“Aujourd’hui, le talent ne suffit pas”, Philippe Léoni (2/3)
“Travail, travail, travail”, martèle Philippe Léoni. Voilà sans doute l’un des secrets du succès retrouvé par le Français ces derniers mois. Après avoir connu ses premières heures de gloire au milieu des années 2000, le Sudiste, originaire d’Aix-en-Provence, avait mis sa carrière équestre entre parenthèses pendant quatre années, afin de se concentrer sur sa vie professionnelle à mille à l’heure. Passé par le concours complet à ses débuts, l’homme, toujours enjoué, vit avec bonheur son retour sous les projecteurs. De sa médaille de bronze aux championnats de France de Fontainebleau, à ses classements en Grands Prix 4 et 5*, et son retour sous la veste de l’équipe de France, à l’occasion du CSIO 3* de Madrid, l’ancien partenaire de l’excellente Cyrenaïka a connu une saison faste, qu’il était bien loin d’imaginer, en février dernier, lorsqu’il a pris la route en direction d’Oliva. Rencontré à l’occasion de l’agréable CHI d’Equita Lyon, le cavalier, père de famille et homme d’affaires de soixante-trois printemps n’a éludé aucune question, de ses derniers mois à haut niveau, à sa rencontre avec sa formidable Miss Marie v’t Winnenhof, en passant par ses inspirations, son système, son programme d’élevage maison, et les questions de bien-être animal et d’écologie. Deuxième partie d’un entretien en trois volets.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Vous avez connu de belles heures à haut niveau dans les années 2000, avant de prendre une pause, entre mars 2009 et mars 2013. Quelles raisons vous avaient poussé à arrêter la compétition, et, à l’inverse, comment avez-vous remis le pied à l’étrier ?
J’ai fait plus qu’une pause ! En 2009, j’ai arrêté de monter pendant quatre ans. Cyrenaïka (Cheenok x Lanthan), avec qui j’ai pris part à deux finales Coupe du monde (à Las Vegas en 2005, puis à Kuala Lumpur l’année suivante, ndlr), arrivait à la fin de sa carrière sportive. Je sortais d’une période de quinze ans de très haut niveau, à cheval comme dans ma vie professionnelle. J’étais arrivé à un stade où j’étais épuisé, surdosé. J’étais éreinté physiquement, mais aussi psychiquement. Je ne me voyais pas continuer comme cela. J’avais un peu moins de chevaux de haut niveau, puisqu’il ne me restait que Lavillon (Diamant de Semilly x Laudanum), et Cyrenaïka n’était plus là. Un jour, j’ai dit “j’en ai marre, j’arrête”. J’ai tout stoppé du jour au lendemain. J’ai vendu mon camion, puis Lavillon à Ludger Beerbaum sur le chemin du retour entre Arezzo et Aix-en-Provence. Je ne suis plus monté sur un cheval pendant quatre ans. Et ça ne m’a pas manqué ! Ma fille montait, j’avais toujours mes copains dans le milieu, mais je n’étais plus en concours tous les week-ends. Je suivais cela de loin. J’ai complètement cessé mes activités équestres et cela m’a fait un bien fou. Et puis, un peu par hasard, mon ami Fred Rivet, qui tient un important centre équestre près d’Aix-en-Provence, à Meyreuil, où il organise beaucoup de concours, a plaisanté en jour en disant “j’ai parié que tu allais remonter à cheval lors de mon concours, pour faire la 1,35m”. Je lui ai répondu “oui, pourquoi pas !” J’ai remonté le cheval de Fred et ce n’était pas si mal. Je trouvais l’épreuve énorme (rires). Cela m’a donné envie de reprendre et j’ai commencé à acheter de nouveaux chevaux avec Laurent Guillet. Dans un premier temps, je n’avais pas du tout l’espoir de retrouver le haut niveau. Je voulais juste m’amuser. Et puis, compte tenu de mon esprit de compétiteur, cela m’a rapidement énervé. J’ai acquis Shana de Kerglenn, qui avait été sacrée championne des sept ans. Laurent l’a achetée et je ne l’ai même pas essayée. Il m’a dit “prends là, c’est une crack”. Et tout est reparti.
