Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, la carrière d’Eddy Seguin Maure a pris un tournant radical. Déjà un pied dans le milieu du jumping, le jeune homme consacrait pourtant la plus grande majorité de son temps à son métier de… jockey et arpentait les pistes d’obstacles ! Désormais, le Bressan montre son talent de formateur de jeunes chevaux, notamment sur le Cycle classique de la Société hippique française, mais aussi sur les épreuves réservées aux chevaux de sept ans. Très en vue lors du dernier testage des étalons de Saint-Lô, où il a notamment présenté le vainqueur, Lorenzo Mouche, le trentenaire fait partie des noms à suivre cette année sur le circuit ô combien essentiel des jeunes chevaux.
Son grand-père, Charles Maure, a élevé de bons compétiteurs sous l’affixe du Gas. Eddy Seguin Maure, aujourd’hui formateur de jeunes chevaux, a grandi dans l’univers du cheval de sport, mais sa carrière a commencé… sur les hippodromes, avec une belle réussite ! “À douze ans, durant le salon Equita Lyon, je suis allé sur le stand de l’Association de formation et d'action sociale des écuries de courses (AFASEC, l’école des jockeys, ndlr) et j’ai décidé de suivre cette formation. J’ai participé à trois courses d’apprentis, que j’ai gagnées ! Puis, comme j’ai vite dépassé le poids pour monter en plat, je suis devenu jockey d'obstacles. J’ai travaillé pour Jehan de Balanda, pour qui j’ai notamment disputé le meeting de Pau. J’ai gagné huit courses sur une centaine courues, ce qui est un bon ratio. On a l’habitude de dire que l’on tombe une fois sur dix ! Malheureusement, j’ai aussi vécu de lourdes chutes, dont une très grave, qui m’a immobilisé un long moment. Lorsque j’ai repris le chemin des champs de course, je me suis rendu compte que j’avais peur. À ce moment-là, il est préférable d’arrêter”, narre le trentenaire. “Cette expérience de jockey m’est très utile aujourd’hui. Les courses m’ont donné le sens du galop et m’ont appris à m’adapter à n’importe quel cheval. En course, on découvre les chevaux au rond de présentation et on a trois minutes pour s’adapter. Aujourd’hui, je peux monter n’importe quel cheval au pied levé. Cela m’a bien aidé. J’ai gardé ma passion pour le monde des courses et il m’arrive, pendant les concours, de suivre les résultats sur les hippodromes ! J’ai plusieurs chevaux à l'entraînement et je vais passer mon permis d’entraîner à la fin de l’année. Nous avons construit une piste de galop de sept cents mètres autour des prés qui longent la propriété. Parmi nos dix poulinières, deux sont des Pur-sang et j’ai des jeunes chevaux qui arrivent aussi pour les courses. Même si j’adore ce que je fais avec les chevaux de sport, je suis toujours comme un gamin, des étoiles plein les yeux avec les courses !”
Eddy Seguin Maure à l'entraînement, sur un terrain bien différent de ceux qui accueillent les épreuves du Cycle classique ! © Jean-Louis Perrier
Âgé de vingt-trois ans lorsqu’il a cessé son activité de jockey, Eddy Seguin Maure a trouvé une reconversion évidente avec les chevaux de sport. Dans un premier temps, le jeune loue des boxes dans différentes structures de la région de Bourg-en-Bresse, puis à Mâcon, et se forge une clientèle fidèle. En 2015, aux rênes de Verboise Margot (Diamant de Semilly), il participe aux championnats du monde Lanaken, et profite des derniers parcours en compétition d’un certain Newton de Kreisker pour garnir son bagage. Depuis quatre ans, Eddy Seguin-Maure et sa compagne, Charlotte Arnaud, elle aussi cavalière et riche d’une belle expérience avec plusieurs années passées chez Olivier Robert et Michel Robert, sont installés à Lent, dans l’Ain, au cœur de la propriété familiale de son beau-père, Bernard Moissonnier, et de sa mère, Christiane Maure-Moissonnier. Christian et Bernard ne sont autres que les parents de Mégane Moissonnier !
