En quinze mois, Lorenzo de Luca et Denver de Talma se sont légitimement imposés comme l’un des meilleurs couples de la planète. L’alezan de onze ans, né chez Michel Guiot, enchaîne les performances depuis ses débuts en Grand Prix 5*, en mai dernier. Sur les dix épreuves de ce niveau qu’il a disputées, le fils du regretté Vigo Cécé s’est classé à huit reprises. De quoi permettre à son cavalier de rêver de grands championnats et de médailles. Avant d’être acquis par Elizabeth Johnson, propriétaire des luxueuses écuries Louisburg Farm, en Floride, Denver de Talma a été le protégé de Catherine Bonnafous, véritable femme de cheval et dénicheuse de talent hors-pair, pendant près de sept ans. Mathilde Lockwood, qui lui a fait découvrir la compétition puis ses premiers parcours à 1,50m, a été l’une des clefs de la réussite de ce cheval pas comme les autres, à la personnalité aussi drôle qu’attachante. Retour, en trois épisodes, sur une belle histoire qui continue de s’écrire.
Lorenzo de Luca a trouvé en Denver de Talma le partenaire idéal pour accomplir ses plus grands rêves. Associés depuis septembre 2023 sur la scène internationale, ces deux là n’ont rien raté cette saison et enchaîné huit classements en dix Grands Prix 5* courus en 2024. L’Italien ne tarit pas d’éloges au sujet de son crack, né en France, au cœur des prairies ardennaises de Michel Guiot. “Denver me semble inarrêtable. Aujourd’hui, on le voit arriver tout en haut. J’ai eu la chance d’avoir de bons chevaux dans ma carrière, comme Cocktail de Talma, qui m’a aussi fait rêver, ou encore Halisco d’Asschaut, un autre fils de Vigo Cécé que monte Sofian Misraoui et que nous verrons un jour à la télévision, mais Denver coche toutes les cases”, assure l’éleveur de l’alezan. “Ma meilleure garantie est qu’il fait couple avec Lorenzo de Luca. Il a trouvé son pilote, et le pilote a trouvé son cheval. C’est le dernier ingrédient pour que tout fonctionne. Ce qu’ils font est magique : il n’y a pas une fois où ils n’ont pas progressé. Denver peut tout sauter, il a une force extraordinaire.”
Nidor Platière, un rôle insoupçonné dans l’histoire de Denver de Talma
Aujourd’hui, Michel Guiot vibre au rythme des sauts et succès de Denver de Talma et savoure le résultat d’une belle histoire. En 1952, Vaillante, une jument aux origines inconnues voit le jour en France. À Paul Lefrançois, elle donnera deux filles : Ariane (Monceaux, PS) et Babate, une descendante de Pre Catelan II, un Pur-Sang ayant laissé soixante poulains selon les données du SIRE. “Pre Catelan a très peu sailli. Il avait énormément de caractère. Toute sa production est très intéressante. Aujourd’hui, on recherche des Pur-Sang pour ramener du sang : Pre Catelan n’était vraiment pas simple, mais il a transmis sa niaque. Et la souche de Denver est pétrie de sang”, débute Michel Guiot, très attaché à cette qualité.
Mariée à Cor de Chasse, Babatte donnera la première de ses deux descendantes en 1982, une certaine Querel des Etangs, née chez Dominique et Michel Tison. C’est à partir de cette jument, très bonne compétitrice, que l’éleveur belge, installé de longue date en Champagne-Ardenne, construira la souche de Denver de Talma. “J’ai été marqué par un étalon des haras nationaux qui faisait la monte dans ma région : Nidor Platière. Nidor était pour moi le cheval qui améliorait tous les mauvais dos. J’étais le vétérinaire de la station de Montier-en-Der, où était Nidor. Je cherchais et j’ai acheté des juments spécialement pour lui, ce qui ne se fait jamais, parce que j’étais fou de ce cheval. Il fallait simplement lui confier des juments avec un bon geste de devant, du respect et du sang”, reprend Michel Guiot. “À cette époque, Querel des Etangs, l’arrière-grand-mère de Denver, était membre de l’équipe de France Junior. J’avais vu Querel avant cela, avec son naisseur, Michel Tison. Elle avait un respect des barres incroyable, mais avait un mauvais dos. Querel a eu une fracture du genou et sa carrière sportive s’est arrêtée. Ses propriétaires ont alors cherché une bonne maison pour elle. Le vétérinaire de Querel, un copain, leur a confié que j’élevais et que leur jument serait bien chez moi. C’est ainsi que Querel est arrivée chez nous.” Croisée cinq fois à Nidor Platière, Querel donne plusieurs très bons produits : Havane de Talma, ISO 154, classée jusqu’à 1,50m avec François Pelamatti, Joy de Talma, ISO 150, compétitif jusqu’en CSI 3*, notamment avec Frédéric Lagrange, Jamaïque de Talma, ISO 135 et mère de l’étalon Negus de Talma (Quick Star), Karma de Talma, ISO 142, ainsi que Noa de Talma, ISO 132 et à l’origine du tout bon Quid de Talma (Contendro), ISO 154 et classé jusqu’à 1,50m avec la Norvégienne Maia Stange Røsholm.
