En l’espace de douze mois, Gilles Thomas, grand espoir du clan belge, est devenu l’une de ses figures incontournables. Il faut dire que le cavalier de vingt-six n’a rien raté avec son phénoménal Ermitage Kalone, champion de Belgique en 2023, auteur de débuts impériaux à 1,60m en mai dernier et surtout sélectionné pour les Jeux olympiques de Paris. Grâce à son étalon Selle Français, qu’il a toujours préservé, mais aussi sa fidèle Luna van het Dennehof, lauréate du Grand Prix 5* de Shanghai en mai et sacrée à son tour championne du Plat-Pays en septembre, le Diable Rouge a vécu une année de rêve. Celui qui est installé au sein des écuries Nieuwenhof gérées par son oncle, Marc van Dijck, évoque sa saison hivernale, revient sur son ascension au plus haut niveau, parle de ses chevaux et d’élevage, de son expérience olympique ou encore de son système. Épisode 1.
Quels sont vos objectifs pour cet hiver ? Ambitionnez-vous de participer à la finale de la Coupe du monde Longines, qui se déroulera à Bâle, du 2 au 6 avril prochain ?
La saison extérieure a déjà été longue et j’ai participé à pas mal de compétitions durant l’été. De fait, la finale de la Coupe du monde ne sera pas mon objectif principal. Je participe aux étapes de Lyon, Vérone puis de Malines, qui est un super concours, surtout pour nous les Belges. J’irai aussi à Genève, qui sera, avec Malines, mon principal objectif en indoor. Je me concentrerai aussi particulièrement sur Riyad, où se dérouleront, en extérieur, les finales du Global Champions Tour et de la Global Champions League. Cela étant, si je parviens malgré tout à me qualifier pour la finale de la Coupe du monde, je serai heureux d’y prendre part.
Quel bilan tirez-vous de votre année 2024, agrémentée de quelques très belles réussites ?
J’ai passé une bonne année ! J’ai remporté le Grand Prix 5* de Shanghai, puis j’ai participé aux Jeux olympiques et je suis devenu champion de Belgique Senior pour la deuxième fois d’affilée. C’étaient trois excellentes performances. Mon année est réussie, plus que je ne l’espérais.
“Cette année, j’ai vraiment senti que Luna van het Dennehof était prête”
Depuis plusieurs années, vous êtes décrit comme un grand espoir de l’équipe belge de saut d’obstacles. Votre carrière semble avoir pris une nouvelle dimension à partir de l’obtention de votre premier titre de champion de Belgique, en septembre 2023. Quel regard portez-vous sur cette ascension ? Vous attendiez-vous à ce qu’elle intervienne aussi rapidement ?
Non ! Mais cela est aussi dû à mon cheval, Ermitage Kalone (Catoki x Kannan). L’année dernière, il n’avait que neuf ans, donc je n’ai pas fait beaucoup de grands concours avec lui. Les championnats de Belgique, qu’il a remportés, étaient son premier grand rendez-vous. Cet été, j’ai obtenu de bons résultats avec lui et c’est ce qui nous a permis d’aller aux Jeux olympiques. Mon autre bonne jument, Luna van het Dennehof (Prince van de Wolfsakker x Quidam de Revel), a treize ans. En début d’année, j’ai dit à mon oncle, Marc van Dijk, qu’elle était prête ! Elle est très respectueuse et a besoin d’être en confiance. Avec mes deux chevaux de tête, nous étions en pleine forme cette saison et cela nous a permis de vivre une très bonne année 2024. Parfois, il faut avoir les bons chevaux, comme moi en ce moment ! Cela aide beaucoup.
Luna van het Dennehof est votre complice depuis un certain nombre d’années et a, en effet, accompli de très belles choses cette année. Que représente-t-elle à vos yeux ?
Beaucoup de choses ! J’ai commencé à la monter lorsqu’elle avait six ans, soit il y a sept ans. Cette année, j’ai vraiment senti qu’elle était prête. Par rapport à Ermitage, qui n’a eu besoin que de six mois pour sauter aux Jeux olympiques, elle a eu besoin de davantage de temps. Sa progression a été totalement différente. Jeune, elle était presque trop respectueuse. Au fil des ans, elle a gagné en expérience et en confiance. Désormais, je la connais par cœur. Cette année, nous avons remporté le Grand Prix 5* de Shanghai ensemble et les championnats de Belgique, ce qui est génial.
En juin dernier, à l’occasion du CSI 5* de Stockholm, vous avez présenté pour la première fois sur la scène internationale Riviera van het Dennehof (Chatman), une fille de Luna âgée de sept ans, dans les épreuves réservées aux jeunes chevaux. Comment jugez-vous son potentiel ?
