“Au moins une fois dans ma vie, j’aurais été la meilleure cavalière du monde et c’est plutôt cool”, Erynn Ballard
Peu connue en Europe, Erynn Ballard a pourtant été propulsée sur le devant de la scène en début d’année. En janvier, la Canadienne est devenue, pour la première fois de sa carrière, la meilleure cavalière du classement mondial Longines. Alors que la gent féminine s’éloigne de plus en plus du Top 10 depuis de longues semaines, l’amazone, habituée des terrains de concours outre-Atlantique, a découvert l’effervescence du public du Vieux continent, en décembre dernier, au CHI de Genève. Présente à La Baule, au milieu d’un clan canadien ultra-soudé autour d’un certain Éric Lamaze, Erynn Ballard livre quelques éléments permettant de la découvrir.
Pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas, pourriez-vous vous présenter ?
J’ai quarante et un ans et je représente le Canada. J’ai passé plus ou moins toute ma vie en Amérique du Nord. Depuis l’an dernier, je commence à prendre de l’expérience sur les concours en Europe, ce qui est plutôt cool. J’ai commencé par Genève, et maintenant je participe à La Baule et Rome. Il n’est jamais trop tard ! Auparavant, je dirigeais une entreprise au Canada. Depuis cinq ans, je travaille avec Ilan (Ferder, ndlr). Cela a propulsé ma carrière au niveau supérieur, ce qui me permet d’être ici.
Comment avez-vous découvert les sports équestres ?
Ma famille est dans les chevaux. Mon père est un chef de piste. Il a officié jusqu’aux Jeux panaméricains. Il a également travaillé sur des finales de la Coupe du monde et a été assistant aux Jeux olympiques. Il a voyagé à travers le monde grâce à son métier. Mes parents ont toujours eu une activité à la maison et j’ai commencé à monter à poney par ce biais-là, puis j’ai gravi les échelons.
Vous avez pris part à votre premier 5* en Europe en décembre dernier, à Genève. Pour quelles raisons ne vous étiez-vous jamais confrontée au Vieux continent jusqu’alors ?
Je pense que tout est lié aux opportunités qui nous sont données. Jusqu’à maintenant, je n’en avais pas eu me permettant de venir en Europe. Lorsque je gérais mes affaires à la maison, au Canada, j’ai participé à beaucoup d’épreuves de hunter. J’ai fait cela pendant un long moment. Depuis que je travaille avec Ilan, j’ai la possibilité de monter de meilleurs chevaux, prêts pour le niveau supérieur. C’est cela qui m’a amenée ici. L’idée est de progresser et de nous préparer à sauter la Coupe des nations de Rome. Ensuite, mon objectif sera les championnats du monde.
Envisagez-vous la possibilité de passer davantage de temps en Europe à l’avenir ?
Je ne sais pas. Dans un premier temps, nous sommes ici pour participer à ce concours (La Baule, ndlr) et Rome. Ensuite, nous rentrerons à la maison pour concourir à Calgary cet été et nous verrons ce qu’il se passe pour les championnats du monde. Notre business est établi aux Etats-Unis et, maintenant, nous avons énormément de concours 5* là-bas. Cela rend notre venue ici d’autant plus difficile. Les compétitions américaines ne sont pas les mêmes : il y a beaucoup plus d’épreuves, de clients et de chevaux. En temps normal, nous emmenons une quarantaine de chevaux en concours. Alors, être ici avec seulement deux montures est complètement différent !
“Nanini est ma reine ; j’aime tout chez elle
Quelles différences culturelles notez-vous entre les compétitions américaines et européennes ?
