Fondé en 2010 par Clémentine Wacquiez et Adrian Kell, l’élevage de Grisien n’a pas tardé à écrire ses premières lettres d’or. Grâce à Enjeu, bouillonnant fils de Toulon et Nobless des Fontaines, l’affixe de l’élevage seine-et-marnais a été porté au sommet, en décembre dernier, lorsque le bai a remporté le Grand Prix Coupe du monde de Londres, sous la selle de Ben Maher. Cet été, juste avant les Jeux olympiques de Paris, le Selle Français de dix ans s’est de nouveau distingué, se classant deuxième du Grand Prix CSIO 5* d’Hickstead, frôlant une nouvelle grande victoire. Une réussite collective, qui ravit toutes les personnes ayant croisé la route de ce cheval particulièrement spécial et délicat. Désormais, Clémentine Wacquiez vole de ses propres ailes, toujours au cœur de la ferme de Grisien. La nouvelle page de son livre s’écrit toutefois sous l’affixe d’Arundi, que portent plusieurs jeunes chevaux prometteurs.
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“Nobless des Fontaines, la mère d’Enjeu de Grisien, était très compliquée”, narre Clémentine Wacquiez, co-fondatrice du haras de Grisien, dont elle est désormais seule responsable. “Mais elle sautait vraiment très, très bien. Elle avait un coup de saut incroyable. Quand on mettait 1,20 ou 1,30m dans le rond de longe, on avait l’impression d’avoir mis 1,60m. Tout le monde arrêtait de parler lorsqu’elle sautait. Cependant, Nobless manquait vraiment de force. Nous l'avons croisée avec Toulon qui, bien que pas réputé pour produire les chevaux les plus faciles, est un améliorateur remarquable. On cherchait de la couverture, ce qu’il a ramené.” Avec ce croisement audacieux, le rêve aurait évidemment été d’obtenir une pouliche. “En utilisant Toulon sur Nobless, qui était elle-même très compliquée, nous nous sommes dit ‘tant pis s’il y a un loupé’. Si le poulain n’avait pas eu la qualité pour le haut niveau, il aurait sans doute été immontable par un cavalier classique. Il faut aussi avouer que nous espérions fortement une pouliche. Et nous y avons cru jusqu’au bout ! Pour toutes ses femelles, Nobless s’est préparée à mettre bas de la même façon. La seule fois où elle a dérogé à sa routine, elle a eu un mâle. En 2014, elle se préparait de nouveau comme pour une pouliche. J’étais persuadée que nous aurions une femelle, que nous conserverions pour prendre la relève de sa mère, que nous avons vendue juste après la naissance d'Enjeu. Mais finalement, elle a pouliné d’un mâle. On avait une chance sur deux, mais, je ne sais pas pourquoi, nous nous étions persuadés que nous allions garder cette pouliche”, s’amuse Clémentine.
Pourtant, le jeune mâle ne déçoit pas le duo d’éleveurs. Loin de là. “Physiquement, Enjeu était parfait. On le voit sur les photos : il était déjà planté, avait de l’équilibre et tout ce qu’il faut. Il se déplaçait de façon fantastique, avait une amplitude au galop remarquable et s’envolait au-dessus des barres au sol, comme si de rien n’était. Sa sœur par Lando, Audace de Grisien, sautait de la même manière. Nous l’avons élevée plus longtemps qu’Enjeu. Elle est partie à deux ans environ, mais elle avait aussi un vrai tempérament. C’était compliqué ! À l’époque, mon ex-mari et moi débourrions nos poulains, mais avec Audace, nous nous étions dit que nous ne poserions jamais nos fesses dessus. Ni lui ni moi n’étions aptes à faire ça. Il ne fallait pas se louper, il fallait quelqu’un qui sait ce qu’il fait, qui ne se trompe pas car elle n’accepterait pas l’erreur. Avec Enjeu, nous savions que nous avions fait naître un poulain spécial. Il avait vraiment quelque chose de différent dès le départ. À la naissance, il n’était déjà pas comme les autres, il avait un truc en plus, que les autres n’avaient pas”, loue l’éleveuse. “Côté caractère, Enjeu était comme les autres poulains élevés ici, très sympa et proche de l’homme. Mes chevaux sont tous élevés en troupeau et le mode d’élevage fait que j’ai assez peu, voire aucun poulain qui n’est pas proche de l’homme. Les juments le sont déjà, et le transmettent à leurs poulains.” Les qualités intrinsèques d’Enjeu ne tardent pas à taper dans l'œil de Delphine et Patrick Huyse, éleveurs sous l’affixe de la Pomme d’Or et marchands en Belgique. Sur un coup de cœur, tous deux achètent le fils de Toulon au sevrage et le garderont jusqu’à ses sept ans.
