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“Avant de rencontrer Éric Navet, j’avais de l’instinct à cheval, mais je ne savais pas vraiment ce que je faisais”, Karl Cook (1/3)

Caracole de la Roque
mercredi 19 juin 2024 Mélina Massias

Son épouse, Mackenzie Drazan, le décrit comme un homme aux nombreux talents, dont la plupart sont ignorés par le plus grand nombre. Maraîcher à ses heures perdues, lecteur, créateur des crampons portés par Caracole de la Roque à Rome et La Baule, Karl Cook possède de multiples facettes. Pressenti pour intégrer l’équipe américaine qui se produira devant le château de Versailles dans moins de cinquante jours, le trentenaire a trouvé les codes pour composer avec le tempérament de feu de sa Selle Français, acquise en fin d’année 2022. Toujours enclin à partager avec les autres et analyser ses propres performances, comme il le fait régulièrement dans sa série “Walking and talking”, qu’il partage sur diverses plateformes - Instagram, Spotify, YouTube -, Karl Cook a eu le courage de tout reprendre à zéro, ou presque, voilà un peu plus de dix ans. Grâce à l’aide précieuse de son mentor, Éric Navet, dont le palmarès comprend, entre autres, un titre de champion d’Europe, trois de champion du monde dont deux en individuel et une médaille de bronze olympique, l’Etats-Unien, basé à San Diego, où sont situées ses écuries, Pomponio Ranch, a complètement changé de stature. Entretien, en trois épisodes.

Vous avez posé vos valises en France depuis quelques semaines et allez séjourner en Europe pour la première fois pour une période aussi longue. Comment et pourquoi avez-vous pris la décision de vous établir sur le Vieux continent pour l’été ?

Exact. Je suis déjà venu en 2012, lorsque j’ai commencé à travailler avec Éric (Navet, ndlr). J’étais resté deux mois. Nous étions également venus passer trois semaines en France l’an dernier. Je n’étais jamais resté plus longtemps car je n’avais pas l’impression que nous étions prêts pour cela. Cette année, aller à Paris est notre objectif principal. Faire venir tous nos chevaux ici, afin d’avoir plus de stabilité et éviter les allers-retours en avion, faisait sens. Prendre l’avion de la France à New-York n’est déjà pas une mince affaire, alors d’ici à San Diego, le voyage est encore plus long. À l’exception de quelques montures et personnes restées aux Etats-Unis, toute notre équipe et tous les chevaux sont présents ici. Nous restons évidemment dans les écuries d’Éric, ce qui facilite les choses. Il y a, en plus, beaucoup de concours à proximité. Cela nous permet de bien travailler.

Après deux très bonnes Coupes des nations et deux excellents Grands Prix à Rome et La Baule, Caracole de la Roque et Karl Cook ont prouvé qu'ils formaient un véritable couple. © Mélina Massias

Jusqu’à quand avez-vous prévu de rester en Normandie ?

J’espère jusqu’aux Jeux olympiques. Ensuite, nous rentrerons à la maison. Certains chevaux retourneront en Californie avant les Jeux, mais d’autres resteront. Nous ne pouvons rester ici qu’un certain temps avant de devoir rentrer.

“L’aide d’Éric Navet a été un apport considérable pour mon équitation”

Comment avez-vous croisé la route d’Éric Navet et quelle influence a-t-il exercé sur votre carrière ?

J’ai rencontré Éric il y a douze ans, grâce à un ami commun (Ali Nilforushan, ndlr) qui avait travaillé avec lui pendant des années (et notamment participé aux Jeux olympiques de Sydney, en 2000, ndlr). À ce moment-là, j’étais à la recherche d’un nouvel entraîneur depuis quelque temps. Dans ma carrière, je n’ai eu que deux entraîneurs. Avant Éric, j’avais toujours été encadré par le même coach. J’ai obtenu plein de bons résultats avec ce dernier, mais cela ne fonctionnait plus et j’avais l’impression de manquer d’une ligne directrice pour franchir l’étape suivante. J’avais besoin de changement. Je suis donc entré en contact avec Éric et nous travaillons ensemble depuis. Notre relation a évolué au fil des années, à mesure que les besoins ont changé. 