Effectivement ! Riviera est la fille la plus âgée de Luna. Nous sommes co-propriétaires de Luna (avec Patrick de Muynck, ndlr). Riviera a passé les six premières années de sa vie dans une autre écurie, chez ses co-propriétaires, et est arrivée il y a environ un an chez nous. Elle est encore verte, mais réalise beaucoup de sans-faute. Évidemment, comme elle est une fille de Luna, nous lui donnons un peu plus de temps pour s’aguerrir, mais, pour l’instant, elle semble prometteuse. Sera-t-elle aussi douée que sa mère ? Seul l’avenir le dira.
Quels sont leurs points communs et leurs différences ?
Elles sont toutes les deux très sensibles aux bruits ! C’est assez étrange : les deux chevaux les plus affectés par cela aux écuries sont Luna et sa fille. Elles ont beaucoup de caractère toutes les deux, mais Riviera montre un peu plus de moyens et de force que sa mère au même âge. Et elle est aussi très respectueuse.
Luna vous a également donné une fille d’Ermitage Kalone en 2022. Comment est-elle ?
Elle n’a que deux ans et n’a pas encore sauté pour l’instant. Le temps est encore très agréable et elle est toujours au pré, mais lorsqu’elle rentrera pour l’hiver, je pense que nous pourrons la faire sauter quelques fois en liberté. Elle se déplace très bien, elle a un modèle magnifique et est alezane, comme Ermitage. Elle est née le jour où Luna a sauté son premier Grand Prix 5*. C’était à Miami, et elle a terminé troisième. En Belgique, comme en France, chaque année de naissance correspond à une lettre. En 2022, il s’agissait du W. Alors, nous l’avons baptisée Wiami. Le fait qu’elle soit une fille d’Ermitage et Luna, et qu’elle soit née ce jour-là en particulier la rend d’ores et déjà spéciale à nos yeux. Elle n’a pas besoin d’être une superstar dans le futur ; si elle est bonne, cela sera déjà très bien.
“À chaque fois qu’Ermitage Kalone a dû franchir un nouveau cap, il l’a fait sans forcer”
Après les Jeux olympiques de Paris, Ermitage Kalone a profité de deux mois de repos, avant de reprendre la compétition mi-octobre, à Rabat. Comment va-t-il ?
Bien ! Il a en effet eu une période de repos après les Jeux, puis je l’ai emmené à Rabat, dans le but de le préparer pour Riyad. Il était en bonne forme. Nous avons commis une faute dans le Grand Prix, mais il s’agissait de son premier concours de reprise. Je n’avais pas fait de petit concours avant : il a repris directement au niveau 5*. C’est aussi pour cette raison que je l’ai emmené à Lyon, afin de lui donner un plus de rythme avant la finale de Riyad, qui est importante dans mon programme de cette fin d’année. Grâce à ma victoire à Shanghai, je suis qualifié pour le Super Grand Prix, que je souhaite disputer avec Ermitage. Je le prépare donc dans cette optique et c’est aussi pour cela que nous lui avons accordé une pause après les Jeux.
De l’avis de tous ou presque, ce cheval est assez exceptionnel. Quelles sont vos sensations sur son dos ?
Ermitage est très intelligent. Il fait tout avec beaucoup d’aisance. Comme il est étalon, il n’a pas fait énormément de concours et n’a, donc, pas tant d’expérience que cela. Mais à chaque fois qu’il a dû passer au niveau supérieur, franchir un nouveau cap, il l’a fait sans forcer. Dès qu’on lui propose quelque chose de nouveau, il comprend et intègre tout très rapidement.
Ermitage Kalone vous a permis de vivre votre premier grand championnat Senior, cet été à Versailles, à l’occasion des Jeux olympiques. Cette sélection est d’autant plus remarquable qu’elle est intervenue à peine quelques mois après la première épreuve à 1,60m de votre étalon, qu’il a disputée en mai dernier, et au sein de la très compétitive équipe belge…
Oui, tout est allé très vite. Beaucoup de gens parlaient déjà des Jeux olympiques l’an dernier, mais à ce moment-là, il ne sautait que des épreuves à 1,50m et avait peut-être affronté un parcours à 1,55m (trois en réalité, lors de Grands Prix 4* à Vejer de la Frontera et Maastricht et une épreuve au CSI 5*-W de Malines, tous trois conclus sans pénalité aux obstacles, ndlr). Mais c’est aussi ce qui le rend si bon : il fait tout facilement et les gens ne s’y trompent pas. Ermitage a participé à son premier Grand Prix 5* à Madrid, en mai. Il devait prendre part à d’autres concours, mais je n’ai pas été retenu pour le CSI 5* de Fontainebleau, puis je suis allé à Saint-Gall, mais le concours a été annulé en raison de la météo. Ce n’était pas vraiment la préparation parfaite pour les Jeux ! Finalement, nous n’avons eu que deux concours, Madrid et Rotterdam, pour faire nos preuves et décrocher notre ticket pour les Jeux. Heureusement, ces deux rendez-vous se sont bien déroulés (avec cent pourcents de sans-faute aux obstacles à 1,60m, ndlr), mais la situation n’était pas idéale.