“Vigo Cécé est un chef de race”, Michel Guiot
“Déjà très branché étalons, j’ai acheté Jeff d’Or (Elf d’Or x Imam d’Or), notre premier étalon privé, avec Hervé Francart. Comme Nidor, Jeff d’Or avait un dos terrible. Naturellement, je l’ai mis à Querel des Etangs, qui m’a donné Querelle de Talma, la grand-mère de Denver. Querelle avait les moyens pour évoluer à 1,40, 1,45m. Elle était hyper facile, très amateur. Je l’ai vendue à une jeune fille (Aline Michel, ndlr), en Auvergne Rhône-Alpes. Avant de la céder, j’avais fait trois embryons avec elle : un Opium de Talma, un Calato et un Canturo”, complète l’éleveur. Le second accouche de Vendetta de Talma, une jument haute en couleurs, mais aussi très chère aux yeux de son naisseur. “Vendetta était folle”, lance-t-il sans détour. “Lorsque je l’ai sevrée, elle a essayé de sauter par-dessus la paroi des boxes, qui était très haute. Elle s’est fracturé le boulet lors de cet accident. Tout le monde m’a dit de m’en séparer, qu’elle était trop dangereuse. Mais j’étais sûre qu’elle produirait bien, parce qu’elle avait un tempérament de guerrière, transmis par Canturo. Je connais vraiment bien cet étalon, que j’ai distribué. Il a donné des chevaux parfois peu pratiques et souvent très sensibles. Je trouve d’ailleurs qu’il a été meilleur en père de mère.”
Devenue la protégée de Michel Guiot, Vendetta de Talma s’est progressivement apaisée, jusqu’à devenir un “pot de colle”. “Elle est super attachante”, témoigne son éleveur et premier défenseur. “C’est la première à venir dans les pâtures et elle nous suit partout. Comme personne ne l’aimait dans mon entourage et que je la défendais, j’ai sûrement passé plus de temps à ses côtés et elle est très proche de moi. Elle a un hennissement à faire trembler la terre ! Lorsqu’elle hennit chez moi, je sais tout de suite que c’est elle. Elle a un cri d’étalon.”
Alors que Vendetta souffle sa troisième bougie, Michel Guiot vient de faire l’acquisition d’une autre perle née en 2009 : Vigo Cécé (Quaprice Bois Margot, ex-Quincy x Diamant de Semilly), né chez Christophe Choain. L’éleveur marie alors ses deux jeunes pousses. “Pour moi, Vigo Cécé était l’étalon qu’il fallait à Vendetta. C’est un chef de race, c’est sûr. Lorsque je l’ai acheté, je croyais déjà en lui dur comme fer, mais c’est plus que jamais le cas aujourd’hui. Vigo Cécé est l’étalon de ma vie ; on ne peut pas en avoir plusieurs comme lui. Cela me fend le cœur de l’avoir perdu.” Le croisement entre Vendetta et Vigo Cécé donne Denver, le premier poulain de sa mère. “Poulain, Denver sortait du lot. Il avait la musculature que transmet son père, un rein très fort, une arrière-main très développée. J’ai toujours été très sensible à cette qualité. Sur les barres, il était très rangé devant et très respectueux, mais délicat et hyper sensible. Ce n’était pas un cheval à mettre entre toutes les mains, mais je l’avais identifié comme un crack, sans pour autant imaginer tout ce qu’il fait aujourd’hui”, complète Michel Guiot. “À ce moment-là, je n’avais pas le système de valorisation que j’ai aujourd’hui, et je me suis dit qu’il fallait que je le vende. J’ai cédé Denver à ses trois ans, à Catherine Bonnafous.”
