Solaire, toujours positive et faisant preuve d’une joie de vivre communicative, Marie Demonte démontre toujours une folle envie de concourir. Après un début d’année difficile, lors duquel elle a dû faire face à la mort du très prometteur Émir du Chanu et la blessure de Drisse du Phare, la Française rebondit. Installée depuis quelques mois à l’élevage de Riverland, elle espère pouvoir, à l’avenir, goûter à nouveau au très haut niveau. Depuis les tribunes du terrain d’honneur du Grand Parquet de Fontainebleau, elle s’est confiée sur son nouveau piquet de chevaux, Épona du Quesnoy, avec laquelle elle a participé au championnat de France Pro Élite et ses projets à venir. Sans tabous, elle évoque également la situation actuelle de son pays, des crises sociales à l’urgence climatique.
La première partie de cet entretien est à lire ici
L’année dernière, Manchester (BWP, Quidam de Revel x Dirka) et Las Vegas vd Padenborre (BWP, Calvaro F.C. x Rixa) ont quitté vos écuries. Ces départs étaient-ils prévus?
Il était prévu qu’ils soient vendus lorsque leur valeur atteindrait une belle somme. Manchester est parti à dix ans et Las vegas onze, un bon âge pour vendre des chevaux aussi prometteurs qu’eux. Nous avions tout construit autour d’Émir et, pour que les propriétaires puissent également faire tourner leur boutique (l’écurie du Herrin, gérée par les Belooussoff, ndlr), nous avions décidé que les vendre était une bonne chose à la suite des offres que nous avions reçues. Il s’agissait là de choix stratégiques pris ensemble. Avoir un cheval de haut niveau coûte très cher aux propriétaires, il faut en avoir conscience et savoir concrétiser quand l’occasion se présente.
Le commerce est évidemment une part extrêmement importante de votre métier. Ces deux départs ont-ils pu faire avancer votre structure?
Moralement, ça a fait du bien aux propriétaires de se dire que tout n’était pas perdu. Personnellement, ces ventes n’ont pas changé ma vie puisque je n’étais pas propriétaire. L’écurie de Herrin investit chaque année durant les ventes Fences. Je ne sais pas si ces rentrées d’argent ont permis d’en acquérir d’autres particulièrement mais c’est quelque chose qui remotive.
Las Vegas vd Padenborre, vendu en 2022, avait permis à Marie Demonte de revêtir la veste de l'équipe de France. © Sportfot
“Il est possible de sécuriser nos chevaux en prévision d’un événement défini au préalable”
Quels chevaux ont aujourd’hui le potentiel pour les remplacer? Vous avez notamment dans vos écuries Maxwell van HD (BWP, Diamant de Semilly x Toulon), Drisse du Phare (SF, Newton de Kreisker x Jifrane de Chalusse) ou encore Destin d’Euskadi (SF, Diamant de Semilly x Dollar du Murier)…
Maxwell van HD est reparti avec son propriétaire (Nicolas Marticorena, ndlr), avec lequel cela se passe très bien (le couple participe à des épreuves nationales jusqu’à 1,45m depuis février, ndlr). Nous avions un contrat de dix-huit mois. Destin d’Euskadi, de son côté, est vendu. C’est officiel depuis ce vendredi (entretien réalisé le samedi 22, ndlr). Drisse du Phare, elle, a eu un problème pulmonaire important à Vilamoura cet hiver et pourra ressauter, au mieux, au mois de juillet.
Nous devons donc composer sans ces chevaux mais nous avons de bons jeunes. Je pense notamment à Forban de Béliard (SF, Upsilon x Diamant de Semilly), huit ans, qui va prendre part à ses premières épreuves à 1,45m, mais aussi Flirt (de Riverland, SF, I’m Special de Muze x L’arc de Triomphe, ndlr) et Flashing (de Riverland, SF, Kannan x Allegreto, ndlr) ainsi qu’un très bon lot de chevaux de sept ans.
Mettez-vous quelque chose en place pour pouvoir garder ces chevaux dans vos écuries?
Je suis toujours très franche avec mes propriétaires et je sais quels chevaux sont destinés au commerce ou non. Si un cheval n’est pas à vendre et qu’une offre se présente nous en discutons mais, bien souvent, nous faisons en sorte de les garder pour le sport. C’est un système qui me rassure.
