Depuis une quinzaine d’années, la famille Devos fait naître de nombreux poulains chaque année. En élevage, la patience est mère de toutes les vertus. Pourtant, Pieter Devos n’a pas attendu si longtemps pour récolter le fruit de son travail. Il y a à peine neuf ans, une certaine Casual DV voyait le jour dans ses prés. En 2024, la fille de Cornet Obolensky et Just Me D, l’une de ses anciennes partenaires, s’annonce déjà comme un phénomène à part entière. Un an jour pour jour après ses grands débuts dans les épreuves secondaires des CSI 5*-W, la belle a pris la quatrième place du Grand Prix Coupe du monde de Bordeaux et ébloui l’ensemble des tribunes. Intarissable d’éloges pour celle qu’il juge être une “superstar” depuis déjà plusieurs années, Pieter Devos conte l’histoire qui le lie à cette jeune crack en devenir. Un portrait, en deux parties, agrémenté du regard affûté de Simon Rousic, groom de Casual DV.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Depuis bientôt dix ans, le Français Simon Rousic est un rouage essentiel du système Devos. Chaque week-end, il accompagne les stars de l’écurie en concours, et apprend à les connaître petit à petit. Jusqu’alors dans l’ombre, en raison de son jeune âge, Casual prend de plus en plus d’ampleur au sein du piquet de chevaux dont Simon Rousic s’occupe. Et il y a quelques années, le soigneur veillait déjà sur… Just Me ! “Just Me pouvait tout sauter ; elle n’a jamais forcé et avait des moyens incroyables. Elle était immense, je pense qu’elle faisait plus d’1,80m. Contrairement à elle, sa fille est de taille normale. Just Me avait une grande qualité, mais elle pouvait être vite déconcentrée en piste par des éléments extérieurs, comme un petit pot de fleur posé à côté d’un obstacle par exemple. Sa fille est à l’opposé de ça : lorsqu’elle entre en piste, elle ne regarde plus que les obstacles et se fiche de ce qui se passe autour. C’est assez impressionnant. Elle est incroyable. C’est une vraie jument de concours, qui connaît son travail”, décrit Simon Rousic. “Mère et fille n’ont pas tant de choses en commun. Just Me a eu plusieurs poulains et elle en a fait de toutes sortes : des grands, des moins grands, etc. Just Me avait du sang, qu’elle a transmis à Casual, et aussi cette tendance à pouvoir stresser assez vite. Lorsque Casual se retrouve un peu seule au box, que ses voisins ne sont pas là, elle peut être un peu perdue. Mais elle n’a que neuf ans et jusqu’à présent, elle était toujours entourée de quatre ou cinq chevaux de l’écurie lorsque nous allions en concours. Désormais, elle se retrouve avec un peu moins de voisins qu’elle connaît.”
Et la baie semble avoir une personnalité bien affirmée. Peut-être sent-elle déjà l’avenir qui se dessine sous ses sabots. “Elle a son caractère, beaucoup de caractère”, s’amuse son groom. “C’est une bonne petite demoiselle. Je pense que c’est aussi ce qui lui donne de la qualité en piste. Elle regarde droit devant et n’abandonne pas. Ce genre de caractéristiques est souvent commun aux grands chevaux, qui ont de belles carrières. Nous n’en sommes qu’à ses débuts à haut niveau et je continue de la découvrir au fil des concours, mais Casual est vraiment incroyable. Je pense qu’elle n’a pas fini de nous surprendre.”
L’heure de déployer ses ailes
En décrochant une très belle quatrième place à Bordeaux, comme si elle avait affronté ce niveau d’épreuve toute sa vie, Casual DV a déjà dû en surprendre plus d’un. “Honnêtement, nous n’avons pas l’habitude d’engager une jeune jument, qui vient juste d’avoir neuf ans, dans une épreuve à 1,60m. Ce n’est pas du tout notre système. Nous aimons faire vieillir nos chevaux correctement, leur laisser le temps d’apprendre. Le souci avec Casual, c’est qu’elle sait déjà tout ! Cela fait un an que Pieter la sent prête à franchir un cap à chaque nouveau concours ou presque. Et il n’avait pas tort. À Bordeaux, c’était un peu un coup de poker de l’engager dans l’étape Coupe du monde. Dans tous les cas, elle venait pour sauter une épreuve à 1,60m. En la voyant, on se rend compte qu’elle fait ça avec une telle facilité… Je ne peux même pas compter le nombre de personnes qui m’ont dit le lendemain qu’elle avait été la meilleure jument de l’épreuve, celle qui avait le mieux sauté. Bien sûr, nous n’avons pas gagné, mais tout était tellement fluide. Nous devons cependant garder les pieds sur terre et ne pas trop nous emballer, car elle n’a que neuf ans. Pieter n’est pas du genre à brûler les étapes. J’en suis sûr”, poursuit Simon Rousic. “J’espère que nous allons pouvoir continuer sur cette voie et lui donner encore plus d’expérience. Même Pieter le reconnaît : il n’a jamais eu sous sa selle un cheval de cette qualité. Et ce n’est pas du tout pour dénigrer les autres chevaux qu’il a monté. Il est comme un enfant avec son premier vélo.”
