Bertrand Pignolet, de la naissance au haut niveau (2/6)
Dans ce deuxième volet, il sera question de l'élevage à proprement parlé.
Lorsqu'on a autant de croisements à faire chaque année, comment s'y prend-on ?
Bertrand Pignlet : « C'est difficile. En fait, c'est une décision familiale. Chacun fait sa liste de son côté. Il en a toujours été ainsi depuis 40 ans. Généralement, on fait une liste d'étalons qu'on aime bien. On liste tous les étalons avec à côté leurs origines, leur prix et puis on compare avec la liste de poulinières à saillir et on essaie de faire les meilleurs croisements possibles. Ensuite, on compare avec la liste des autres. C'était comme ça du temps du père et je continue comme cela avec Hubert. Evidemment, il y a toujours du changement parce qu'il y a des questions de budget, parce qu'au fur et à mesure de la saison, ma femme me fait remarquer qu'une jument ne remplit pas en congelé ou qu'en transfert c'est difficile et donc on adapte notre liste. A l'origine, on essaie vraiment de corriger les défauts de la mère avec les qualités du père et inversement. »
Urano de Cartigny (Diamant de Sémilly & la propre soeur de Flipper d'Elle), élevé par Bertrand, il débute sa carrière sportive avec Hubert.
Vu l'évolution du sport, est-ce que cela change les qualités requises pour les étalons du haras et pour ceux utilisés par le haras ?
B.P. : « Oui et non. Oui parce que je pense qu'on est quand même obligé de faire attention à la commercialisation donc on est quand même obligé de mettre une certaine quantité d'étalons un peu mode. Ensuite, il y a des croisements que l'on fait parce qu'on connaît bien le cheval, qu'on l'a vu évoluer ou on l'a monté donc on connaît ses qualités et ses défauts même si on sait pertinemment au moment de l'insémination, ce n'est pas un cheval à vendre à 3 ans mais vraiment à faire vieillir lorsqu'on pense qu'il a les qualités pour faire du très gros Grand Prix un jour. A ce moment-là, qu'il ne soit pas à la mode à 3 ans, ce n'est pas très grave mais il faut quand même faire un peu attention. »
Vous qui avez été un des premiers à utiliser des étalons étrangers, est-ce qu'aujourd'hui vous faites attention au moment des choix au fait d'utiliser du Selle Français ?
B.P. : « Là, tout de suite, on essaie quand même globalement de faire du Selle Français car je pense qu'il s'agit quand même d'une race de chevaux nés pour le sport. Papa a certainement eu de la chance avec les familles de Gazelle et d'Ira parce qu'on s'aperçoit aujourd'hui que les deux grosses qualités des souches basses d'ici c'est que, quelque soit leur niveau de concours, ce sont des chevaux qui aiment sauter. D'autre part, il y a plein d'étalons étrangers que j'aimerai utiliser mais on est quand même beaucoup pris et je suis certainement fautif de ne pas prendre assez de temps pour me déplacer sur les concours pour aller les voir, faire des tournées en Belgique, en Allemagne pour voir les chevaux de près, voir si leur modèle correspond à telle ou telle jument. Je n'ai rien contre les étalons étrangers mais il n'y a aucune base de données européenne comme nous en avons une en France où il me suffit de taper SIRE sur mon ordinateur pour connaître toute la souche ou toute la lignée sans vraiment se déplacer. Après, c'est plus du bouche à oreille qui dit que tel étalon est intéressant mais je pense qu'on va moins tester un jeune et que tant qu'à aller à l'étranger, on va plus utiliser un étalon confirmé. »
Vous êtes étonné ou déçu de voir que malgré les performances de Nippon, il n'y ait pas eu une demande plus accrue tout comme J'ai L'espoir d'Elle après le titre de champion de France des 4 ans et la seconde place dans le critérium des 7 ans de sa production ?
B.P. : « C'est lié à un gros effet de mode. Nippon serait un Quick Star, il ferait 10 fois plus de juments mais c'est un Sheriff d'Elle. Après en pourcentage de réussite des produits de Sheriff au niveau 4-5* et plus, c'est quand même un des meilleurs étalons français car il y en a quand même deux ou trois qui sont arrivés au plus haut niveau toute discipline confondue. J'ai L'espoir d'Elle (Dollar du Murier x Uriel), frère utérin du crack Cabri d'Elle, qui est le père du champion de France des 4 ans et de la vice championne du criterium des 7 ans en 2011. Le gros handicap est qu'il ne commence pas à saillir jeune d'autant que c'est beaucoup plus facile d'obtenir de la semence fraîche, ensuite c'est souvent uniquement du congelé ce qui représente déjà un frein. Si on prend un cheval comme Opium de Talma qui a cartonné par rapport à sa performance au saut en liberté à 3 ans, maintenant, il est catégorisé dans les vieux étalons alors que lorsqu'on admet un étalon à 6 ou 7 ans, le temps que ses premiers produits arrivent en finale des 6 ans, le cheval a déjà 13-14 ans. Pour en revenir à Nippon, début de son année de 8 ans, j'ai commencé dans le sud de la France à Villeneuve Loubet ou encore Vidauban à aligner sans-faute sur sans faute et à bien le préparer mais les gens ne l'ont pas vu et en fin de compte, il passe à la trappe. Ensuite, il a fallu un an à Bosty pour l'amener au top niveau. Aujourd'hui, ça repart mais c'est trop long. »
Comment vivez-vous l'évolution de l'ANSF ?
Propriété du haras d'Ick, Magic d'Elle (Adelfos x Jalisco B) a évolué des jeunes chevaux aux Grand Prix 5* avec Bertrand.
B.P. : « J'ai trouvé ça super qu'il y ait une association nationale de race. Au départ, c'était M. Curti qui a lancé ça et qui m'a nommé vice-président car cela faisait bien d'avoir un Pignolet. J'ai vraiment adhéré à l'idée d'autant que j'en avais marre que l'on nous rétorque au niveau politique que les éleveurs de Compiègne sont plus pour ci, les éleveurs de St-Lo sont plus pour ça, ceux du Midi-Pyrénées pensent comme ça… Pour cela, je trouvais que fonder une association était super. Par contre, il faut améliorer les choses au fur et à mesure. Sincèrement, je trouve qu'il y a eu du bon boulot de fait mais que maintenant il faut quand même penser un peu plus à la partie mise en valeur dans l'optique de la commercialisation du Selle-Français. Le paquet cadeau présente bien mais maintenant, il faut faire attention à ce que le contenu ne se détériore pas. »
Est-ce que vous auriez envie de vous impliquer au sein de l'ANSF ?
B.P. : « Oui, j'en aurai envie. Je l'ai fait un peu mais j'ai arrêté car je trouvais qu'il y avait trop de querelles avec des personnes qui agissaient trop comme des politiciens. Puis actuellement, même si les années passent, je me trouve encore trop jeune. On a trop de travail ici et comme je l'ai dit, j'aspire encore à monter en concours à un certain niveau et c'est dur de tout faire. En même temps, c'est comme en politique, je pense qu'il faut aller voter sinon je ne pense pas qu'on ait le droit de critiquer. Je devrais certainement m'investir plus mais entre le haras et les ventes Nash, cela me prend déjà beaucoup de temps. Mais un jour, je postulerai certainement. »
Le troisième volet sera disponible dès demain.