Parfois clivant, L’Arc de Triomphe n’en demeure pas moins un reproducteur de premier ordre. Raoul Deschildre ne s’y est pas trompé, utilisant le fils de Landor S pour fonder la base de son élevage, à partir de juments de faible valeur. Univers de Ch’ti, l’une des premières stars à avoir émergé de son savoir-faire, tout comme Fini l’Amour, vainqueur du Grand Prix 2* de Lyon début novembre et grand espoir de Marie Pellegrin, en sont deux fils. Discret, celui qui est à la ville grossiste en viande dans le Nord de la France retrace l'ascension de son élevage, évoque sa philosophie, l’importance du sang et ses futurs espoirs.
En élevage, suivre ses convictions et sortir des chemins tout tracés mène parfois au succès. Fini l’Amour, neuf ans et heureux lauréat du Grand Prix 2* d’Equita Longines Lyon début novembre en est une preuve. Aujourd’hui complice de Marie Pellegrin, le petit hongre à la robe ébène a fait ses premiers pas dans le Nord, où Raoul Deschildre l’a élevé. Et ce dernier a tenté un pari osé, mais gagnant, en utilisant L’Arc de Triomphe sur… une petite-fille de ce même étalon ! “C’est un cheval très intelligent, avec un cœur énorme et beaucoup de caractère. Les résultats que nous avons obtenus récemment sont dus à sa qualité, et non à ma capacité à le monter parfaitement. Je crois beaucoup en lui, donc je veux prendre le temps nécessaire et ne pas griller des étapes”, disait Marie Pellegrin au sujet de sa star en juin dernier, dans les colonnes de GRANDPRIX.info.
Des lignées originales et variées
L’élevage de Raoul Deschildre, boucher charcutier de métier et à la tête d’une entreprise de vingt salariés, a vu naître ses premières générations de chevaux au milieu des années 2000. “J’ai commencé tout doucement, d’abord avec des chevaux bas de gamme, des poneys ou d’autres chevaux qui devaient partir à l’abattoir et que j’essayais de sauver. Puis je suis passé à l’étape suivante, en essayant de développer des chevaux de qualité”, introduit-il. “Mon intérêt pour les chevaux n’est pas du tout un héritage familial. Après une séparation, il me fallait trouver une occupation. Alors, je me suis de nouveau investi dans les chevaux. J’ai été cavalier et ai fait de la compétition, avec une équipe de vétérans. Grâce à mon métier, j’avais acheté une jeune jument, Ligne Royale, avec laquelle j’ai fait des concours et qui m’a apporté énormément de plaisir, de satisfaction et l’amour entre le cheval et l’homme. Dans le même temps, j’ai fait la rencontre de Philippe Dievart, qui avait une science un peu plus poussée sur l’élevage. Nous avons monté un élevage, essentiellement basé sur le mariage de juments Pur-Sang avec L’Arc de Triomphe. J’ai acheté trois juments Pur-Sang à Philippe, que j’ai croisées à L’Arc. Les gens me disaient que j’étais fou ! Puis, au fil du temps, j’ai continué à apporter de plus en plus de sang, avec des étalons comme Col Canto ou d’autres.”
Source, Sérénade et Soirée d’Amour sont l’illustration de ce croisement fondateur ayant propulsé Raoul Deschildre dans l’élevage de chevaux de sport de qualité. Ces trois filles de L’Arc de Triomphe et petites-filles de Monseigneur, Sunshine Forever et Shadeed ont donné plusieurs poulains à leur naisseur. La première d’entre elles est à l’origine de cinq produits, donc Elixir d’Amour (Col Canto), ICC 122, prometteur à cinq et six ans sous la selle d’Arthur Marx en concours complet et malheureusement décédé à neuf ans, Croque l’Amour (Quaprice Bois Margot, ex Quincy), ISO 123, vue sur le Cycle classique à six ans avec Benjamin Le Comte puis présentée jusqu’à 1,15m sous selle amateur, Voltus (Col Canto), IDR 131, sans-faute jusqu’en Cycle classique cinq ans et surtout gagnant jusqu’en Amateur 1 dressage avec Amélia Delpire, ainsi que Beau Goss d’Amour (Norton d’Eole), son meilleur produit. Avant de passer sous bannière espagnole en décembre dernier, le hongre gris avait disputé son premier Grand Prix 4* à 1,55m avec Eden Leprevost-Blin Lebreton et s’était classé jusqu’à 1,50m sur la scène nationale et 1,45m face à une concurrence internationale.