L’an dernier, un manège de soixante mètres par trente, accompagné d’une aire de stockage, sont venus compléter les infrastructures, déjà loties d’une carrière et d’un marcheur, qui entourent la trentaine de boxes présente sur place, entre ceux du nouveau barn et les plus anciens, qui rappelle les origines de cette authentique ferme bressane, qui, il y a dix ans, abritait encore des bovins. Les écuries de Laurent Guillet sont toutes proches et Eddy entretient une étroite collaboration avec celles-ci. “En plus des propriétaires qui me font confiance depuis une dizaine d’années, travailler avec Laurent m’a amené de nouveaux clients. Nous avons un accord concernant la formation des jeunes chevaux, qui me sont confiés de leurs quatre à sept ans, avant qu’ils ne poursuivent leur carrière avec Mégane. C’est par exemple le cas de Ch’Airie vd Weyer RP (Cicero van Paemel), avec qui j’avais remporté le Grand Prix des chevaux de sept ans au CSI de Nancy en mai dernier et qui vient de se classer à 1,40m à Gassin avec Mégane. Ne pas pouvoir conserver des chevaux pour sauter des épreuves à 1,45m, où j’ai prouvé que j’avais ma place, est un peu frustrant, mais il s’agit d’un autre métier. Et puis, cela me permet d’avoir continuellement de très bons chevaux à monter et former. Par exemple, j’ai eu cinq produits de Shana de Kerglenn (Diamant de Semilly, notamment mère de l’excellent Dexter de Kerglenn, gagnant en Grand Prix 5* avec Jeanne Sadran, ndlr) appartenant à Philippe Léoni. Ils ont travaillé d’octobre au 1er mars et sont repartis au pré”, expose le Bressan. “L’hiver, je loue les installations de la Société d’équitation bressane les jeudis et vendredis. En début de semaine j’emmène les chevaux sauter chez Laurent, ce qui leur permet de voir des parcours. Nos chevaux d’élevage sortent peu à quatre ans. Sur les douze quatre ans que j’avais en début d’année, la plupart ne sont pas là pour la saison complète. La première question que je pose aux propriétaires lorsqu’ils me confient un cheval est toujours la suivante : quel est votre objectif ? Le travail n’est pas le même en fonction des attentes de chacun. Il diffère si le cheval est destiné à aller à la finale de Fontainebleau, s’il doit être prêt pour faire des sans-faute dès mars, ou s’il est juste là pour découvrir les concours avant de retourner au pré. Aujourd’hui, les gains en concours SHF ne permettent pas de rentabiliser l’investissement que représente la mise en pension d’un jeune cheval. Si un professionnel veut faire correctement son travail, il faut toute une équipe. Dans notre structure, nous sommes cinq à travailler. Pour un concours comme celui de Mâcon, où j’avais seize chevaux à monter, j’ai engagé une groom supplémentaire pour nous aider. Tout cela a un coût !”
Le tout bon Iniesta du Géry lors des Mondiaux de Lanaken en 2024. © Sportfot
Expériences normandes
Malgré un emploi du temps bien rempli, d’autant plus avec deux tout jeunes enfants, Lucas, bientôt un an et demi, et Léna, née en janvier dernier, Eddy Seguin Maure n’hésite pas à prendre la route pour étoffer son expérience. Deux déplacements dans le fief des Normands, à Saint-Lô, pour le testage des mâles de trois ans puis pour le salon des étalons, lui ont bien réussi. “Le salon des étalons a été une expérience intéressante”, confirme l’intéressé. “C’est un formidable rassemblement pour voir des chevaux et rencontrer de belles personnes. Nous avons signé plusieurs contrats de saillies sur place et je suis très content d’avoir disputé le Grand Match avec Iniesta du Géry (Topinambour). La formule est assez ludique, puisqu’elle mélange les générations d’étalons et les poneys, et, en plus, notre équipe a gagné ! En revanche, la piste est un peu petite pour vraiment montrer des chevaux sur une épreuve, surtout pour les quatre ans. Cela est vraiment dur pour eux, même si tout s’est bien déroulé.” Photo de famille pour Charlotte Arnaud, Eddy Seguin Maure et leur premier enfant, Lucas. © Jean-Louis Perrier
Cette année, Eddy continuera de faire monter en puissance Iniesta du Géry, qui s’était davantage consacré aux épreuves internationales de sa classe d’âge l’an dernier, ne participant pas à la finale nationale de Fontainebleau. L’alezan avait toutefois fait bonne impression à Lanaken, avec une faute le premier jour, avant d’obtenir une huitième place le deuxième et une treizième dans la petite finale de ces Mondiaux. “Sa carrière d’étalon est gérée par le Haras du Géry et il appartient à Mathéo Croibier, qui a aussi d’autres jeunes chevaux chez moi, et Alex Carlet. Cette année l’objectif est le circuit réservé aux chevaux des sept ans, avec, j’espère, une participation à Lanaken, un bel événement, ou pourquoi pas aux championnats de stud-books, qui se déroule à Valkenswaard. Participer à un championnat est toujours motivant”, apprécie Eddy Seguin Maure. Cette ambiance de grand rendez-vous, souvent partagée entre collègues et amis, le jeune père de famille l’a aussi retrouvée lors du testage des étalons de Saint-Lô. “J’ai intégré les cavaliers du testage des étalons de trois ans, car cela représentait une bonne occasion de rencontrer d’autres personnes. Dans ma région, on se connaît tous. Aller ailleurs, voir de nouveaux horizons est toujours bénéfique. Le testage permet de monter de très bons chevaux. J’ai, en plus, eu le plaisir d’avoir sous ma selle Lorenzo Mouche, le vainqueur, et Lewis des Caps, son dauphin, ce qui ne gâche rien ! C’était un vrai carton plein, puisque j’ai aussi monté deux autres étalons, labellisés Très Prometteur !”, apprécie-t-il. “J’ai eu un bon contact avec Julien Bellet, le naisseur de Lorenzo Mouche, qui m’a proposé de travailler avec lui. C’était trop compliqué pour cette année car mes boxes étaient déjà complets, mais nous ferons certainement quelque chose la saison prochaine. Je trouve cela positif que des Normands s’intéressent à notre région.”