Trois lignées principales
Nobless et Enjeu vendus, l’histoire ne s’arrête pas en si bon chemin pour Clémentine, qui continue de peindre son œuvre avec plusieurs juments, dont Basilic de Grisien, sœur utérine d’Enjeu par Sisley de la Tour Vidal, pleine pour 2025 malgré une saison de reproduction délicate en 2024. “Basilic est, physiquement, celle qui ressemble le plus à sa mère. C’est son portrait craché ! C’est assez bluffant”, révèle l’éleveuse. “Ensuite, j’ai une fille de ma première jument, Ell Djump Grisien. C'est une fille d'Armitages Boy, un étalon que j’aime beaucoup. Sportivement, ce n’est peut-être pas la meilleure famille que l’on puisse trouver, mais ce sont des chevaux bien dans leur tête et facile à vivre, à pied comme monté. J’ai également une fille de Nicomea d’Aix, elle-même fille de Nicomea, une Anglo-arabe qui a très bien tourné avec Roger-Yves Bost. J’ai conservé Gaïa de Grisien, une de ses filles par Ernest, un étalon qui a été stationné ici et qui était Selle Français Originel.”
Disposant elle aussi du label Selle Français Originel, Gaïa de Grisien a donné, elle-même et comme la majorité des autres poulinières de l’élevage, trois poulains, avec Argento, Andain du Thalie ainsi que Dartagnan de Béliard, et a été confiée à Suspens Floreval cette saison. “Gaïa est assez jeune et elle n’a eu que trois poulains jusqu’à maintenant. J’ai du mal à trouver des Selle Français Originel qui me plaisent vraiment… Gaïa est en plus une petite-fille de Le Tôt de Semilly, ce qui complique encore plus la tâche. Physiquement, elle s’est faite vraiment sur le tard. Du coup, trouver le bon croisement est un peu plus difficile. Elle a du sang, il n’y a pas de souci là-dessus. D’ailleurs, je ne cherche pas spécialement à en enlever. En 2022, je l’ai croisée plutôt pour du complet J’avais envie d’essayer de faire un poulain de complet avec cette jument, qui a, je pense, toutes les qualités pour produire dans cette discipline. J’adore son poulain ! À terme, l’idée est de pouvoir refaire des Selle Français Originel avec cette jument-là. C’est d’ailleurs pour cela que je l’ai conservée elle plutôt que sa sœur par Sisley de la Tour Vidal”, expose Clémentine. Djust Perfect Grisien, sœur utérine de Gaïa, est la deuxième meilleure représentante de l’affixe de Grisien. Sous la selle d’Anne Coulon, elle a suivi une partie du circuit de formation réservé aux chevaux de sept ans, en 2020, et a été créditée d’un ISO 128 en 2018, après avoir obtenu la mention “Très Bon” à cinq ans à Fontainebleau. Malheureusement, la belle s’est ensuite blessée, mettant un terme aux espoirs sportifs de son entourage.
Nouveau nom pour un second souffle
Après Djust Perfect et Enjeu, Clémentine espère bien voir d’autres de ses poulains briller sur les terrains de compétition. Mais la nouvelle génération ne le fera pas sous l’affixe de Grisien. Depuis 2018, les protégés de la Val-de-Marnaise naissent sous le nom d’Arundi. “Lorsque mes parents ont acheté le domaine, la ferme s’appelait déjà de Grisien. J’ai changé le nom de l’élevage parce que j’éprouvais le besoin de marquer le fait que, désormais, je suis seule en charge de l’élevage. L’aventure a débuté avec mon ex-mari. Nobless était d’ailleurs plus sa jument que la mienne, même si j’ai toujours travaillé au haras et que j’ai passé le diplôme d'inséminateur pour pouvoir gérer le centre. À son départ, j’ai été obligée d’être présente à temps plein à l’élevage, alors que j’exerçais encore à mi-temps comme comptable précédemment. Désormais, je ne fais plus que cela. Changer l’affixe n’était peut-être pas très malin, surtout avec l’avènement d’Enjeu, mais j’en ai eu besoin”, justifie Clémentine.