De son côté, Sérénade d’Amour a engendré Vivalavie (Col Canto), consacrée à l’élevage et mère d’un certain Il Vit d’Amour (Comme Il Faut), en lequel son éleveur fonde de bons espoirs. “J’ai croisé Sérénade d’Amour à Col Canto, un étalon plein de sang. De ce mariage est née Vivalavie, que j’ai confiée à Comme Il Faut pour obtenir Il Vit d’Amour. Cette année, il a fait dix-sept parcours, dont treize sans faute. Pendant la Grande Semaine de Fontainebleau, il a concédé une faute lors de son second parcours…”, détaille Raoul. “De cette même souche, j’ai également fait naître Icône d’Amour, un fils de Big Star (né What A Quickstar R, ndlr) et Friandise d’Amour, par Cornet Obolensky (né Windows vh Costersveld, ndlr) et Vivalavie. Icône a été vendu à Clémentine Bost, la fille de Roger-Yves.” Le bai suit sa formation sous la selle de Thibaut Bazire et s’est aguerri sur des préparatoires à 1,15 et 1,20m ces dernières semaines, après avoir participé avec réussite au circuit du Cycle classique l’an passé, à cinq ans.
D’autres lignées ont également étoffé le cheptel de Raoul Deschildre, à commencer par celle de Viti, mère de l’étalon Galoubet A. Tanagra d’Amour (Quidam de Revel x Rosire), une arrière-petite-fille de Viti, a donné sept produits à son naisseur, dont Favorite d’Amour (Cornet Obolensky), neuf ans, formée par Manuel Thiry, ancien second de Grégory Wathelet, et passée sous la selle l’Allemand Tom Sanders, qui l’a présentée jusqu’en Grand Prix 2* cette année, et Amour d’un Jour (Berlin, né Caspar), sacré champion d’Europe Junior par équipe cet été à Peelbergen avec le Français Jack Conlon Gateau. Ligne Royale (Prix d’Excellence x In Chala A), née chez Daniel Bliard et ancienne jument de compétition du Nordiste, a également imité ses voisines en devenant mère de six chevaux. Parmi eux, Impératrice d’Amour (Untouchable 27), ISO 122, troisième de la finale des Cycles libres troisième année six ans à Fontainebleau en août dernier. Comme Il Vit d’Amour et Jouvance d’Amour (Cornet Obolensky et Sensation d’Amour x Burggraaf), qui appartiennent toujours à leur éleveur, Impératrice est confiée à Jonathan Flament, avec qui Raoul entretient une étroite collaboration pour la valorisation de ses précieux trésors. “Impératrice a été surprenante toute la saison. Elle a terminé sans pénalité à chaque rendez-vous, nous sommes contents de son comportement. Au départ, je la sortais sur le circuit Cycle classique. Elle était tellement précieuse qu’on ne voulait pas qu’elle se fasse peur. Elle est plus tardive que les autres, mais elle possède un potentiel et un vrai mental”, commentait le cavalier à l’issue de cette la finale bellifontaine.
Sous sa selle évolue également un prometteur frère utérin d’Impératrice, Krypton d’Amour. Auteur de cinq parcours parfaits cette année, le hongre est donc un fils de Ligne Royale et de Frou Frou d’Amour, un autre protégé de Raoul. L’étalon est un propre frère de Jouvance. S’il ne compte que… quatre produits enregistrés en France, le Selle Français en a donné davantage en dehors de l’Hexagone, mais sous un autre nom : Classico TN, témoin de son appartenance à la famille Nijhof, à la tête d’un haras et d’une station de monte dont la réputation n’est plus à faire. “Frou Frou est un très beau cheval, avec beaucoup d’expression. Je ne sais pas s’il a été blessé, mais on ne le voit pas beaucoup sur les terrains de concours”, regrette son naisseur. “Son fils, Krypton, est très bon. Il a quatre ans et nous verrons bien ce que l’avenir lui réserve, mais il s’agit d’un cheval de cœur.”