Catherine Bonnafous, le bon coup d’œil
Passionnée de longue date, Catherine Bonnafous a l'œil pour repérer les bons chevaux. Elle fut la propriétaire de plusieurs grands chevaux de saut d’obstacles : la double championne d’Europe de Gijon, Quinta C, sacrée en 1993 sous la selle du Suisse Willi Melliger, l’étalon I Love You, “un cheval hors norme, très fort, très sensible”, l’olympique Lord de Theize, douzième des Jeux de Londres avec Olivier Guillon en 2012, ou encore le génial Topinambour, fervent défenseur des couleurs de l’équipe de France sous la selle de Pénélope Leprevost. “J’ai formé cinq, six grands chevaux, mais c’est Denver qui est le plus exceptionnel. Et je ne dis pas cela parce qu’il est le plus jeune d’entre eux ! Il est rapide, doté d’un respect hors norme. On ne peut pas imaginer à quel point il est respectueux. Il a besoin d’être aimé pour donner sa quintessence et c’est ce qu’il fait avec Lorenzo de Luca. Lorenzo a complètement compris Denver. Il ne l’oblige pas à faire un travail trop fastidieux, répété. Il le préserve beaucoup. C’est un garçon formidable, qui a bien compris la qualité de Denver”, loue la femme de cheval, qui a décelé le potentiel de son alezan en un regard ou presque.
“Je suis allée aux ventes Fences en 2016. Denver avait un peu plus de trois ans et son éleveur, Monsieur Guiot, organisait une vente le dimanche soir, le dernier jour de la Grande Semaine de Fontainebleau”, se souvient Catherine Bonnafous. “J’étais avec Éric Nègre, un ami et courtier très performant. Il m’a dit ‘viens voir ce cheval, je l’ai adoré à la sélection’. Nous sommes allés le voir et je l’ai beaucoup aimé. Par bonheur, l’épouse d’Éric, Adeline Wirth, qui était avec nous, m’a dit qu’elle ne souhaitait pas l’acheter, qu’il n’avait pas une belle tête. Nous sommes entrés dans le manège pour la vente. Je l’aimais beaucoup à pied et je l’ai vu sauter. J’avais un très, très bon sentiment et je l’ai acheté à ce moment-là. Avec tous les grands chevaux que j’ai trouvés, cela a été une question de sentiment, de déclic. De Denver, j’ai tout adoré : son corps un peu rustique, carré, sa grosse tête de trotteur, etc. En vivant avec lui, j’ai découvert un cheval d’une sensibilité fantastique, qui aime qu’on l’aime, qui partage. Il est d’une grande sensualité. J’ai un petit bout d’âge dans ce métier, où ma mission a toujours été de renifler les bons chevaux. Cela ne suffit pas : il faut les construire, les former. Je ne pouvais pas prévoir la qualité exceptionnelle de Denver, mais il avait tout : la force, la réactivité, la sensibilité.”
En toute logique, Catherine Bonnafous confie sa pépite à Mathilde Lockwood, jeune et talentueuse cavalière qui est également son élève depuis plus de quinze ans. C’est elle qui assurera les débuts en compétition du Selle Français, à partir du printemps 2019. “J’ai connu Denver lorsque Catherine l’a acheté aux ventes Fences à trois. C’était un cheval de trois ans avec des capacités énormes et une personnalité déjà très spéciale, que je n’ai jamais connue avec d’autres chevaux. Il est très drôle, très attachant, tout en ayant un petit brin de folie qui ne le rendait pas toujours facile. J’ai commencé à le monter après son débourrage. Juger un cheval à trois ou quatre ans est toujours difficile, mais Denver a toujours eu une facilité peu commune à l’obstacle. Il a une frappe naturelle et un geste de devant d’une rapidité incroyable. Je pense que c’est en partie ce qui fait tout son talent aujourd’hui. Il a un respect et une intelligence de la barre remarquables. Dès le départ, il adorait sauter et le travail sur le plat n’était pas ce qu’il préférait ! Sur son dos, on sentait directement tout son potentiel”, confie Mathilde Lockwood.
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Photo à la Une : Avec Denver de Talma, l'Italien Lorenzo de Luca voit la vie en rose. © Sportfot