La prochaine star à émerger des prés de Voinsles sera-t-elle Ckatch’i d’Arundi, Nox d’Arundi, Okinamah Arundi ou bien Born to Be Arundi, l’un des deux produits du génial Balou du Reventon, né Cornet’s Balou, qu’a fait naître Clémentine ? Seul l’avenir le dira. Ckatch’i, fils du Holsteiner Crunch, semble, pour l’heure, tenir la corde. Âgé de six ans, le descendant de Quelia de Piquet (Intime Platière) a toujours séduit sa naisseuse. Vendu en avril dernier, il s’est envolé vers de nouvelles aventures sous la selle du Portugais Mario Wilson Fernandes, classé jusqu’en Grand Prix CSIO 5* et au départ des Jeux équestres mondiaux de Caen, avec lequel il a pris part à ses premières épreuves à 1,20 et 1,25m cet été, après avoir été préparé par Corentin Pouthé et Vivien Gaussier. “Poulain, il était incroyable, un peu comme Enjeu. Même si j’ai du mal à l’imaginer au niveau 5*, je pense qu’il ne sera pas mauvais. J’aimerais bien qu’il évolue au moins sur 1,40m. Je l’ai gardé plus longtemps que les autres, parce que je crois en lui depuis qu’il est poulain”, souligne Clémentine, qui fonde aussi beaucoup d’espoirs en Born to Be Arundi. “Je voulais absolument faire naître un produit de Balou du Reventon. J’adore ce cheval. Comme il n’était disponible qu’à la paillette, et même si c’est moi qui insémine, j’ai acheté un embryon d’une très bonne souche avec cet étalon. Je crois en ce poulain et j’espère qu’il sera talentueux, même s’il y a plein de facteurs qui entrent en compte dans la carrière d’un cheval. J’espère vraiment que celui-là pourra faire de belles choses. Et puis, l’année d’après, j’ai craqué et j’ai utilisé Balou du Reventon directement sur une de mes juments, qui a bien voulu prendre (et a donné Numero Bis d’Arundi en 2023, ndlr).”
Dans le même temps, Jammin’withyou Arundi, fille de Bornthis Way Chapelle et Billie Djinn Grisien, fruit du croisement entre le pie Visage van de Olmenhoeve et Maha Fontaine, vient de signer un double sans-faute lors de la finale du Cycle libre 5 ans première année, sous la selle de Vivien Gaussier. De Fontainebleau à Hickstead, les perles de Seine-et-Marne rayonnent.
Enjeu de Grisien, une réussite collective
En attendant que les jeunes pousses d’Arundi déploient à leur tour leurs ailes, Clémentine poursuit son conte de fée en suivant, à distance, son cher Enjeu, qui ravit tous ceux qui ont fait partie de son histoire, de près ou de loin. “La réussite d’Enjeu est une fierté et une chance incroyable. Jamais je n’aurais pensé qu’un de mes chevaux atteindrait ce niveau, même si on l’espère forcément. Je suis une petite structure et une cavalière lambda. Nous étions déjà très fiers de Djust, issue de notre quatrième année d’élevage, qui a tourné jusqu’à 1,40m, mais là, c’est une reconnaissance au-delà de la Seine-et-Marne ! Ce que réalise Enjeu est un rêve assez inatteignable. C’est un tout, un ensemble. J’ai eu la chance que mon ex-mari choisisse la bonne jument, la chance d’avoir utilisé Toulon, la chance de l’avoir vendu à des propriétaires qui savaient ce qu’ils faisaient et qui avaient les clefs pour en faire un bon cheval. Financièrement, sa vente à six mois n’a pas changé le cours de ma vie, mais si Enjeu était resté ici, peut-être que personne n’aurait pu monter dessus et qu’il n’aurait rien fait de sa vie. Donc je suis hyper reconnaissante de la façon dont s’est déroulée l’histoire et je suis ravie que ses propriétaires, en nous faisant confiance, aient vécu eux aussi une belle histoire et réalisé une bonne opération commerciale. Je n’ai retrouvé sa trace qu’à ses cinq ans, lorsque j’ai repris contact avec ses propriétaires. Delphine et Patrick Huyse ont été d’une correction totale avec nous. Ce sont des gens sympathiques, investis, qui ont aimé Enjeu. Delphine m’a souvent envoyé des nouvelles, des photos, et ce n’est pas par hasard si Enjeu en est arrivé là : ils l’ont aimé et ont tout fait pour qu’il y arrive. Là, ce n’est plus de la chance mais bien du travail. D’un bout à l’autre de la chaîne, il s’agit d’une belle histoire.”
Photo à la Une : Enjeu de Grisien fait aujourd’hui partie des meilleurs chevaux de Ben Maher, numéro deux mondial. © Mélina Massias