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Avec la retraite de Bernard Le Courtois, une page se tourne pour le haras de Brullemail et l’élevage français

BLC
vendredi 8 mars 2024 Mélina Massias

En 2024, Bernard Le Courtois verra naître le fruit de ses derniers croisements. À la surprise générale ou presque, l’éleveur et étalonnier à succès, à l’origine de l’affixe Mail aux pléthores de champions et de la découverte et la mise en avant de plusieurs très bons mâles, a annoncé sa retraite et la mise en vente de sa superbe propriété, sise dans l’Orne. Alors que sa championne Katchina Mail verra naître son dernier poulain, par transfert d’embryon, dans les prochains jours, l’homme à l’origine du haras de Brullemail revient sur cette décision et sur son avenir, jamais bien loin de l’élevage… ni de ses vaillants retraités.

L’annonce a fait l’effet d’une petite bombe dans le microcosme équestre, jeudi 7 mars. Bernard Le Courtois, célèbre éleveur et étalonnier, qui a notamment vécu le meilleur grâce à Jaguar et Katchina, fers de lance de l’affixe Mail, a annoncé prendre sa retraite. “Au départ, je pensais continuer pendant encore quatre ou cinq ans. Et puis, finalement, j’ai senti que c’était le bon moment. Je ne veux pas faire l’année de trop. Cette décision a été très difficile à prendre. Déménager, partir d’une maison celle-ci, qui a toute une histoire et dans laquelle je vis depuis quarante ans, est très compliqué. Je ne veux donc pas être trop vieux pour le faire non plus ! (rires) J’adore cette maison. Lorsque je suis arrivé, elle tendait vers l’état de ruine. Nous l’avons restaurée et y sommes donc très attachés. Elle est très agréable à vivre, pas trop grande et idéalement située. C’est un crève-cœur de partir, mais j’ai besoin de cette vente pour assurer ma retraite”, confie Bernard Le Courtois. 

Ici en pleine discussion avec Edward Levy, à qui il a confié plusieurs chevaux dont le puissant étalon Catchar Mail, qui participe régulièrement à de beaux événements 5*, Bernard Le Courtois a annoncé sa volonté de prendre sa retraite lors du salon des étalons de Saint-Lô, début 2024. © Mélina Massias

Vivre avec, pour et grâce aux chevaux

Depuis que l’homme à l’origine du haras de Brullemail a publié la nouvelle sur Facebook, les réactions pleuvent de toute part. “J’ai annoncé officiellement prendre ma retraite lors du salon des étalons. Les gens étaient un peu stupéfaits. J’ai reçu des centaines de messages et autres notifications sur Facebook. Les gens sont adorables, positifs et me félicitent pour le travail accompli”, note-t-il. Il faut dire qu’en quarante ans, ses prairies ornaises en ont vu défiler, des champions. Laudanum, Almé, Quite Easy I, Quality Touch, Alligator Fontaine, Elvira Mail, la matrone de son affixe, puis Katchina, Jaguar, Ornella, Catchar, Delstar, Fergar et tant d’autres. “Ma sélection de chevaux de sport au haras de Brullemail aura été l’œuvre de ma vie. J’ai tout donné durant ces quarante dernières années à ma passion des chevaux et ils me l’ont bien rendu. J’ai bien vécu avec, pour et grâce aux chevaux du haras de Brullemail”, écrit Bernard Le Courtois sur ses réseaux sociaux. “J’ai débuté dans les chevaux comme cavalier amateur, puis ma passion de l’élevage m’a amené à devenir journaliste (notamment en tant que rédacteur en chef du magazine L’Eperon, ndlr). Puis deux étalons exceptionnels ont croisé mon chemin en 1984 et 1985, Laudanum et Almé, et ils ont bouleversé ma vie. C’est grâce à eux que j’ai enfin pris la décision de concrétiser mon rêve d’enfance et de devenir éleveur professionnel de chevaux à trente-deux ans. Je me suis installé au manoir de Brullemail, dit Le Logis, que j’ai transformé en haras à partir de 1986 en étant d'abord locataire. Puis grâce à la vente exceptionnelle d’Ornella Mail, j’ai pu faire l’acquisition de la propriété. J’avais choisi de m’installer à Brullemail car j’ai eu un véritable coup de cœur pour cette gentilhommière chargée d’histoire, construite en 1710 par un mousquetaire de la Duchesse d’Orléans, et le charme du site, perché en haut d’une colline et dominant tous ces hectares de riches herbages qui font la renommée de ce terroir [...]. Le temps a passé vite et ce métier de passion, d’éleveurs et d’étalonnier, a bien rempli ma vie depuis. J'y ai élevé six générations de gagnants en presque quarante ans. J’ai connu, bien sûr, des déboires et des déceptions comme tous les éleveurs, mais ils sont totalement occultés par tout le bonheur et les immenses succès que mes chevaux m’ont offerts pendant ces décennies.”