Lorsque j’ai commencé à travailler avec Éric, je savais mettre un filet sur la tête d’un cheval, mais si on me montrait un mors, j’étais incapable de donner son nom et ses spécificités. Je n’avais aucune idée des effets des différents réglages que l’on peut apporter à une muserolle, ou s’il valait mieux utiliser un noseband ou non sur tel ou tel cheval. Je n’avais aucune notion pour ajuster une selle correctement sur le dos d’un cheval. Je ne savais pratiquement rien. J’avais l’instinct nécessaire pour monter à cheval, mais je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Éric m’a apporté le reste et son aide a été un apport considérable pour mon équitation.

Le champion Eric Navet a joué un rôle crucial dans la carrière de Karl Cook. © Mélina Massias

Toute reprendre à zéro, ou presque, a dû être un sacré changement pour vous, alors même que vous évoluiez déjà en Grand Prix 5* à cette époque…

Oui, et c’était le but. Il fallait opérer ce changement, donc nous l’avons fait. Lorsque je suis arrivé chez Éric, en 2012, je n’ai pas concouru pendant deux mois tant il y avait de choses à reprendre.

Prendre un tel virage demande beaucoup de courage, non ?

Oui et non, car mon fonctionnement de l’époque était si mal en point qu’il était évident qu’il était voué à l’échec. Si je voulais poursuivre dans le sport, je devais apporter un changement majeur à ma carrière. Éric a eu le défi de réunir toutes les pièces du puzzle ensemble. Au début de notre collaboration, je pense qu’il s’est demandé dans quoi il venait de s’embarquer ! (rires)

Caracole de la Roque pourrait bien mener son binôme humain vers ses premiers Jeux olympiques. © Mélina Massias

“J’ai l’impression que les choses sont devenues plus prévisibles avec Caracole”

Quelles différences notez-vous entre le milieu équestre américain et européen ?

Je peux évoquer le cas de la France, mais les choses sont probablement un peu différentes dans les autres pays. Tout d’abord, je n’aime pas débattre pour savoir quel système est le meilleur ; il y a plein d’excellentes choses dans la façon dont les petits concours fonctionnent en Europe et que j’aimerais voir aux Etats-Unis, mais je trouve aussi que certains aspects sont mieux aux Etats-Unis. Ce qui est génial en Europe, c’est qu’il y a une grande variété dans les concours proposés. De ce fait, on peut choisir la compétition qui correspond parfaitement à l’avancée de notre travail avec un cheval. Si l’on veut faire un parcours de travail, on peut. Cela permet également aux prix d’être moins élevés. On peut ainsi profiter de petits concours en famille, option que nous n’avons pas aux Etats-Unis. Il y a également beaucoup plus de cadre outre-Atlantique, ce qui n’est pas toujours idéal. La façon dont notre système est pensé implique que, la plupart du temps, les coachs font tout. Avant que j’arrive chez Eric, mon entraîneur faisait tout à ma place. Alors, on ne peut pas apprendre. Certaines personnes préfèrent payer et je respecte leur choix. Mais si l’on veut apprendre, il n’y a pas vraiment les mêmes possibilités qu’en Europe. À l’inverse, lorsque je regarde de jeunes cavaliers prendre part à des épreuves à 1,10 ou 1,20m en Europe, j’aimerais que leurs coachs leur disent de faire certaines choses différemment, sans même parler de points très techniques. Ces conseils, sur des éléments plutôt simples, pourraient les aider. Globalement, je pense qu’il existe un juste milieu, où l’on peut bénéficier du meilleur des deux systèmes. J’aime le fait qu’en Europe, si l’on est prêt pour cela, on doit penser par soi-même. Tout le monde n’en est pas capable. Aux Etats-Unis, c’est l’opposé : il faut se battre pour apprendre par soi-même, là où il n’y a pas d’autre choix ici.

