fait un championnat. Je mets toute mon énergie et ma motivation dans l’amélioration de mon équitation et de ma technique pour pouvoir optimiser mes chevaux et tirer le meilleur d’eux-mêmes. J’ai le sentiment d’avoir progressé l'année dernière. Je ne veux pas me relâcher et continuer de travailler dans cet esprit là. Il me manquait aussi un peu d'expérience -bon je n’ai pas non plus dix-huit ans- mais la France disposait d'une équipe très solide, c’était difficile de débarquer dans les grands championnats mais comme il s'agit de l'un de mes grands objectifs, je compte bien y arriver !
Qu'entendez-vous par le fait d'améliorer votre équitation ?
C’est tout un système : classicisme, position -parce qu’une bonne position rend efficace-, travail sur le plat… Bon ce sont des choses un petit peu basiques mais parfois quand cela fait un certain temps que l’on pratique ce métier, on est peut-être un peu moins vigilant. On fait toujours attention à l’amélioration de nos chevaux mais un peu moins à la nôtre. Bertrand de Bellabre me suit toujours, mais j’ai également commencé à travailler avec Bruno Rocuet. Bruno m’a vraiment mis un petit électrochoc quant à l’évolution de mon équitation.
© Solène Bailly
Un électrochoc ?
Oui par exemple : « les choses mises en place pour arriver à tes objectifs ne suffisent pas ». C'est cru mais cela fait avancer. En coulisse on peut se dire ces choses là, c’est ce qui donne envie de se dépasser, de travailler plus fort. En plus, j’ai de la chance parce que j’ai beaucoup de chevaux, je n’ai pas besoin de leur imposer quelque chose de plus dur. J'ai simplement besoin d’être plus assidu de manière permanente sur moi-même. Pour eux ça ne change rien.
Comment est ce que vous avez commencé à travailler avec Bertrand et Bruno ?
Bertrand me fait travailler depuis six ans, c’est vraiment un pilier dans mon système. Il était encore là il y a très peu de temps, on en a profité pour travailler les jeunes chevaux avec mon cavalier. Bertrand est quelqu’un de très classique, très posé, très progressif avec les chevaux. A aucun moment on ne va se dire « mince, on a été trop loin ». Il va dans le sens du cheval et comme c’est aussi ma manière de faire, on s’entend très bien.
L'expérience de Bruno Rocuet a été profitable à Edward cette saison © Sportfot.com
Avec Bruno, ça s’est fait tout à fait par hasard : on a discuté un jour et sa vision technique m’avait beaucoup intrigué, je trouvais qu’il avait mis le point sur beaucoup de choses, je l’ai rappelé le soir-même en lui demandant si je pouvais venir travailler et hop. J’y allais un peu comme un stagiaire, avec ma selle quand je ne l’oubliais pas (rires), c’était assez drôle. Je montais un peu des jeunes à lui, il y avait une ambiance donnant donnant et c’est ce qui est assez passionnant.
Finalement c'était un petit retour en arrière !
Oui et c’est ça qui est intéressant. Même quand on arrive à un certain niveau, on peut toujours apprendre, toujours faire plus, on est jamais vraiment arrivé. C’est quand on commence à être moins passionné d’évoluer que c'est le début de la fin.
Vous avez désormais vingt-sept ans et cela fait déjà un petit moment que vous évoluez sur les CSI 5*, est-ce que vous vous épanouissez au plus haut-niveau ?
Oui beaucoup. Je m’épanouis avec les chevaux au quotidien. Je me lève tous les matins vraiment heureux de faire ce que je fais. Je suis dans la région que j’aime avec les personnes que j’aime dans de superbes installations qui nous permettent de bien travailler. Je suis aussi très heureux de pouvoir faire du sport de haut-niveau. Il y a une vraie adrénaline quand on fait ces concours là tous les week-ends et que l’on a la chance d’avoir les chevaux pour les faire. Je profite à fond même si j'ai des objectifs assez élevés et que je me sens loin d’être arrivé. Evidemment, on est pas surhumain, il y a des moments dans la saison où ça devient assez intense. A peine rentré de concours, on travaille dur du lundi au mardi et on repart parce qu’il y a beaucoup de transports… Là par exemple, les trois semaines et demi de break après Lyon ont été bénéfiques. De pouvoir se poser, de dormir dans son lit plus de deux nuits de suite.. Ça fait du bien.
C'est à Lécaude, situé à quelques kilomètres de Deauville, que le Normand construit sereinement son avenir © Solène Bailly
Pendant des années, les cavaliers ont traversé la planète tous les week-ends. Même après la pause forcée par le confinement, cela a repris de plus belle. Est ce que vous pensez que cela va continuer encore longtemps ?
Oui je pense, le sport de haut niveau est comme ça, il amène les voyages. En Formule 1, ils traversent la planète de week-end en week-end tout comme dans le football, même si les ligues nationales font qu’ils bougent un peu moins. Je pense que ça va continuer comme cela dans les sports équestres. Il a l’air quand même de se créer un système de tournées avec beaucoup de concours au même endroit deux ou trois semaines de suite, ce qui va peut-être stabiliser les déplacements. Je crois qu’on va rester dans ce fonctionnement là. En tout cas, je n’ai pas vu de signes qui montreraient le contraire.
Est ce que le fait d’avoir de longues tournées comme à Grimaud, Oliva ou Vilamoura est confortable pour vous ? Ou est-ce que vous préférez changer ?
Disons que c’est les deux. C’est toutefois une vraie chance d’avoir Grimaud quand on est un cavalier français. En termes d’accessibilité, ça nous permet d’avoir des 4* et des 5* en permanence, on peut le dire même si pour les étrangers il y a quand même des sélections avec des quotas beaucoup plus resserrés. Quoiqu'il en soit, c'est génial d'avoir des outils de travail où il y a de bons sols, de grands paddocks, un manège où travailler sur le plat. Quand on est deux ou trois semaines au même endroit, il y a un côté répétitif mais ça n’enlève rien à la difficulté des parcours et à la qualité des chefs de piste. C’est hyper compétitif, ça fait évoluer. On arrive là-bas en sachant qu’on va passer de toute façon un bon week-end de sport, dans de bonnes conditions, c’est une vraie chance.
Les concours de l'Hubside Jumping organisés à Grimaud par Sadri Fegaier ont permis aux cavaliers de bénéficier d'infrastructures de qualité dans un contexte fortement perturbé par la pandémie © Sporfot.com
Personnellement j’adore changer, aller d’un concours à l’autre, changer de piste, d’univers, d’endroit, c’est aussi la richesse de notre sport. C’est sûr que quand on arrive dans un Grand Prix comme celui de Dinard ou de La Baule qui n’arrive qu’une fois par an, il y a beaucoup de monde, une certaine ferveur… Il y a le côté magique et le côté professionnel.
Qu'est ce que l'on peut vous souhaiter pour 2022 ?
D’être toujours aussi motivé et d’avoir mes proches en bonne santé ce serait déjà pas mal ! Le sport a ses aléas avec des hauts et des bas, il faut arriver à rester toujours motivé et passionné. Quant aux résultats... on arrivera à se débrouiller (rires).
Photo à la Une : Sportfot.com