Fondé en 2010 par Clémentine Wacquiez et Adrian Kell, l’élevage de Grisien n’a pas tardé à écrire ses premières lettres d’or. Grâce à Enjeu, bouillonnant fils de Toulon et Nobless des Fontaines, l’affixe de l’élevage seine-et-marnais a été porté au sommet, en décembre dernier, lorsque le bai a remporté le Grand Prix Coupe du monde de Londres, sous la selle de Ben Maher. Cet été, juste avant les Jeux olympiques de Paris, le Selle Français de dix ans s’est de nouveau classé deuxième du Grand Prix CSIO 5* d’Hickstead, frôlant une nouvelle grande victoire. Une réussite collective, qui ravit toutes les personnes ayant croisé la route de ce cheval particulièrement spécial et délicat. Désormais, Clémentine Wacquiez vole de ses propres ailes, toujours au cœur de la ferme de Grisien. La nouvelle page de son livre s’écrit toutefois sous l’affixe d’Arundi, que portent plusieurs jeunes chevaux en lesquels elle croit. Avant de se pencher sur le parcours d’Enjeu de Grisien, découverte de l’élevage dans lequel il est né.
Enjeu de Grisien n’aura peut-être passé que six mois dans ses prairies natales, à Voinsles, en Seine-et-Marne, mais il aura assurément marqué l’histoire des lieux et celle de sa co-naisseuse, Clémentine Wacquiez. Sous la selle de Ben Maher, le Selle Français de dix ans a explosé au plus haut niveau l’hiver 2023, remportant au passage l’étape de la Coupe du monde Longines de Londres, dans un barrage ultra-compétitif, avant de terminer deuxième du Grand Prix de l’Officiel de Grande-Bretagne, à Hickstead, l’été suivant. De Grisien à Arundi, affixe sous lequel naissent désormais les protégés de Clémentine Wacquiez depuis 2018, l’histoire est en marche pour ce jeune élevage, dont la génération la plus âgée n’a que quatorze ans.
L’élevage, une passion de la première heure
D’un naturel plutôt discret et bien loin d’avoir pris la grosse tête depuis le succès du premier crack né au sein de la ferme de Grisien, Clémentine Wacquiez a rapidement été mordue par le virus du cheval. Dès son plus jeune âge, elle se passionne pour les équidés et l’équitation. “J’ai vu mon frère effectuer un stage dans un poney-club et, après ça, je voulais absolument essayer à mon tour”, se souvient-elle. Malheureusement, la structure ne dispose alors pas de poneys adaptés et la jeune fille doit patienter jusqu’à ses dix ans. Loin d’être découragée, Clémentine écrit ainsi la première page de son histoire. “Ma mère est aussi montée à cheval lorsqu’elle était petite, mais je ne l’ai su que bien après ! Elle a arrêté longtemps avant ma naissance. Même si cela n’a pas joué sur mon activité professionnelle, il doit y avoir quelque chose dans la famille, puisque j’ai également une cousine qui pratique l’équitation”, expose l’éleveuse.
Après avoir pris du galon à cheval, la passionnée devient propriétaire de sa première jument, Maha Fontaine (Shogun II x Corsaire des Isles), offerte par ses parents. Toutes deux évoluent en compétition, tant en dressage qu’en saut d’obstacles, sur des parcours jusqu’à 1,05m. “Elle a été ma jument de concours, mais cela n’a pas duré très longtemps. Je n’étais pas très douée, ce qui n’aidait pas non plus, puis j’ai commencé à travailler dans les chevaux et j’ai donc eu moins de temps pour la monter. Maha a, en plus, été victime d’un coup de sang et a donc été arrêtée”, précise Clémentine. Mais, déjà, l’idée de se lancer dans l’élevage et de faire naître ses propres poulains enivre la jeune femme, qui décide de trouver un métier lui permettant d’assurer financièrement la pension de sa jument, tout en continuant à évoluer dans sa passion. Clémentine obtient ainsi son diplôme de comptable, un domaine qui ne l’attirait “pas du tout”, mais qui lui a permis de travailler à mi-temps dans l’entreprise familiale et de se former en parallèle. “J’ai cherché un élevage où travailler à mi-temps, afin d’apprendre à faire les mises bas. Si je voulais faire pouliner ma jument, ce qui n’était alors pas l’objectif immédiat, je voulais pouvoir le faire moi-même”, retrace l’intéressée. “Je suis arrivée au haras de Gravelotte, chez Claire Bresson, où j’ai pris de l’expérience et fait plusieurs naissances.”
