À dix-sept ans, le légendaire H&M All In tire sa révérence
Détenteur de six médailles en grands championnats, dont trois d’or, et auteur d'innombrables sans-faute, en Grands Prix ou Coupes des nations, l’insubmersible H&M All In ferme la page d’une carrière sportive riche en réussites. Fidèle destrier de Peder Fredricson, le petit bai, formé par Bart van Hove et Nicola Philippaerts, a conquis le monde entier, grâce à son histoire, sa personnalité singulière, sa technique impeccable et son impressionnante résilience. Souvent embêté par des pépins de santé, le sBs, fils de Kashmir van’t Schuttershof et Fortune, une descendante d’Andiamo, a toujours su rebondir, jusqu’à se hisser sur le toit de l’Europe et du monde. Retour sur un destin hors du commun et la formation d’un couple d’exception.
Une belle histoire, longue de dix-sept années, touche à sa fin. Déjà légendaire, H&M All In, né au cœur des prairies néerlandaises de Bas Huybrecht, quitte la scène sportive après avoir accumulé médailles, classements et victoires. “Une ère s’achève aujourd’hui. H&M All In prend sa retraite”, résume la légende d’une vidéo partagée communément sur les comptes instagram d’H&M We Love Horses et Peder Fredricson jeudi 16 février. “Un cheval comme H&M All In, qui nous a, à tous, tant donné, doit conclure sa carrière au sommet. Les mots ne peuvent décrire ce qu’il a représenté pour moi et les sports équestres. Ce n’est pas une décision facile à prendre, mais c’est la bonne”, a commenté l’ancien numéro un mondial. Et la propriétaire du crackissime et minuscule bai, Charlotte Söderström, d’ajouter : “Je dois encore me pincer le bras pour croire à tous les accomplissements de ce petit cheval adoré. Je suis infiniment reconnaissante d’avoir fait partie de l’histoire d’All In et Peder.”
Sur l’air de You'll Be In My Heart, titre de Phil Collins aux paroles évocatrices, la vidéo d’hommage à celui qui est surnommé Allan revient sur quelques-uns de ses plus beaux succès, de ses débuts sous couleurs scandinaves jusqu’à ses plus belles victoires. “For one so small, you seem so strong. My arms will hold you, keep you safe and warm. This bond between us can't be broken. I will be here don't you cry, 'cause you'll be in my heart. Yes, you'll be in my heart. From this day on, now and forever more”, chante Phil Collins. “Pour quelqu'un de si petit, tu sembles si fort. Mes bras te tiendront, te garderont en sécurité et au chaud. Ce lien entre nous ne peut être brisé. Je serai là, ne pleure pas, car tu seras dans mon cœur. Oui, tu seras dans mon cœur. À partir de ce jour. Maintenant et pour toujours.” Pour sûr, le lien qui unit All In et Peder Fredricson ne pourra être brisé.
Un pari…
En septembre 2013, All In vient de s’adjuger la quatrième place d’une édition des championnats du monde de Lanaken réservé aux jeunes chevaux de sept ans particulièrement riche en talents. Devant le bai, un certain Bacardi VDL s’adjuge la deuxième place, tandis que Gazelle Ter Elzen, Clooney 51, MHS Going Global, Chaqui ou encore Quolita le suivent aux rangs cinq, six, sept, huit et neuf. Pourtant, celui qui tape dans l’oeil de Peder Fredricson est bel et bien le fils de Kashmir van’t Schuttershof et la bien nommée Fortune, une fille d’Andiamo, qui n’a alors engendré qu’une petite poignée de produits, dont Happiness DK (Hooch), qui performera, dix ans plus tard, jusqu’en Grands Prix 4* avec Angelie van Essen. Lorsqu’il croise pour la première fois la route du hongre, Peder Fredricson est alors en quête d’un cheval pour les Jeux olympiques de Rio de 2016. Son tout nouveau sponsor, H&M, qui a fait le pari osé de le soutenir avant même qu’il ait fait ses preuves au plus haut niveau en saut d’obstacles, lui assure tout son soutien vers cet objectif majeur.