Ici avec Kalinka van't Zorgvliet, son autre jument de tête, le trentenaire évolue principalement outre-Atlantique. © Sportfot

Depuis début 2023, vous concourrez avec la Selle Français Caracole de la Roque (Zandor x Kannan), révélée au plus haut niveau par Julien Epaillard. Comment et pourquoi avez-vous choisi de faire l’acquisition de cette jument ?

Nous avons essayé Caracole en décembre 2022, mais je n’ai commencé à la monter qu’en 2023. Je n’ai pas besoin de revenir sur son année 2022, qui fut exceptionnelle. On recherche toujours la bonne opportunité pour avoir les meilleurs chevaux possibles. Nous avons eu la chance de pouvoir essayer et acheter Caracole. Elle a un fonctionnement similaire à celui de mon autre jument, Kalinka, même si elle est différente. Lorsqu’on me voit à cheval, je ne m’assoie jamais, je ne mets pas beaucoup de jambes et Caracole correspond bien à mon équitation. Je voulais saisir cette opportunité et au moins l’essayer. Si l’on parvenait à former un couple, je savais à quoi m’attendre avec elle. Il ne s’agissait pas d’un cheval de sept ans dont les moyens sont incertains. Nous connaissions les capacités et qualités de Caracole. Il fallait simplement voir si nous pouvions bien nous entendre.

Avez-vous eu des doutes avec elle ?

Oh oui, tout le temps !

Quand avez-vous eu le déclic ?

Je ne sais pas si j’aurai un déclic un jour. Notre couple fonctionne de mieux en mieux en ce moment, mais Caracole est si rapide et déterminée qu’on se dit toujours dans un coin de sa tête que l’on peut arriver quelque part où l’on ne souhaite pas être avant même d’avoir réfléchi ! C’est peut-être une bonne chose d’un côté, puisque cela oblige à rester présent lorsqu’on la monte.

Depuis quelques semaines, la régularité de Karl Cook et Caracole de la Roque impressionne. © Mélina Massias



Quel bilan tirez-vous de l’année et demie partagée avec elle ?

Nous avons connu des hauts et des bas. Cela n’a pas été une ligne droite. Mais je crois que chaque mauvaise passe m’a enseigné une leçon que je devais apprendre. Cela nous a permis de progresser à chaque fois.

Votre première moitié de saison 2024 a été plutôt remarquable avec elle…

Nous avons vécu un mauvais week-end en Floride, lors de la huitième semaine (du Winter Equestrian Festival de Wellington, ndlr). Nous avons concédé douze puis quatre points dans la Coupe des nations, ce qui, pour cette année, est une contre-performance. Mais cela m’a appris des choses nécessaires pour la suite. Depuis, j’ai l’impression que les choses sont devenues plus prévisibles pour nous et que cela nous a mené à nos récentes performances.

L'air européen réussit à la Selle Français et son pilote américain. © Sportfot

“Il m’a fallu du temps pour apprendre à connaître Caracole, mais il lui en a aussi fallu pour apprendre à me connaître”

Prendre les rênes d’une jument comme Caracole de la Roque doit venir avec son lot de pression. Comment l’avez-vous gérée ?

Oui, on n’a pas envie d’être la personne qui gâche une jument aussi talentueuse, chose qui peut arriver. Que tout se passe bien n’est pas acquis d’avance. Cela peut aussi mal se passer. Alors, on prend son temps et les bonnes décisions. Évidemment, il y a de la pression, mais aussi une forme d’inspiration.

Est-ce pour cela que vous avez pris votre temps lors de vos débuts avec Caracole ?

Oui. Julien est un cavalier incroyable, mais il est aussi unique dans sa façon de monter. Il m’a fallu du temps pour apprendre à connaître Caracole, mais il lui en a aussi fallu à elle pour apprendre à me connaître. 