Là-bas, les choses s’accélèrent. Clémentine rencontre son ex-mari, Adrian Kell, qui a pour projet d’ouvrir une écurie. “Nous nous sommes donc installés ensemble, sur un domaine qu’ont acheté mes parents. À l’époque, c’était un champ de blé ! Nous avons construit toute l’écurie et la structure sur place, à la ferme de Grisien”, poursuit-elle. “Les règles concernant le statut d’agriculteur étaient assez floues et nous ne savions pas vraiment s’il fallait un certain nombre de juments pour pouvoir y prétendre. Comme personne n’a vraiment su nous répondre, nous avons mis ma jument à la reproduction, ainsi qu’une petite jument pie polonaise, Emocja, et Nobless des Fontaines, la mère d’Enjeu.”
Entre grands sires et valeurs montantes
En 2009, la machine est lancée et les trois premières juments de la ferme de Grisien sont inséminées. Maha et Noblesse sont toutes deux croisées à Lando, stationné à proximité de l’élevage, tandis qu’Emocja est adressée au Poney Français de Selle Movie Star Tilia. Naîtront After Eight, Audace et Addiction, les trois premiers à porter l’affixe de Grisien. “Je fais naître entre deux et quatre poulains par an. La plus grosse année, j’en ai eu cinq”, précise l’éleveuse, qui accueille également des juments en pension, propose ses services d’inséminatrice et assure une vingtaine de poulinages extérieurs chaque saison sur sa structure. “J’ai une écurie de propriétaire, que j’ai pour projet de transformer en écurie active, en plus de l’élevage. Mais cela demande beaucoup de travail. Pour l’instant, j’ai plusieurs boxes terrasses, ce qui est vraiment bien. Concernant le centre d’insémination, cela devient un peu compliqué… La réglementation de l’insémination est très particulière, les étalonniers de plus en plus puissants, le nombre de paillettes de plus en plus réduit, ce qui implique un plus grand nombre d’échographies, qui sont réalisées par un vétérinaire. Seulement, lorsque le vétérinaire n’est pas sur place, cela rend les choses encore plus difficiles”, ajoute Clémentine.
Côté élevage, qui s’étend sur douze hectares et est pourvu d’un rond d'Havrincourt, d’un marcheur et d’une carrière et s’est récemment diversifié avec la première naissance Shetland en 2024, l’objectif principal est clair : produire les meilleurs chevaux de saut d’obstacles possibles. “Je pense que peu de personnes peuvent se dire ‘on va faire naître un cheval de 5*’, et cela n’a jamais été notre cas. Cela étant, l’écart entre le tarif d’une saillie d’un excellent étalon et d’un mâle moins confirmé n’est pas si conséquent. Alors, chaque année, nous avons essayé de mettre au moins un étalon confirmé, qui nous faisait vraiment rêver. Nous avons ainsi utilisé Arko III, Sandro Boy à l’époque où il n’était pas encore en France, ou encore Toulon”, développe la native du Val-de-Marne. Malgré tout, l’éleveuse n’hésite pas, chaque année, à faire confiance à des mâles plus confidentiels, à l’image de Bornthis Way Chapelle (Kashmir van’t Schuttershof x Capitol II), gagnant jusqu’à 1,45m avec Alexis Deroubaix et désormais monté par la Canadienne Emilie Bussereau, Ernest (Jalisco B x Galoubet A), un Selle Français Originel descendant de la grande Manuela et un temps stationné au haras de Grisien, Crunch 3 (Clarimo x Canturo), grand espoir de Rolf-Göran Bengtsson malheureusement blessé prématurément, Caesar (Chacco-Blue x Ramiro), partenaire de Robinson Maupiler et surtout fils de Ratina Gamma, clone de la jument du siècle, Chatinue (Chacco-Blue x Continue), frère utérin des géniaux Balou du Rouet et Cornet’s Balou, alias Balou du Reventon, et père de moins d’une centaine de produits enregistrés sur la base de données Horsetelex, ou encore Zinedream (Zinedine x Contender), valeur montante du piquet de l’Allemand David Will, croisé cette année à Ell Djump Grisien. “J’utilise avant tout des étalons qui me plaisent, même si parfois certains choix peuvent ne pas