Alors qu’il a pratiquement conclu un accord pour deux autres chevaux, le Suédois demande à Ludo Philippaerts, père de Nicola, alors tout jeune cavalier d’All In, si le bai est à vendre. “Pas vraiment, mais tu peux l’essayer”, lui répond le Belge. Le lendemain matin, Peder Fredricson se rend aux écuries Philippaerts. Là-bas, il découvre un cheval qu’il pense d’abord trop petit. Le début de l’essai, qui se déroule dans le manège et sur le plat, ne provoque pas d’étincelles, mais, une fois arrivé sur la carrière extérieure, le futur numéro un mondial tombe sous le charme d’All In. “Dès le premier saut, j’ai senti que ce cheval était spécial. Il avait quelque chose en plus. Il bondissait positivement du sol ! Je n’avais jamais monté un cheval comme lui. C’était si incroyable que je peux à peine le décrire. J’ai appelé Charlotte Söderström et lui ai dit ‘si tu ne l’achètes pas, j’arrête de monter car je ne veux pas croiser ce cheval en compétition avec un autre cavalier’. J’ai pris l’avion pour rentrer à la maison et je ne pouvais plus penser à autre chose qu’à lui”, avoue Peder dans son autobiographie, Six Feet Above - Jumping To The Top. “Avant d’avoir All In, je ne savais pas qu’il existait des chevaux comme lui. Je n’ai jamais monté un cheval aussi exceptionnel et je n’en aurais peut-être plus jamais l’occasion.” Heureusement pour le Scandinave, et heureusement pour l’histoire, sa propriétaire achète rapidement All In, qui suscite l’intérêt des plus grands, malgré un prix alors élevé pour un cheval de son âge.
… réussi !
Pourtant, avant Rio et l’avènement sur les plus belles pistes du monde, la route est longue. Peder prend le temps avec celui qu’il sait être un crack. En 2014, à huit ans, All In apparaît avec parcimonie sur la scène internationale, disputant principalement des épreuves à 1,40 et 1,45m et un parcours à 1,55m, conclu avec quatre points. En février 2015, le fils de Kashmir van’t Schuttershof prend part à son premier Grand Prix 5* secondaire, face à son public, à Göteborg. Là, le couple attrape au vol ses premiers fans après un barrage spectaculaire qui lui offre sa première victoire. S’en suivent deux victoires à 1,50m du côté de Lummen, une première Coupe des nations réussie (1+0) à Rotterdam, puis une deuxième parfaite (0+0) à Falsterbo. Le phénomène est lancé. Moins de trois ans après sa rencontre avec Peder, All In décroche brillamment l’argent individuel aux Jeux olympiques de Rio, après avoir été le seul cheval à ne pas commettre la moindre faute de tout l’événement. Rebelote, cinq ans plus tard. Pour sa dernière échéance olympique, la paire s’offre l’argent individuel et se pare d’or par équipe. À cette collection, s’ajoutent un titre de champion du monde, acquis collectivement l’été dernier à Herning, une troisième place en finale de la Coupe du monde et surtout un titre de champion d’Europe individuel, acquis en 2017, à Göteborg, après avoir porté la Suède sur la deuxième marche du podium, une multitude de sans-faute au plus haut niveau et quatre victoires en Grands Prix 5* majeurs, obtenues à Rotterdam, Stockholm, Falsterbo et Knokke, entre 2017 et 2022.
Renaître de ses cendres
D’une longévité sportive remarquable, All In aura pourtant traversé vents et marées pour devenir une super star. Quelques semaines après sa grande envolée olympique brésilienne, en octobre, le bai doit être opéré d’une torsion de l’intestin, consécutive à des crises de colique. Cette rechute, après un premier épisode tôt lors de son arrivée dans ses écuries de Grevulda, pousse son perfectionniste de cavalier à chercher plus loin. Peder change alors la nourriture et les routines de son protégé et découvre surtout qu’il souffre de rhabdomyolyse d'effort, une dégradation des muscles due à leur contraction douloureuse, continue et incontrôlable. Cette pathologie, le champion l’avait déjà expérimentée chez sa très chère Hilly Trip, sa première grande jument, qui l’avait conduit jusqu’aux Jeux olympiques… en concours complet !
