Depuis huit ans, Jessica Springsteen, lauréate de quatre Grands Prix 5* et médaillée d’argent avec l’équipe américaine aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021, peut compter sur le soutien de Josefine Eliasson, sa groom. Les deux jeunes femmes et leurs montures parcourent le monde tous les ans, pour disputer les plus beaux rendez-vous qu’offre la planète jumping. La Suédoise retrace son parcours, évoque ses compagnons à quatre jambes et sa vie en tant que soigneuse.
Pourriez-vous commencer par vous présenter et décrire votre rôle au sein de l’écurie de Jessica Springsteen ?
Je m’appelle Josefine et je travaille pour Jessica Springsteen depuis huit ans. Au départ, je travaillais à ses écuries et je montais un petit peu. Mais cela fait maintenant six ans que je voyage autour du monde avec elle et ses chevaux, en tant que groom concours.
Comment votre carrière a-t-elle débuté ?
J'ai commencé par pratiquer l'équitation quand j'avais cinq ou six ans, et je suis tombée amoureuse des chevaux. Un peu plus tard, j’ai eu un bon cheval avec lequel j'ai fait de la compétition en Suède. La personne gérant les écuries où mon cheval était en pension concourait aussi régulièrement aux championnats nationaux des jeunes chevaux, et je l’accompagnais en tant que groom. Je me suis vite rendu compte que cela me plaisait, et elle m'a toujours encouragée dans ce sens. Elle m'a répété que j'étais douée et que je me souvenais de tous les détails importants.
J’ai alors rendu visite à une amie à moi qui travaillait avec des chevaux en Suisse. Après deux jours seulement, je savais que c’était bien ce que je voulais faire. Je lui ai demandé si elle connaissait quelqu'un qui avait besoin d’une personne pour travailler dans ses écuries. C’est là que j’ai trouvé un poste auprès de Romain Duguet. J'avais toujours mon cheval, mais je l’ai louée et ai fait mes valises pour la Suisse. Je suis restée à ce poste pendant un an environ, avant de repartir en Suède. J’ai réalisé que mon ambition était de devenir groom concours en Europe, et, sans mon permis poids lourd, je me sentais un peu bloquée. Mais avant même mon premier cours d'auto-école, j'ai commencé à travailler avec Jessica. C'était il y a plus de huit ans maintenant.
“Ce que j'aime dans cette profession, c'est qu'on apprend toujours de nouvelles choses”
Si vous pouviez revenir dans le temps, quels conseils donneriez-vous à la personne que vous étiez à vos débuts ?
Je me dirais d’écouter les personnes ayant plus d’expérience que moi. Ce que j'aime dans cette profession, c'est qu'on apprend toujours de nouvelles choses, et cela pour deux raisons : tout d’abord parce que notre sport évolue en permanence, et puis parce que chaque personne a ses propres systèmes et techniques. J’ai toujours osé poser des questions, mais je lui conseillerais tout de même d’en poser encore plus, car c’est comme ça qu’on apprend.
Vous voyagez souvent entre l’Europe et les États-Unis. Comment faites-vous pour que les chevaux soient en forme à l’arrivée ? Avez-vous des astuces à partager ?
La clef du succès, c’est de très bien connaître son cheval. De cette façon, il est plus facile de remarquer si quelque chose ne va pas. Plus on remarque vite ce genre de choses, plus vite on peut remédier au problème. Cela peut être plus facile à remarquer avec les chevaux de championnat, car on passe énormément de temps en leur compagnie et on connaît toutes leurs petites habitudes. N’importe quel petit changement dans leur comportement est donc immédiatement évident, et on peut prendre les mesures adaptées avant que cela ne devienne un vrai problème.
Avez-vous des habitudes ou des superstitieux lorsque vous êtes en compétition ?
À l’approche des grandes épreuves, je crois que tout le monde a ses petits gestes et habitudes. Par exemple, je dis toujours à ma cavalière de ne pas oublier de s’amuser, et je donne une petite tape sur l’encolure du cheval. Pour les grosses épreuves, j’essaie de le faire discrètement afin de ne pas déranger Jessica alors qu’elle tente de se concentrer, mais je n’y manque jamais.
“Don Juan hennit lorsqu’il me voit, mais il ne le fait pour n’importe qui”
Comment se compose le piquet de chevaux dont vous vous occupez ? Quelles sont les particularités et caractéristiques de chacun ?
Don Juan van de Donkhoeve, la monture olympique de Jessica, est notre meilleur cheval. Lui et moi sommes très liés. En tant que groom, on passe tellement de temps seuls avec nos chevaux de championnat qu’on apprend à les connaître comme personne. Je sais que tous les grooms doivent se dire la même chose, mais j’ai vraiment l’impression d’avoir un lien privilégié avec Don. Par exemple, quand j’entre dans l’écurie, il hennit lorsqu’il me voit dans l’écurie, mais ne le fait pas pour n’importe qui. Il occupe une place très spéciale dans mon cœur. C’est un étalon, mais c’est l’étalon le plus gentil que j’ai jamais rencontré. Je filme aussi toutes les épreuves. C’est une autre habitude que j’ai, même lorsqu’il y a un live ou que l’on peut acheter la vidéo. Si quelqu’un d’autre filme, je ne sais pas quoi faire de mes mains. Il faut que je tienne un téléphone ! Dès que je filme Don, je ne peux pas m’empêcher de commenter son tour, de lui dire “tu peux le faire !”