Jaguar Mail fait partie des fleurons du haras de Brullemail. © Scoopdyga



D’ailleurs, ces précieux complices lui ont offert d'innombrables souvenirs au cours des années. “Il y a eu les Jeux olympiques en 2008 avec Jaguar. Avoir un cheval qui prend part à la finale des Jeux est un aboutissement dans une carrière. Il y a aussi eu les championnats du monde en 2010 avec Katchina, qui ont été une épopée extraordinaire, puis les finales de la Coupe du monde disputées par Ornella et Katchina. Tous ces grands événements ont été les faits marquants de ma carrière”, complète Bernard Le Courtois. “J’ajouterai également tous les voyages que nous avons faits. Nous sommes allés à Hong Kong pour voir Ornella, avons suivi Katchina à travers le monde. C’étaient des événements, des moments formidables. Il y a eu aussi tous les La Baule, Lyon et Bordeaux auxquels nous avons assisté, pour ne parler que des concours français. Ce sont des souvenirs formidables. Et tout cela a été possible grâce aux chevaux.” 

La géniale Katchina Mail ne sera pas séparée de son propriétaire et éleveur, auprès duquel elle continuera de couler une douce retraite. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Malgré la vente de sa propriété, du haras et de son cheptel, composé de trente-cinq juments et pouliches et d’une dizaine de mâles de deux et trois, l’éleveur et passionné de la première heure ne compte pas laisser sur le carreau ses retraités. “Je ne suis plus tout jeune, mais certains de mes chevaux sont franchement vieux ! (rires) J’ai une ribambelle de retraités à entretenir. Quite Easy est le plus vieux de la bande. Il a trente ans cette année. Jaguar et Utrillo vd Heffinck en ont vingt-sept et Katchina vingt-six. J’ai également quelques autres poulinières qui ont vingt-trois ou vingt-quatre ans. Je vais donc assumer leur retraite le temps qu’elle durera. Une chose est sûre : je ne vendrais pas Katchina pour qu’elle soit exploitée pour ses ovocytes. Son dernier poulain est attendu pour les prochains jours. Grâce à l’ICSI, elle m’avait donné une pouliche en 2022. Je lui ai fichu la paix en 2023, car je trouvais qu’aller en Italie était compliqué pour une jument de son âge. L’an dernier, j’ai trouvé une solution en Hollande, avec un trajet moins éprouvant pour elle. Nous sommes revenus avec une porteuse pleine et Katchina est définitivement à la retraite. Cela étant, elle reste en pleine forme ! On dirait une jument de quinze ans”, assure-t-il.

Et la suite alors ?

Pour ses autres pensionnaires, Bernard Le Courtois espère voir l’histoire perdurer. “Ce qui me plairait, c’est qu’il y ait une pérennité à ce que j’ai fait. Organiser une vente de cessation d’activité et voir tout le cheptel être dispersé est peut-être une bonne solution financière, mais sur le plan intellectuel et affectif, ce n’est pas la meilleure solution. Cela finira peut-être par arriver s’il n’y a pas d’autres solutions, mais j’espère que le plan A va fonctionner. Le plan A est de trouver quelqu’un qui achète le haras, le cheptel de juments et de pouliches, qui conserve l’affixe et continue. En vingt-quatre heures, j’ai déjà eu quelques contacts. Ce sont des gens qui ont eu l’occasion de venir à Brullemail il y a quelques années et sont tombés amoureux du site et des chevaux”, détaille l’éleveur, qui se laisse quelques mois pour jauger les offres et trouver la bonne personne pour poursuivre son œuvre et une sélection rigoureuse. D’ailleurs, Bernard Le Courtois confie être prêt à aiguiller et tendre la main à sa ou son futur successeur. “Je peux même éventuellement rester dans les lieux si ce sont des étrangers qui n’habitent pas sur place. Je peux prolonger pour un an ou deux et servir de conseiller technique sans problème”, glisse-t-il sans hésitation.

Ici lors de la Grande Semaine de Fontainebleau 2022, Bernard Le Courtois avait le regard posé sur le génial Melissa's Sydney, un excellent étalon proposé au sein de son catalogue. © Mélina Massias

Quoi qu’il en soit, l’affixe Mail n’a pas dit son dernier mot et devrait, en toute logique, continuer à briller dans les années à venir. “Je me dis que parmi les foals que j'ai fait naître ces dernières années, jusqu’à ceux de 2024 qui commencent à naître maintenant, certains me donneront encore le bonheur de les voir gagner à haut niveau dans les années à venir. Même si je vends le haras de Brullemail dans l'année à venir, mon histoire, grâce à eux, va se perpétuer encore un bon moment”, se projette Bernard Le Courtois.