“Dès que l’on saute les premiers obstacles au paddock avec Ermitage Kalone, une bonne dose de pression s’envole”
Selon vous, qu’est-ce qui rend Ermitage Kalone meilleur que la moyenne de ses concurrents ?
Je pense que son mental le distingue des autres. Il y a d’autres chevaux qui ont les mêmes moyens et le même respect que lui, mais son mental est tel que, malgré ses dix ans, il semble avoir l’expérience d’un cheval de dix-huit ans ! Il est très bien dans sa tête et je pense que c’est ce qui le rend aussi bon.
Au-delà de ses performances sportives, de son modèle et ses qualités, Ermitage Kalone est aussi très convoité à l’élevage et attire tous les regards à chacune de ses sorties. Ressentez-vous une pression supplémentaire lorsque vous le montez ?
Bien sûr, on ressent une certaine forme de pression, mais je monte Ermitage depuis bientôt quatre ans. Lorsque nous avons commencé à évoluer ensemble, il avait six ans. Il était déjà apprécié, mais pas autant qu’aujourd’hui. Finalement, nous avons grandi et nous sommes habitués à cela ensemble. Ce n’est pas comme si, dès mes débuts avec lui, il était le même phénomène qu’aujourd’hui. Et puis, il est tellement talentueux que cela enlève un poids. Dès que l’on saute le numéro un puis le deux en piste, et même dès les premiers obstacles au paddock, une bonne dose de pression s’envole.
Vous pouvez également compter sur Elfra van Beek (El Savador x Vagabond de la Pomme), un étalon de dix ans, pour épauler vos deux montures de tête. Quelle est l’histoire de ce cheval ?
Je monte aussi Elfra depuis quelques années, presque trois. Il est très compétitif, surtout jusqu’à 1,50m, et a déjà remporté plusieurs épreuves de ce niveau cette année. Il est capable de sauter des parcours à 1,60m, mais nous avons plus de chances de gagner à 1,50m. On ne peut pas le comparer à Ermitage, mais c’est un super cheval. Et pour participer aux plus beaux concours, il ne faut pas seulement un bon cheval, mais plusieurs.
À quel point vous intéressez-vous à l’élevage ?
Beaucoup. Par exemple, nous avons élevé Luna ensemble, avec ses co-propriétaires. Nous avons également quelques étalons, dont notre exceptionnel Ermitage Kalone, ou encore Elfra van Beek. Lorsqu’on a de bonnes juments et de bons étalons, l’élevage prend tout son sens et a un vrai intérêt. Trouver des bons jeunes chevaux et les acheter n’est pas aisé. Et si l’on a la chance de croiser leur route, ils restent souvent coûteux. C’est pourquoi nous essayons de faire naître entre dix et douze poulains par an. Je pense que cela en vaut la peine.
Avez-vous d’autres produits de votre élevage qui vous semblent prometteurs ?
Nous avons Riviera, mais Luna a d’autres produits. Elle a eu un poulain par an, donc nous avons des jeunes de six, cinq, quatre ans, etc. J’ai également un étalon de six ans que nous avons fait naître et qui me semble très intéressant. Je pense qu’il sera très, très bon.
“Certains cavaliers retirent l’affixe des chevaux ; je n’aime pas cela”
Sans éleveur, les sports équestres n’existeraient pas. Comment pourrait-on leur accorder plus de reconnaissance, à eux qui restent souvent dans l’ombre ?
Les éleveurs donnent souvent un affixe à leurs chevaux. Certains cavaliers retirent cette marque d’appartenance ; je n’aime pas cela. Nous laissons toujours les noms de naissance des chevaux. Pour Ermitage, Kalone est le nom de son élevage, et pour Luna, il s’agit de van Dennehof. Je pense que c’est déjà une première bonne chose pour les éleveurs. Comment leur donner davantage d’attention ? Je ne sais pas… Leurs noms sont parfois mentionnés sur les listes de départ. Les convier aux remises des prix lorsque leurs chevaux remportent des épreuves me semblent compliqué, voire impossible ; ils ne peuvent pas suivre leurs chevaux tous les week-ends… Cela étant, effectivement, sans les éleveurs, les cavaliers ne sont rien.
La seconde partie de cette interview est disponible ici.
Photo à la Une : Gilles Thomas et son phénoménal Ermitage Kalone à Equita Lyon. © Mélina Massias