Obligatoire sur les tracés des Grands Championnats, et vecteur d’inoubliables moments de sport, la rivière, au même titre que les autres obstacles composant un parcours de saut d’obstacles, appartient au patrimoine des sports équestres. Unique dans son abord, et peu populaire auprès des cavaliers, cet obstacle d’eau est cependant de moins en moins présent sur le circuit international.
Mardi 6 août 2024. En finale individuelle des Jeux olympiques de Paris, le Mexicain Andres Azcarraga se retrouve les pieds dans l’eau, après le refus de Contendros 2 à l’abord de la rivière, sixième difficulté du parcours imaginé par les chefs de piste Grégory Bodo et Santiago Varela. Un peu plus tôt dans cette finale, le Japonais Takashi Haase Shibayama avait été contraint à l’abandon, après un refus de son Karamell M&M sur ce même obstacle d’eau.
Un dénouement malheureux pour les deux athlètes, qui n’est pas sans rappeler la chute cruelle de Pénélope Leprévost aux Jeux équestres mondiaux de Caen, le 6 septembre 2014. Tout juste parée d’argent avec l’équipe de France (Simon Delestre, Kevin Staut et Patrice Delaveau), la Normande et sa géniale Flora de Mariposa abordaient la finale individuelle avec la septième place au classement provisoire. En trébuchant à la réception de la rivière au milieu de son premier parcours, la jument avait envoyé sa cavalière au sol, anéantissant toutes chances d’une deuxième médaille à domicile.
Loin de constituer une anomalie dans le saut d'obstacles de haut niveau, ces quelques exemples viennent tout de même mettre le doigt sur une tendance plus large : la rivière est un obstacle difficile, souvent redouté des cavaliers, et de plus en plus rare sur le circuit international.
“J’ai déjà vu des cavaliers rater une médaille à cause de la rivière” Roger-Yves Bost
“Dans la grande majorité, les cavaliers ne raffolent pas de la rivière affirme Grégory Bodo, chef de piste international. Il m’arrive de recevoir des messages une semaine avant un Grand Prix, me demandant si j’envisage de mettre une rivière” s’amuse-t-il.
Une réticence qui s’explique avant tout par la technique singulière qu’implique le passage de rivière sur un parcours. “C’est un obstacle délicat, totalement différent des autres en termes d’approche de saut. acquiesce le chef de piste. Il y a quatre mètres à franchir (dans une épreuve olympique, la largeur de la rivière doit se situer entre 3,80m et 4m), totalement plat, et le couple ne doit pas mordre la ligne à la réception. Le cavalier doit donc amener sa monture à la perfection dans la zone d’appel, avec des foulées croissantes. Le cheval, lui, découvre la rivière seulement quelques foulées avant, et doit réaliser un saut en longueur. Vous n’avez pas le droit de vous tromper.” développe-t-il.
En plus d’une maîtrise technique parfaite du cavalier dans la zone d’abord, la qualité du saut de rivière est en partie déterminée par les aptitudes naturelles du cheval. “Certains chevaux sautent naturellement bien les rivières. Mais d’autres ont plus d’appréhension, ou, au contraire, ont tendance à mettre les pieds dans l’eau. relate Roger-Yves Bost, champion olympique de saut d’obstacles avec l’équipe de France à Rio (2016). Dès que les chevaux ont quatre ou cinq ans, on commence à leur faire sauter de petites rivières pour que cela fasse partie de leur environnement. C’est un obstacle qu’il ne faut pas sous-estimer, j’ai déjà vu des cavaliers rater une médaille (dans un Grand Championnat) à cause de la rivière.” ajoute-t-il.
Vers une raréfaction de la rivière sur le circuit international ?
S’il reste toujours rendu obligatoire par le règlement de la Fédération équestre internationale (FEI) dans les Grands Championnats et dans l’ensemble des Coupe des nations, cet obstacle d’eau est de plus en plus rare sur les épreuves internationales. Il est notamment très peu présent sur le Longines Global Champions Tour, l’un des circuits les plus prestigieux du saut d’obstacles mondial (sur les quatorze premières étapes de l'édition 2024, un seul Grand Prix, celui de Madrid, disposait d'une rivière sur son parcours initial). “La rivière en tant que telle, est nettement moins présente dans l’ensemble des compétitions à travers le monde. confirme Grégory Bodo. Aujourd’hui, de plus en plus de compétitions se déroulent sur des pistes éphémères, qui sont démontées juste après l’événement. Ce sont souvent des terrains plus étroits, qui ne sont pas propices à l’installation d’une rivière.” développe-t-il.
Moins présent au plus haut niveau, cet obstacle d’eau a aussi été amené à évoluer pour préserver le bien-être des chevaux. “Le passage de rivière nécessite un saut longitudinal. Le poids du cheval se répartit moins bien sur les membres antérieurs, et cela peut, de temps en temps, entraîner un dommage corporel au niveau du suspenseur du boulet.” explique Grégory Bodo. Pour limiter les risques de blessures, l’obstacle s’est donc légèrement transformé au fil des années. Aujourd’hui, les rivières sont moins profondes, moins larges, et il y a beaucoup plus de sécurité dans la zone de réception.” acquiesce le chef de piste.
Indiscutable patrimoine des sports équestres, la rivière a évolué avec son temps pour s’acclimater aux nouveaux enjeux du saut d’obstacle mondial. Décriée par certains, incontournable pour d’autres, elle continue à pimenter les tracés de certaines des plus belles épreuves du monde, du terrain en herbe quasi centenaire d’Aix-la-Chapelle, à la piste en sable éphémère de Versailles, à l’occasion des Jeux de Paris.
Photo à la une : Roger-Yves Bost et Delph de Denat*HDC au CSIO 5* de La Baule, le 7 juin 2024. © Scoopdyga