Aux anges après la prestation de star à Bordeaux, Pieter Devos s’attendait-il à un tel résultat ? “Non, bien sûr que non !”, répond-t-il du tac au tac. “Évidemment, je ne l’aurais pas engagée dans cette épreuve si je n’avais pas pensé qu’elle pouvait faire un bon parcours, mais de là à imaginer ce scénario… Elle a disputé seulement sa première épreuve à 1,55m à Bâle, trois semaines avant Bordeaux. Elle a fait ça avec une telle aisance que j’étais très en confiance pour Bordeaux. Je sentais que l’épreuve était accessible pour elle, mais je ne pensais pas tout de suite au sans-faute. Il devait y avoir deux autres chevaux de neuf ans (Colestus Cambridge et Dialektro, ndlr) dans l’épreuve Coupe du monde, mais Casual est la seule à avoir réalisé un sans-faute. C’est vraiment une jument exceptionnelle, et je ne le dis pas seulement parce que c’est la mienne ! (rires)”
Inévitablement, de telles performances ne laissent personne indifférent. Le téléphone de Pieter Devos le sait bien. “Nous avons déjà reçu beaucoup d’offres, mais pour le moment nous allons faire tout ce qui est possible pour la garder pour le sport. Ce n’est pas toujours facile…”, glisse le naisseur, cavalier et propriétaire de Casual. Pour l’heure, le Belge se languit de ce que l’avenir lui réserve, à lui et sa superstar. “Je ne pense pas que l’on puisse avoir d’objectif bien défini avec un cheval de neuf ans. Il faut sentir comment tout évolue et s’adapter. Avec Casual, je pense que l’on peut aller plus vite qu’avec un autre cheval. Je prends toujours mon temps avec mes montures, mais avec elle, j’ai le sentiment que tout peut aller à une vitesse folle. Cela étant, je n’en ferais jamais trop et je n’irai pas au-delà de ce qu’elle peut faire. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors du barrage à Bordeaux : je ne suis pas allé chercher le chronomètre de Steve (Guerdat, vainqueur de l’épreuve avec Is-Minka, ndlr), parce que je ne voulais pas mettre Casual dans le rouge. Je ne veux pas aller trop loin, trop vite. Son prochain concours sera à Doha, puis nous aviserons. Il y a peut-être une chance pour qu’elle vienne à la finale de la Coupe du monde avec moi en tant que deuxième cheval, mais ce n’est pas encore certain. De toute façon, pour moi, il s’agit d’une jument avec un immense futur. Je vais faire les choses au mieux”, explique Pieter Devos.
Un fruit mûr à point… ou presque
“J’espère que ce n’est que le début pour Casual”, renchérit Simon Rousic, son fidèle soigneur. “J’aime à dire qu’elle est née juste une année trop tard pour les Jeux. C’est dommage… Je l’ai encore dit à la mère de Pieter, mais elle m’a très justement fait remarquer que les prochains Jeux sont dans quatre ans. Elle en aura alors treize. Et entre-temps, il y a les Mondiaux et plein d’autres belles échéances. Je me suis dit qu’elle avait tout à fait raison et que de belles choses nous attendent sûrement.”
Une, et pourquoi pas deux médailles à Aix-la-Chapelle, en 2026, serait une bien belle récompense pour Casual et toute son équipe. Quoique l’avenir lui réserve, la sublime fille de Just Me D ravit déjà tout son entourage. “Avoir fait naître cette jument est une vraie fierté pour Pieter et toute sa famille. Je ne pense pas qu’ils aient espérer cela dans leur vie, même s’ils commencent à avoir un piquet de chevaux de leur propre élevage très intéressant et qualiteux. Pieter a acheté Claire à deux ans, et a tout fait avec elle, y compris son débourrage, mais ce n’est pas la même chose que de l’avoir fait naître. C’est quelque chose de différent. Les parents de Pieter étaient présents à Bordeaux. C’était super. Ils ont aussi vu Primo DV, qui a neuf ans également mais est un peu plus vert que Casual. Il a réalisé un bon sans-faute dans l’épreuve progressive à 1,50m le dimanche, pour sa première ce niveau. Tout le monde avait le sourire et de tels résultats motivent”, apprécie Simon Rousic.
“Avoir monté la mère de Casual et la voir elle-même devenir l’un des meilleurs chevaux que je n’ai jamais eu est quand même génial. Nous avons pu la former depuis le début et c’est le but de notre élevage. Nous avons toujours essayé de travailler sur le long terme afin de construire quelque chose de très solide. Aujourd’hui, on commence à cueillir les fruits de tout ce travail. Et c’est aussi ce que je fais dans ma société ! (rires) Trouver les bons chevaux n’est pas facile et c’est pour cette raison que nous avons choisi, il y a une quinzaine d'années, de commencer à élever et mettre une structure en place pour produire nos propres montures. La sélection prend du temps. Désormais, nous avons de très bons jeunes chevaux pour l’avenir”, se projette Pieter Devos. “Monter ses propres chevaux au plus haut niveau du monde est fantastique.” Fantastique, le sentiment que laissent Pieter Devos et sa Casual DV, l’est tout autant, et le sera, espérons-le, pour longtemps.
Photo à la Une : Casual DV, entourée de Simon Rousic, son groom, et Pieter Devos, son cavalier et éleveur, à l’occasion de son tout premier CSI 5*, début 2023 à Bordeaux. © Mélina Massias