Et, dans tous les cas, l’élevage ne sera jamais bien loin du fondateur du haras de Brullemail. Avec son époux, Christopher King, Bernard Le Courtois fait également naître des chiens, des Mastiffs et Cairns Terriers, avec la même rigueur et la même réussite qu’avec les chevaux. “Cela nous prend beaucoup de temps. Nous n’avons pas encore décidé d’où nous nous installerons par la suite et nous ne savons pas si nous resterons en Normandie ou si nous irons ailleurs. Nous allons assurément rester au nord de la Loire”, complète l’étalonnier et ancien président du Stud-book Selle Français. “Je suis régulièrement invité à juger, que ce soit pour les chevaux ou pour les chiens, en France comme à l’étranger. J’aime beaucoup cela, c’est une activité qui me plait. Je vais juger les chiens aux Etats-Unis cette année, puis en Angleterre l’an prochain. Evidemment, je ne fais pas cela toutes les semaines, mais plutôt quelques fois par an. Cela me permet de voyager, de faire des choses que j’apprécie et de transmettre. Partager son expérience est aussi important. Beaucoup de gens me demandent d’écrire des bouquins. Alors, peut-être que je vais m’y mettre ! (rires) Je parlerais de l’histoire de mes chevaux et de tous les gens que j’ai rencontrés.”

La vente au haras des Coudrettes de l'inimitable Ornella Mail a permis à son naisseur de développer son haras et d'acquérir les terres sur lesquelles il a écrit quarante ans d'histoire. © Dirk Caremans / Hippo Foto

Et de conclure, avec un conseil à la jeune génération et une réflexion sur l’avenir de l’élevage équin au sens général : “Je dirais avant tout de ne pas faire du nombre mais de la qualité. C’est primordial, et je le répète depuis quarante ans. Il faut donc sélectionner les bonnes lignées. Les gens qui débutent semblent déjà aller en ce sens. Le problème, c’est que j’ai l’impression que la plupart des éleveurs se focalise sur les mêmes souches. À partir de là, il n’y a plus beaucoup d’intérêt si tout le monde travaille les mêmes lignées. De plus, cela réduit la possibilité de découvrir de nouvelles souches maternelles. Personnellement, j’ai le sentiment d’avoir préservé ma souche. J’ai vendu très peu de filles de Katchina et la plupart sont encore à moi. Je n’ai pas non plus fait de transfert d’embryons à outrance, ni congelé quarante ou cinquante embryons dans une cuve. J’ai utilisé ces techniques de reproduction, mais avec parcimonie. Quand une jument a engendré cinquante ou soixante poulains, c’est six fois plus que la moyenne. Il est donc normal qu’elle ait deux ou trois produits qui gagnent à 1,60m. Et c’est pareil pour les étalons. En tant qu’étalonnier, je suis un peu dépassé. Je ne peux pas investir des millions dans des chevaux tous les ans pour satisfaire le besoin de nouveauté de la clientèle et avoir des étalons qui font plus de mille juments par an. Dans ce cas aussi, il est logique que les étalons aient quarante ou cinquante bons produits par an, par rapport à ceux qui remplissent vingt cartes. Je suis un peu inquiet pour la génération à venir par rapport au système actuel, qui ressemble, à mon sens, plus du business que de la sélection. En France, le maximum de poulinières saillies a été atteint en 1992, avec environ 24.000 juments Selle Français. Aujourd’hui, on est autour de 11.000, 12.000, soit moitié moins. En 1992, il y avait 250 étalons en France, contre 800 environ aujourd’hui, sans compter tous les étalons européens disponibles. Certains d’entre eux honorent chaque année plus de sept-cents juments, le tout avec un cheptel de juments qui a diminué de moitié. La part du gâteau est donc quasiment inexistante pour les autres. L’activité d’étalonnier artisanat que j’ai pratiqué pendant quarante ans, avec succès, est devenue très compliquée aujourd’hui. Je ne sais pas comment seront les choses dans vingt ans, mais je crains que nous nous retrouvions dans un goulot d’étranglement et je me demande comment les éleveurs feront pour apporter de nouveaux gènes. Cela m’inquiète et m’a toujours inquiété. J’ai été professionnel pendant quarante ans et je vivais de cela, donc je ne peux pas critiquer le fait que les gens gagnent de l’argent, mais cela devient industriel ; ce n’est plus de l’artisanat.”

Photo à la Une : Bernard Le Courtois devant une partie de ses chers chevaux et devant ses verts pâturages de l’Orne. © Collection privée