[revivead zoneid=48][/revivead]
En revanche, cela a été très dur de revenir. J’avais pour habitude de dire que l’équitation n’était pas un sport physique. C’est faux ! (rires) Pendant six mois, j’avais mal partout : au cou, au dos, aux bras, aux abdominaux, aux adducteurs, etc. J’avais l’impression de sauter les Jeux olympiques à chaque parcours à 1,40m. Je ne voyais absolument pas la lumière au bout du tunnel. Et puis, une chose en entraînant une autre, je suis revenu. J’ai recommencé à monter en 2013. Nous sommes en 2022 : il y a eu sept ans de reconstruction, donc deux ans à blanc. Depuis deux saisons, tout va beaucoup mieux.
“Ce qui fait la différence, c’est l’acharnement, le boulot, la remise en cause”
Selon vous, quelles ont été les clefs de votre impressionnant comeback ?
Je ne sais pas si c’est impressionnant. En tout cas, cela me procure énormément de plaisir. Je ne suis pas un donneur de leçon, mais, pour moi, il faut retenir l’importance du travail. Que ce soit dans ma vie professionnelle ou dans l’équitation, cet élément est déterminant. Bien sûr, sans des chevaux de qualité, on ne peut pas pratiquer le sport de haut niveau. Si on enlève ce préalable, et compte tenu des nombreux changements qui ont eu lieu ces dernières années, il faut avoir un système complet, du repérage au travail des chevaux. Surtout, il faut travailler, travailler et se remettre en cause. Cela ne fonctionne pas au petit bonheur la chance. Le haut niveau, ce n’est pas ça. Beaucoup de personnes observent le sport de l’extérieur et se disent que tel cavalier est extraordinaire et monte un cheval tout aussi exceptionnel. Oui, mais cela est possible parce que la personne en question a tout un système derrière elle. Cette personne a plein de bons chevaux, d’autres qu’elle forme, se remet en question, travaille avec des coaches physiques, etc. Je vois, par exemple, Marlon Mòdolo Zanotelli ou Scott Brash qui sont encadrés par un entraîneur (Diego Linares, fondateur de Rider Balance, ndlr) : ce sont des athlètes ! Le travail, le travail, le travail. Ça, je sais faire.
Ma théorie a toujours été de dire qu’il y a trois catégories de cavaliers. Il y a 1% de sousdoués, pour lesquels on ne peut plus rien. Ils peuvent faire tous les efforts de la terre, cela ne changera rien (rires). Il y a ensuite 1% de surdoués. Ceux-là rencontrent parfois des difficultés tellement ils sont naturellement bons. Et puis, il y a 98% de cavaliers normaux. Je fais partie de cette catégorie-là. Et, ce qui fait la différence, c’est l’acharnement, le boulot, la remise en cause, le fait de remonter après être tombé, de ne pas pleurer et de toujours avancer. Lors de mon dernier classement en Grand Prix 5* à Grimaud (le 25 septembre, le Tricolore avait terminé septième, ndlr) avec Miss Marie, j’avais panaché deux jours avant avec Uhlan. J’ai regardé la vidéo une fois, pas deux. J’ai pris un risque énorme et nous sommes tombés tous les deux. Un champion, ou du moins quelqu’un qui vise le haut niveau, doit remonter et oublier ça. Les jeunes cavaliers talentueux ne doivent pas compter seulement sur leurs prédispositions. Aujourd’hui, le talent ne suffit pas, dans le sport comme dans les affaires. Oui, ça compte, mais la capacité à s’entourer des meilleurs, à former une équipe autour de soi et travailler avec acharnement est encore plus important.
[revivead zoneid=48][/revivead]
“Nicolas Delmotte représente ce que j’aime dans l’équitation”
Au fil des années, le sport a largement évolué. Quels changements vous ont particulièrement marqué ?