Mais le premier grand succès de Raoul puise sa source chez une autre lignée, que rien ne prédestinait à briller sur les terrains de compétitions.
Univers de Ch’ti, une révélation précoce
Les ingrédients sont similaires, mais la recette n’est pas exactement la même. Raoul a enregistré la première naissance à son nom en 2004, à partir d’une jument Origines non constatées, prénommée Princesse. Cette même Princesse, que rien ne prédestinait à une quelconque réussite à l’élevage, lui donnera directement Quartz du Bellot (For Ever IV), puis Rusea du Bellot (Lotus XV), un an plus tard. Saillie à deux ans par… L’Arc de Triomphe, évidemment, Rusea donnera, en 2008, Univers de Ch’ti. Avec son ISO 160, le hongre reste, pour l’heure, le meilleur représentant de l’élevage nordiste.
Valorisé par Julie et Thomas Demarquilly de ses quatre à sept ans, le Selle Français démontre rapidement sa régularité, enchaînant les parcours parfaits sur le Cycle classique avant de faire ses débuts internationaux au printemps 2015. Dans la foulée, le bai change de mains et intègre les écuries de Thomas Lambert, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa retraite, intervenue en 2022, à seulement quatorze ans. Ensemble, le duo se montrera particulièrement redoutable jusqu’à 1,50m, totalisant plus de cent vingt-cinq mille euros de gains. Parmi ses plus belles réussites, citons ses deuxièmes places dans les Grands Prix 2* de Sancourt et Chantilly en 2017, ses troisièmes places dans les épreuves reines des CSI 3* du Touquet en 2018 et de Canteleu en 2019, sa victoire dans le Grand Prix Pro Elite du Grand National de Lamballe en 2019, ses deuxièmes rangs dans ceux de Mâcon et Saint-Lô et ses troisièmes dans ceux de Canteleu, Paris et Vichy la même année, sans oublier ses nombreux classements nationaux et internationaux au fil des années. “Après six saisons sous la selle de Thomas, dix-neuf victoires et d’innombrables classements, le crack Univers de Ch’ti coule désormais une retraite heureuse au pré, avec ses copains, chouchouté comme un prince pour ne pas changer. Merci Univers d’avoir été ce compagnon de route si fidèle, merci de nous avoir fait vibrer et briller en piste, merci pour ces longues années de bonheur à tes côtés”, écrivaient les équipes des écuries Lambert en 2022, en hommage à leur star.
“Univers est aussi un fils de L’Arc”, sourit Raoul. “J’ai eu beaucoup de produits de cet étalon. Il a été, en quelque sorte, la base de mon élevage. L’Arc était un poulain orphelin, ce qui lui a conféré un caractère un peu particulier. Les poulains orphelins peuvent avoir un rapport particulier à l’homme, du fait qu’ils aient été nourri et élevé par celui-ci. Mais il faut savoir distinguer le caractère du sang. L’Arc en transmet, et c’est notamment pour cela que je l’ai utilisé.” Désormais très prisé en père de mère, et moins populaire que lors de ses plus belles années de monte, où il a honoré jusqu’à quatre-cent soixante-dix-huit juments par saison dans l’Hexagone, le fils de Landor S et petit-fils de Pilot n’en reste pas moins intéressant. Preuve en est, l’éleveur nordiste voit l’une de ses perles de neuf ans, un certain Fini l’Amour, frapper à la porte du haut niveau en 2024.
La seconde partie de cet article est disponible ici.
Photo à la Une : Entre Marie Pellegrin et Fini, une véritable histoire d’Amour s’écrit. © Mélina Massias