Eddy Seguin Maure et Julien Bellet aux côtés de Lorenzo Mouche lors du testage de Saint-Lô. © Les Garennes / Stud-book Selle Français
Et de relever quelques disparités entre la Normandie et les autres terres d’élevage, dont font partie la Bourgogne et le Rhône-Alpes : “Ici, nous sommes assez bien lotis en concours, mais j’entends souvent que les choses se déroulent différemment en Normandie. Là-bas, personne ne se plaint du parcours proposé par le chef de piste, ce qui peut être le cas chez nous. Il y a toujours des cavaliers qui trouvent qu’il n’y a pas assez de soubassements, ou que les obstacles sont trop hauts. Au bout du compte, on s’aperçoit que les chevaux formés en Normandie sont beaucoup mieux préparés pour affronter une échéance comme celle de Fontainebleau ! L’an dernier, à deux concours du CIR, les six ans n’avaient toujours pas sauté 1,25m, alors que les parcours sont à 1,30m et plus à Fontainebleau. Cela ne rend pas service aux chevaux et à leurs cavaliers… Certains couples se qualifient lors des premiers concours de la saison, mais la finale se révèle trop difficile pour eux. Nous en avons beaucoup parlé avec Michel Guiot, président de la SHF, et une réforme devrait concerner le mode de qualification à partir de 2026. Les sans-faute réalisés avant le 1er juin devraient ainsi avoir un pourcentage de qualification plus faible. Actuellement, il est possible de se qualifier en faisant plus d’un tiers des parcours en début de saison : cela ne reflète pas la vérité sur la qualité des chevaux !”
Le Bressan s'est notamment vu confier Lewis Numenor pour son année de quatre ans en 2025. © Jean-Louis Perrier
Tout en s’impliquant dans la filière, le dynamique trentenaire ne courre pas après les labels, et préfère gagner en expérience d’une autre manière. “Je ne suis pas labellisé SHF car je ne vois pas vraiment ce que cela peut m’apporter de plus… Même si le processus pour obtenir ce label doit être très intéressant, je préfère consacrer mon temps à des stages que j’organise, comme je viens de le faire avec Julien Mesnil, que j’ai rencontré lors du testage de Saint-Lô. J’aimerais également faire intervenir Serge Cornut. Durant le testage, on constate que les chevaux des grosses maisons sont beaucoup plus travaillés. Monter un trois ans issu de l’élevage de Riverland, c’est comme monter un cinq ans ! D’autres trois ans, au contraire, donnent l’impression d’être juste débourrés. Les chevaux qui ont participé au championnat des deux ans ont déjà été pré-débourré à cet âge là. Ensuite, ils passent au moins trois mois au travail en vue du testage. C’est dur, et c’est pour cela qu’ils ont une saison de quatre ans allégée pour leur qualification pour la finale. Par exemple, Lewis Numenor (Conthargos), confié par le Haras Numenor, a obtenu son approbation au testage. Il est quatre points et sans-faute lors de son premier concours à Mâcon et il va désormais faire une ou deux autres sorties, avant le CIR puis la finale. J’ai un autre entier de quatre, Elyas (Emerald van’t Ruytershof), qui, en revanche, n’est pas approuvé. Nous allons en discuter avec son propriétaire, mais compte tenu de sa qualité et de son bon comportement, je pense que cela vaut le coup de le garder entier et de le faire approuver en l’emmenant en finale. Pour lui, il est donc important de suivre le Cycle classique cette année.” Avec un bon lot de cinq ans et des six et sept ans déjà remarqués en 2024, la saison s’annonce prometteuse pour Eddy Seguin Maure, qui ne devrait pas s’ennuyer dans les prochains mois !
Hinvicta d'Avril, produit de l'élevage maison, va retrouver ses terres natales pour devenir poulinière. © Jean-Louis Perrier
Photo à la Une : Eddy Seguin Maure s'est distingué lors de ses deux venues à Saint-Lô, en décembre dernier puis en février. © Jean-Louis Perrier