Au CSIO 5* de Rome, vous avez réalisé une très bonne Coupe des nations, avant de vous imposer dans le Grand Prix Rolex. Quel a été votre sentiment lors de ce week-end particulièrement réussi ?

J’ai été irrité par la Coupe des nations. Si nous avons renversé une barre, c’est de ma faute. J’étais heureux d’être sans-faute en première manche, mais commettre une erreur en seconde manche, que je n’avais pas commise au tour précédent, est rageant. Ensuite, le Grand Prix était super. Caracole nous a sauvé sur le dernier, car la distance était un peu proche. Elle a été incroyable dans ce Grand Prix. Partir en dernier au barrage et gagner, en sachant que personne ne pourra nous passer devant, est génial. C’était une expérience vraiment spéciale.

À Rome, Karl Cook et Caracole de la Roque ont remporté leur plus belle victoire commune. © Sportfot

Caracole de la Roque est-elle votre première option pour les Jeux olympiques de Paris ?

Oui.



“Caracole passe autant de temps que possible en extérieur”

Quel va être votre programme avec elle jusqu’à cette échéance ?

Nous verrons. Cela va dépendre de notre résultat dans le Grand Prix demain (entretien réalisé samedi 8 juin, la veille de la deuxième place du duo dans le Grand Prix du CSIO 5* de La Baule, ndlr). Éric et moi allons parler et nous échangerons également avec notre chef d’équipe afin d’établir le meilleur programme. Nous avons enchaîné un CSI 3* (à Cabourg Classic, ndlr), une semaine de repos, Rome, une semaine de repos et La Baule, donc cela fait pas mal de concours. Je pense que nous avons besoin de passer un peu de temps à la maison et de laisser Caracole se détendre avant de se préparer à nouveau pour notre prochaine sortie, quelle qu’elle soit.

Discussion au sommet après le Grand Prix Rolex du CSIO 5* de La Baule. © Mélina Massias

À quoi ressemble le quotidien de Caracole dans vos écuries ? Est-il similaire à ce que l’on a pu apercevoir de ses routines lorsqu’elle était au haras de la Bosquetterie ?

Nous n’avons pas autant d’espace pour pouvoir la laisser dehors la nuit, mais elle passe autant de temps que possible en extérieur. Elle est plus heureuse ainsi. Peu importe si le temps est mauvais ou s’il fait froid ; elle est heureuse d’être dehors. Lorsqu’il pleut et qu’elle est dans son box, elle regarde dehors et nous demande de l’y emmener. Je la monte le matin, puis elle va directement au paddock. Il arrive parfois qu’elle soit longée dans l’après-midi, mais elle retourne au paddock une fois cela terminé.

Pour quel type de ferrure avez-vous opté pour concourir sur l’herbe ?

Ce sont des fers en plastique, créés par une société française nommée Delysis. Ils utilisent une image en trois dimensions du pied du cheval. On peut ensuite personnaliser le fer, puis il est imprimé en 3D. Nous avons choisi d’utiliser des clous plutôt que de la colle pour les fixer sur les sabots de Caracole. Cela apporte plus de flexibilité. Le fer est semblable à un fer classique, mais est composé de plastique. De cette façon, il peut davantage épouser les mouvements naturels du pied du cheval, dans tous les sens. Nous n’avons eu aucun problème jusqu’à présent, mais Caracole repassera sans doute pieds nus après La Baule.

Les fers en plastique de Caracole de la Roque, munis de crampons façonnés par Karl Cook himself! © Mélina Massias

Avez-vous d’autres chevaux qui évoluent sans fer ?

Pour l’heure, il n’y a que Caracole, mais nous envisageons éventuellement de retirer les fers antérieurs d’un autre cheval et de lui poser des fers en plastique aux postérieurs.

La deuxième partie de cette interview est disponible ici. 

Photo à la Une : Avant chaque parcours, Karl Cook embrasse l'encolure de sa meilleure partenaire, Caracole de la Roque. © Mélina Massias