paraître très logiques. Il y a une telle part de chance dans ce métier, qu’il faut aussi savoir se faire plaisir et utiliser les chevaux auxquels on croit. Cela ne fonctionne pas toujours, mais le jeu en vaut la chandelle. Je suis beaucoup plus intuitive et instinctive que raisonnée dans mes croisements. Je ne pense pas refaire naître un Enjeu dans ma vie, parce que c’est un coup de chance exceptionnel, mais je me fais plaisir, avec des poulains que j’ai envie de voir et de faire naître”, sourit Clémentine. “En fonction des années et de la réussite, j’essaye d’utiliser un étalon connu et reconnu, dont on sait les qualités de père et qui est confirmé sur descendance, ainsi qu’un plus jeune, mais qui tourne déjà en compétition. J’ai failli utiliser des trois ans plusieurs fois, mais je ne l’ai jamais fait. Je me tourne vers des chevaux qui ont au moins concouru à six ou sept ans. J’estime qu’après cette étape, la suite de leur carrière est surtout déterminée par leur cavalier et les blessures potentielles. Parfois, le destin de certains étalons est rageant, comme pour Crunch, qui s’est blessé et n’accèdera jamais au haut niveau, alors qu’il avait pourtant le bon cavalier. Mais je ne regrette pas du tout mon poulain, qui est assez plaisant !”
Les choix de croisements de Clémentine sont aussi guidés par la volonté de renforcer les qualités de sa jumenterie, plutôt que de chercher à corriger d’éventuels défauts. “De façon générale, mes produits n’ont pas un geste de devant formidable, parce que mes souches sont ainsi. J’essaye d’y faire attention, mais ce n’est pas ce qui me dérange le plus. Je préfère renforcer les points forts plutôt que de corriger les défauts à tout prix. Sinon, j’apprécie les chevaux avec de la force, et une bonne bascule. J’essaye également d’avoir des chevaux avec un bon tempérament, même si cela ne colle pas tout à fait avec Enjeu !”, glisse l’éleveuse.
Nobless des Fontaines catalyse la réussite du haras
Présente dès le début de l’aventure, Nobless des Fontaines a été le fer de lance de l’élevage de Grisien. Cette alezane au caractère bien trempé est née chez Aars Alberts, du croisement entre Andiamo et Koriano des Fontaines, elle-même fille de l’Anglo-arabe Jalienny et petite-fille de l’olympique Jus de Pomme. Outre Nobless, Koriano des Fontaines, dont la quatrième mère est à l’origine d’un certain Jumpy des Fontaines, a également donné, en 2014, Ego des Cabanes, un fils de Quel Homme de Hus, né Quempas. Ce dernier évolue jusqu’en CCI 4*-L, sous la selle de Luc Château.
Repéré dans le Sud par Sébastien Randon, ami normand d’Adrian Kell, Nobless est acquise en co-propriété à trois. “L’histoire de Nobless est assez rigolote. Elle est née chez Monsieur Aars Albert et a grandi en Normandie. Ensuite, elle est partie en Île-de-France, à vingt kilomètres de l’élevage, dans un club. Là-bas, elle a déclaré une tendinite et s’est retrouvée dans un lot de chevaux, vendu par un marchand dans le Sud. C’est là-bas que le copain de mon ex-mari l’a trouvée. Nous l’avons achetée comme poulinière là-bas, puis elle est retournée un temps en Normandie chez l’ami de mon ex-mari, avant de revenir ici, en Île-de-France. Et puis elle a fini sa vie dans le Sud ! Elle a donc fait deux fois le tour de la France !”, raconte l’éleveuse.
Après avoir donné trois premiers poulains, Nobless est conservée une année supplémentaire à Grisien, avant de rejoindre le Sud et le haras Les Goirannes de Géraldine Moutet, où elle aura deux produits supplémentaires, avant de s’éteindre en 2017. Libres de leur choix de croisement, Clémentine et son ex-mari choisissent d’utiliser Toulon en 2013, après avoir fait confiance à Lando, Sisley de la Tour Vidal et Epsom Gesmeray précédemment.
Retrouvez la seconde partie de cet article ici.
Photo à la Une : Dès le départ, Enjeu de Grisien, ici sur une barre au sol aux côtés de sa mère, sortait du lot. Collection privée