Dans notre piquet de chevaux 5*, on a aussi Hungry Heart. Il a douze ans et c’est un vrai personnage. On peut jouer avec lui comme avec un chien de compagnie. Je blague souvent en disant que si j’y mettais du mien, je pourrais sûrement lui apprendre à s’asseoir. Il est trop rigolo. Il y a aussi deux ou trois autres chevaux un peu plus jeunes et très prometteurs. Je crois que nous avons un bel avenir devant nous !
Que faites-vous pour vous assurer que vos chevaux soient au meilleur de leur forme lors des événements clefs de la saison ?
Nous essayons d’établir un rétroplanning à partir des dates importantes ou de nos objectifs, pour nous assurer d’avoir établi le meilleur plan pour chaque cheval. Si on sait qu’un cheval saute mieux la deuxième semaine de compétition, alors on fait en sorte qu’il concoure deux semaines consécutives. En tant que groom, j’essaie de garder la même routine en concours et à domicile, car je crois que les chevaux y trouvent du confort. Lors des grands concours, on peut utiliser des choses un peu spéciales, comme des couvertures massantes, mais j’essaie au maximum de garder les choses simples et de les laisser être eux-mêmes.
Jessica a réalisé de très bonnes performances au CHI de Genève en décembre dernier, se classant notamment sixième du Grand Prix Rolex. Qu’a ressenti votre équipe face à ces résultats ?
Le CHI de Genève est un événement très spécial. C’est mon concours indoor préféré, et sûrement celui de Jessica et de la plupart des cavaliers de haut niveau. Une performance réussie dans un Grand Prix aussi prestigieux est un rêve devenu réalité, pour lequel nous avons beaucoup travaillé. Nous sommes allés à deux ou trois concours avant le CHI de Genève, et Don était en très bonne forme. Pour cette raison, nous nous sommes beaucoup mis la pression, mais nous étions ravis de finir la saison 2023 en Europe par ce résultat. La dernière fois que nous étions au CHI de Genève, une petite erreur nous avait coûté cher dans le Grand Prix. Nous nous sommes rachetés cette année !
“Avoir l’opportunité de concourir dans les plus prestigieuses au monde est déjà un immense privilège pour les cavaliers”
Le Grand Chelem Rolex de saut d’obstacles fêtait en 2023 son dixième anniversaire. Selon vous, quel rôle a joué ce circuit ?
Il a eu un impact incroyable. C’est l’objectif ultime de chaque cavalier. Gagner un Majeur et devenir le prétendant au Grand Chelem est une très grande réussite, mais avoir l’opportunité de concourir dans ces épreuves, les plus prestigieuses au monde, est déjà un immense privilège pour les cavaliers. C’est très spécial de concourir ou même d’être présent dans des lieux tels que ceux qui accueillent le CHIO d’Aix-la-Chapelle ou The Dutch Masters.
Quelle importance revêt pour vous les tournois majeurs, toutes disciplines confondues, comme le CHIO d’Aix-la-Chapelle pour le saut d’obstacles ou Wimbledon pour le tennis ?
Je trouve qu’ils permettent de mieux faire connaître le sport en question. C’est toujours incroyable de pouvoir assister au plus haut niveau de la compétition mondiale, et les Majeurs sont là pour ça. C’est une chance, au-delà de l’épreuve elle-même, de remporter une récompense comme le Grand Chelem Rolex de saut d’obstacles. À mon avis, c’est un enjeu à même de passionner tout le monde, même ceux qui ne sont normalement pas des amateurs de sports équestres.
L’an passé, vous avez lancé Yeehaw, une société visant à mettre en contact grooms et cavaliers. Qu’est-ce qui vous a poussée à lancer cette initiative ?
Plusieurs facteurs m’ont encouragée à lancer ma propre entreprise. Tout d’abord, le fait que beaucoup de gens me demandaient comment trouver du personnel de qualité ou des postes intéressants. Il y a beaucoup de bons grooms et employeurs, mais ce n’est pas toujours facile pour nouer des connexions. Je souhaitais créer une plateforme où tout le monde pouvait accéder aux postes vacants. Il n’est pas difficile de trouver du travail dans ce secteur, car il existe de nombreux postes à pourvoir, mais ce n’est pas toujours facile de trouver un bon poste. Avant, il fallait connaître les bonnes personnes, car il n’y avait pas de site officiel où chercher un emploi. Je voulais donc créer une communauté où les grooms et cavaliers pourraient se retrouver et échanger. L’autre objectif, c’était de renforcer les normes dans ce domaine pour tenter d’améliorer les conditions de travail des grooms. Un poste de groom valorisant vous donne envie de rester indéfiniment. Mais si l’on ne se sent pas valorisé dans son premier poste, on peut très vite en avoir ras le bol, même si l’on est doué. J’aimerais que ces personnes talentueuses trouvent les meilleurs postes possibles, car c’est le meilleur métier qui soit à mes yeux.
Si vous pouviez prodiguer un conseil à un ou une jeune groom, quel serait-il ?
Je lui donnerais le même conseil qu’à la personne que j’étais plus jeune : écouter les grooms chevronnés pour en apprendre le plus possible. Je lui conseillerais également de ne pas avoir peur. Beaucoup de gens ne se trouvent pas mal dans leur travail, mais ne sont pas aussi heureux qu’ils pourraient l’être. Alors évidemment, cela fait peur de se lancer dans l’inconnu et de changer de vie, mais trouver sa place est essentiel. Enfin, il faut bien sûr aimer les chevaux. En tant que groom, on passe énormément de temps à s’en occuper et à voyager en leur compagnie. Mais si c’est le cas, c’est le meilleur métier du monde.
Photo à la Une : Jessica Springsteen, Josie Eliasson et Don Juan vd Donkhoeve, un trio qui marche et qui gagne ! © Sportfot