Certaines fédérations équestres nationales achètent des chevaux pour leurs cavaliers, notamment celle du Japon. Est-ce quelque chose que vous pensez possible en France ?
C’est un grand débat. Je n’ai pas connaissance des chiffres de la Fédération française d’équitation mais je ne crois pas au fait qu’elle puisse acheter des chevaux. En revanche, il est davantage envisageable d’instaurer des contrats moraux avec des propriétaires en contrepartie d’une aide financière afin de sécuriser des chevaux pour un événement défini (tels que les conventions tripartites FFE-propriétaire-cavalier pour les membres des groupes 1 olympique ou paralympique, ndlr). Il est possible de nous aider à garder certains chevaux. Par exemple, Émir (du Chanu, SF, Air Jordan x Papillon Rouge, mort tragiquement en début d’année, ndlr) a été sacré champion de France à sept ans (en 2021, ndlr) et préservé l’année de ses huit ans. Ces deux saisons ont donc été des années d’investissement. Pour ce type de chevaux, je pense qu’une aide financière en prévision d’un championnat, engageant de ne pas vendre le cheval, peut être mise en place par la fédération.
Forban de Béliard, fils d'Upsilon, mort la semaine dernière, fait partie des bons espoirs de Marie Demonte. © Sportfot
“Quand on croit en ce qu’on fait, je pense qu’on devient invincible”
Avez-vous suivi la finale de la Coupe du monde Longines? Qu’en avez-vous pensé ?
Un peu, c’était du très beau sport! Rien ne peut atteindre Henrik von Eckermann (qui a remporté cette finale avec son double champion du monde et champion olympique par équipes, King Edward, BWP, Edward x Feo de Lauzelle, ndlr). Lorsqu’il a réalisé un parcours à quatre points le deuxième jour, nous nous sommes dit ‘tiens, une brèche s’ouvre pour les autres’ mais il a une telle confiance en son cheval que rien n’a pu le déstabiliser.
Ces finales sont de beaux événements sportifs. L’indoor demande une gymnastique vraiment différente aux chevaux par rapport à un terrain comme celui d’Aix-la-Chapelle. Tout arrive très vite et leur demande davantage d’efforts. Pour moi, c’est un sport très difficile. Les chevaux sont toujours sur l’arrière-main et il leur faut une réelle confiance en leur cavalier et un temps de réaction très faible. C’était une belle finale.
C’est un événement dont vous rêvez?
Bien sûr mais, dans le sud, nous sommes moins habitués aux concours indoors. Outre le Jumping de Bordeaux (l’étape de la Coupe du monde Longines de Bordeaux, qui a lieu début février, ndlr), auquel il faut pouvoir participer, nous sautons peu en manège. King Edward fait partie de ces chevaux qui ont le profil taillé pour l’indoor et la saison de la Coupe du monde. Personnellement, je suis plus adepte des grandes pistes. Elles me mettent davantage d’étoiles dans les yeux.
Le CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle a donc dû être votre plus belle expérience…
Oui, bien évidemment. La piste est plus qu’immense et les obstacles très hauts. Tout est très grand, très large… Les chevaux se conditionnent, c’est une expérience fabuleuse (la Française a participé au CHIO d’Aix-la-Chapelle en septembre 2021, ndlr).
Selon vous, quel est le secret de l’hégémonie d’Henrik von Eckermann et King Edward ?
La victoire attire la victoire et je pense qu’il y a une confiance extraordinaire entre eux. Dans une mauvaise période, une barre peut vite arriver s’il y a une fébrilité. Je pense que c’est un problème que ce couple n’a absolument pas. Quand on croit en ce qu’on fait, je pense qu’on devient invincible, un peu ce qu’ils sont puisqu’ils gagnent tout.
Y a-t-il un cheval en lequel vous avez déjà eu une confiance similaire?
Oui, Rhune d’Euskadi (SF, Dollar du Murier x Jus de Pomme, morte en 2014 lors d'un terrible accident de la route, ndlr), sixième du championnat Pro Élite et membre de l’équipe de France à huit ans seulement. Elle remportait beaucoup d’épreuves et on prend facilement confiance avec un cheval comme elle. Pour moi, elle était extraordinaire.