Deux choses m’ont marqué. S’il y a deux points à ressortir, je citerai d’abord le nombre absolument incroyable de top cavaliers. Quand, il y a vingt ans, quatre ou cinq personnes dominaient le sport, aujourd’hui, il y a vingt, trente cavaliers dans le monde qui sont tout simplement extraordinaires. Ensuite, il y a la vitesse, ne serait-ce que des premiers tours. Les Grands Prix se courent quasiment comme un barème A chrono. On n’a plus le temps de prendre les boulevards et de regarder les pâquerettes ! Cela vaut aussi pour les barrages. La maîtrise qu’ont les gars pour aller à fond sur 1,60m me marque beaucoup. Bien sûr, comme dans tous les sports, le matériel a évolué, que ce soit concernant les obstacles ou les terrains de concours. Toutes les disciplines suivent des évolutions positives de ce genre.
En équitation, ou dans la vie de tous les jours, quelles personnes vous inspirent ?
Comme je l’ai déjà évoqué, je suis très proche de Laurent Guillet. Je trouve son parcours absolument incroyable. Il fait son métier de manière fantastique et est un exemple de travail, de rigueur et de réussite. En tant que cavalier, j’apprécie beaucoup Nicolas Delmotte. Il y a longtemps, j’ai gagné la Coupe des nations de Rotterdam, que la France n’avait plus remportée depuis vingt ans. Nicolas, qui était très jeune à l’époque, faisait partie de l’équipe. De mon côté, j’étais moins âgé (rires). J’ai des liens d’amitié très anciens avec lui. Nicolas est pour moi un cavalier complet, qui représente ce que j’aime dans l’équitation, à savoir le respect et la construction intelligente des chevaux. Et puis, quand on le voit en piste, il n’y a rien à dire. Il m’inspire beaucoup. J’aurais du mal à citer d’autres noms… Il y a tellement de cracks cavaliers français ! Notre réservoir est incroyable. On ne peut être qu’interpelé par le talent et la réussite de Julien Epaillard. Il y a aussi Simon Delestre. J’aime beaucoup regarder ce que font les grands cavaliers, c’est toujours très instructif. Je suis souvent au paddock, où j’observe le travail sur le plat et la manière dont chacun gère ses épreuves. Au niveau international, pour n’en citer que deux, Steve Guerdat et Daniel Deusser sont exceptionnels. La liste est longue, mais j’admire leur capacité à mêler respect des chevaux et compétitivité. Il y en a tellement d’autres… En tout cas, je suis très à l’écoute et beaucoup dans l’observation de ces gens-là. Notre sport a beaucoup évolué et continue à évoluer. Si nous voulons rester dans le coup, il ne faut pas s’enfermer dans ce que nous faisons. Au contraire, il faut garder l’esprit alerte, les yeux et les oreilles grands ouverts. C’est mon mode de fonctionnement et cette ouverture m’a beaucoup servi dans mes deux vies : sportive et business.
[revivead zoneid=48][/revivead]
“La réussite est déterminée par le fait de rester focalisé”
Au milieu de votre emploi du temps que l’on imagine aussi rempli que celui d’un ministre, avez-vous l’occasion de vous adonner à d’autres activités ?
Non ! J’ai quand même une famille. Alors, je m’interdis d’avoir d’autres centres d’intérêt. Ma vie professionnelle est tellement prenante ! J’ai trois blocs : ma famille, ma vie professionnelle et mon activité équestre, qui s’approche du professionnalisme aussi. Dire que je suis amateur serait inexact et un peu décalé. J’aime beaucoup le golf et un tas d’autres choses. J’adore la lecture, mais je n’ai pas le temps de lire. J’adore les voyages, mais je n’ai pas le temps d’en faire, en dehors de mes déplacements en concours. J’adore l’art, et je n’ai pas le temps de m’y intéresser. Je me dis que, lorsque j’arrêterai de monter à cheval, je ferai plein de choses que je ne peux pas faire pour l’instant. Pour l’heure, je suis trop concentré sur mes activités principales. D’ailleurs, la réussite est déterminée par le fait de rester focalisé. Pour moi qui ai plusieurs occupations, cela est compliqué. Heureusement, j’ai la chance d’avoir ma femme et ma famille qui me soutiennent. Ce n’est pas évident. C’est même un peu égoïste, donc il faut essayer de préserver l’équilibre de tout cela.
La troisième et dernière partie de cet entretien est disponible ici.
Photo à la Une : Philippe Leoni à Lyon. © Mélina Massias.