Aidé des meilleurs spécialistes du monde, le jeune père de famille constate que le meilleur remède est de permettre à son hongre de mobiliser son corps autant que possible, tout au long de la journée, chose qu’il fait déjà en vivant une grande partie du temps au pré. “Comme une quantité de travail régulière est importante pour les chevaux affectés par une prédisposition à cette pathologie, nous commencions chaque matin en le laissant galoper dans le manège. Cela permettait à All In de libérer son énergie et évitait qu’il produise trop de glycogène (une molécule qui constitue une réserve de glucose engrangée dans le foie et les muscles, ndlr) dans ses muscles”, révèle Peder dans son livre. Au cours de sa carrière, All In connaître d’autres baisses de forme, notamment en 2018, à l’approche du CSI 5*-W de Lyon, ou bien encore lors de l’édition 2019 du CHI de Genève. Mais toujours, jusqu’à ses dernières semaines encore, All In est parvenu à renaître mille et une fois de ses cendres, tel un phœnix.
Le caractère des plus grands
Surtout, le premier cheval à avoir décroché deux médailles olympiques, lors de deux échéances différentes et consécutives, aura donné du fil à retordre à son entourage avec son caractère aussi imprévisible que singulier. “Sans mon équipe à Grevlinda, ma groom, Malin Henlöv à la tête, il n’est pas certain qu’All In serait encore vivant aujourd’hui. Il est l’un des chevaux les plus difficiles que nous avons eu dans les écuries, très particulier à gérer à pied et à monter. All In est un cheval des extrêmes. Un jour, il est presque mou et le lendemain, il est à 100km/h dans l’autre direction. Il est timide, rend le fait de se connecter avec lui difficile et est très sensible, tant mentallement que physiquement”, écrit le Suédois. Et Malin Henlöv, désormais partie vaquer à d’autres occupations, aura fait les frais des insécurités de son binôme équin. Peder raconte : “Je dois une grande partie de mes succès avec All In à ma groom, Malin Henlöv. Malheureusement, nous avons aussi connu quelques revers. Ce n’est pas une exagération de dire qu’All In est un cauchemar, du moins pour un groom. Son instinct de fuite et sa propension aux coliques étaient des sources d’inquiétude constantes pour toute l’équipe de Grevlunda. Mais la contribution de Malin au service d’All In est extraordinaire. [...] Elle a été suffisamment courageuse pour assumer la grande responsabilité de s’occuper d’un tel cheval. Et, bien sûr, elle a aussi ressenti la pression. Je pense à un incident en particulier, survenu à Verbier, en Suisse. Un incident qui nous a traumatisé tous les deux. [...] Nous étions fins prêts pour un Grand Prix major et, alors que j’enfilais mon pantalon de concours dans ma chambre d’hôtel, Malin m’a appelé. Je sentais dans sa voix que la situation était sérieuse. ‘Quelque chose de terrible est arrivé !’. ‘D’accord, quoi ?’, je me demandais. ‘J’ai perdu All In’. Il avait couru sur la route, était tombé et ne pouvait plus marcher. Malin était dévastée.”
Ces spécificités, sa technique parfaite, son talent hors-norme, le tout combiné dans un cheval au modèle modeste, voire normal, a contribué à porter All In dans la légende de son sport. L’histoire, elle, continuera peut-être de s’écrire avec ses collatéraux. Depuis 2020, Fortune, la mère d’All In a donné… quatorze poulains ou embryons, dont beaucoup sont issus de Kashmir van’t Schuttershof, le père du crack. Si la génétique n’est pas une science exacte, l’espoir demeure toutefois de voir, peut-être un jour, briller l’une de ses nombreuses jeunes pousses. D’ici là, All In, le seul, l’unique saluera une dernière fois son public, jeudi 16 février, sur la piste indoor de Göteborg, témoin de son premier grand succès international et ville de sa plus belle médaille individuelle.
Crédit photo : © Sportfot. Photo à la Une : All In et Peder Fredricson lors des Jeux olympiques de Rio, en 2016.