La géniale Rhune d'Euskadi en 2012 lors de la Grande semaine de Fontainebleau, à sept ans. © Scoopdyga
“J’essaye d’apprendre à mon fils que nous ne sommes pas dictés par l’argent et le pouvoir”
Vous vivez en France, un pays qui connaît actuellement une crise importante. Soutenez-vous ceux qui manifestent contre la réforme des retraites?
C’est un débat compliqué. Nous exerçons un métier de passion dans lequel les cinq semaines de congés payés n’existent pas. Certaines personnes ont des métiers très physiques et je peux comprendre qu’elles soient fatiguées à partir d’un certain âge. Passé cinquante ou soixante ans, il est difficile d’assumer ces professions. Je pense par exemple aux maçons ou aux charpentiers. Mais je prendrai le problème dans un autre sens. Je pense surtout, par exemple, que le chômage à 100% ne devrait pas être octroyé à des jeunes de vingt-cinq ans qui ont travaillé deux ans dans leur vie puis se contentent du chômage en vivant chez leurs parents sans chercher un autre travail.
La sécheresse s’annonce également terrible cette année avec un niveau très bas des nappes phréatiques. Mettez-vous dès aujourd’hui des choses en place pour ne pas trop en souffrir pendant l’été ?
Nous pensons tout le temps aux problèmes d’eau. Les nappes phréatiques ne se sont pas remplies cet hiver, ou très peu. Nous savons désormais, quand le printemps arrive et que l’herbe pousse, que nous ne pourrons plus les remplir puisque la végétation va pomper cette eau. Elles vont donc rester à ce niveau jusqu’à l’hiver prochain. C’est un sujet dont nous parlons tous. Nous nous demandons par exemple comment organiser des concours dans le sud (la Française est installée à Riverland, en Charente, ndlr) alors qu’il faut arroser, en priorité, les céréales qui nous permettent de manger par exemple. Cela pose des problèmes à notre sport. De nombreuses choses sont pensées pour modifier notre système de vie et économiser de l’eau. Par exemple, l’arrosage des carrières par le sol permet cela. Dans le sud, c’est d’autant plus difficile. J’ai vécu dans les Landes au milieu des incendies…
Ces incendies vous font peur ?
Nous n’avons pas été directement touchés l’année dernière, c’était à plusieurs dizaines de kilomètres. Mais il est vrai que nous avons mal dormi pendant quelques temps lorsque nous apercevions de la fumée. Les nuages noirs arrivaient et, étant au milieu d’une forêt avec des chevaux, ça ne rassure pas. Des feux se sont déclarés à huit kilomètres de chez nous à cause d’un coup de foudre tant les sols étaient secs.
Si cela s’approchait trop, nous avions pensé à tout et savions où évacuer les chevaux. Fin juillet, nous avons eu une petite période de stress.
Vous êtes aussi maman, avez-vous peur du monde dans lequel votre fils va grandir et évoluer, entre crises sociales, politiques et climatiques ?
Ce n’est pas ma philosophie. J’essaye de lui apprendre à être heureux et s’épanouir mais aussi le fait que nous ne sommes pas dictés par l’argent ou le pouvoir. Je le pousse à faire ce qui lui plaît, c’est-à-dire ne pas monter à cheval puisqu’il n’aime pas ça (rires)! Je pense que cette génération ne va pas être la plus touchée, celle d’après le sera davantage. Nous allons devoir changer notre manière de vivre. Mais je ne suis pas inquiète pour lui. Il a douze ans et comprend très bien tout ce qu’il se passe. Il regarde les informations et s’intéresse à tout, qu’il s’agisse de politique, des faits divers ou autre. Il porte un grand intérêt à ces problèmes. Pendant les élections, il écoutait les informations dans le camion et me demandait ce que je pensais de telle situation ou tel candidat. Il s’intéresse beaucoup à la vie réelle.
Pour conclure sur une note plus joyeuse, que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite ?
Du bonheur, d’être heureux de nous réveiller demain matin avec nos chevaux et profiter des bons moments. La roue tourne. Le positif attire le positif.
Photo à la Une: Marie Demonte, ici au CSIO 5* de La Baule, peut cependant compter sur l'écurie du Herrin et l'élevage de Riverland pour rêver encore de haut niveau. © Scoopdyga