À Genève et La Baule, les deux seuls concours dont je peux parler par expérience, le public me semble très malin. Les gens connaissent les chevaux et suivent les événements. Ils ont une plus grande compréhension du sport. Il y aussi davantage de public, éduqué ou non, en termes de quantité. Cet événement est génial car la ville est très ancienne ; c’est comme si le concours était là depuis toujours. Genève se trouve dans un environnement différent, au cœur d’un salon. Mais la finalité est similaire : les tribunes sont pleines à craquer et rendent la compétition spéciale. Je crois que l’atmosphère est différente en Europe, principalement parce que les spectateurs sont très au fait de ce qu’il se passe dans le sport.
Entraînez-vous d’autres cavalières et cavaliers ?
Cela m’est arrivé par le passé. Ce n’est pas ma priorité en ce moment, mais j’en suis tout à fait capable et c’est une activité que j’apprécie.
Ces derniers mois, vous avez obtenu d’excellents résultats. D’où vient votre réussite ?
De bons chevaux ! Compter sur des montures de qualité, avoir les bonnes opportunités et être en confiance sont des choses qui nous rendent meilleurs. J’ai amené avec moi mes deux meilleurs chevaux. Gakhir (KWPN, Spartacus TN x Indorado) a été mon cheval de 5* tout au long de l’année dernière. Il est mon meilleur atout pour les Mondiaux et pourquoi pas pour Paris (où se joueront les Jeux olympiques, en 2024, ndlr). Mon deuxième cheval, Nanini (van d’Abelendreef, BWP, Kannan x Heartbreaker), est âgé de neuf ans. Nous l’avons acquise lors de son année de huit ans et elle est vraiment ma reine. Je l’adore, j’aime tout chez elle. Choisir seulement deux montures pour m’accompagner ici a bien-sûr été difficile, mais ce sont mes deux meilleurs chevaux et les plus compétitifs en ce moment.
De janvier à mars, vous étiez la meilleure cavalière du classement mondial Longines. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
On ne réalise l’ampleur que représente le fait d’être la première femme du classement mondial avant que cela ne devienne réalité. Comme cela n’est pas fréquent, voire jamais arrivé auparavant pour une Canadienne, j’ai eu beaucoup d’articles de presse sympathiques à ce sujet et cela a suscité pas mal d’intérêt. Ce n’est pas un événement majeur à chaque nouveau mois, mais, étant basée en Amérique du Nord et originaire du Canada, cela a marqué les gens. Ils en ont parlé et ont remarqué ce classement. Peut-être que je ne le serais plus jamais, ou pas fréquemment, mais une fois dans ma vie, j’aurais été la meilleure femme cavalière du monde et c’est plutôt cool !
Est-ce difficile d’être une femme dans ce sport ?
Oui, pour plein de raisons. Nous sommes des hommes et femmes comparables, qui concourons les uns contre les autres chaque jour, dans chaque épreuve, mais je pense que cela est plus difficile physiquement pour nous. Nous n’avons peut-être pas autant de force que les hommes. Être plus petite peut parfois avoir un avantage dans la gestion de l’équilibre, la force et le fait de contrôler ces animaux imposants face à d’immenses obstacles. Dans d’autres circonstances, être petite peut aussi être un désavantage. Globalement, je crois que les hommes ont une longueur d’avance lorsqu’il s’agit d’aider un cheval à couvrir les obstacles les plus conséquents. On voit beaucoup d’athlètes féminines gagner énormément à un certain niveau, puis, arrivées à l’échelon supérieur, cela semble juste plus difficile. Je ne crois pas [que cela soit lié à une envie de devenir mère]. En tout cas, ce n’est certainement pas mon cas et pas un facteur important pour moi. Peut-être que ça l’est pour d’autres personnes, mais je n’ai jamais dévié de cette vie.
“Nous entrons dans une nouvelle ère avec Éric et je m’attends à de grandes choses”
Comment avez-vous accueilli l’arrivée d'Éric Lamaze à la tête de l’équipe canadienne de saut d’obstacles et quelle a été son influence jusqu’ici sur votre collectif ?
Nous entrons dans une nouvelle ère avec Éric dans le rôle de notre nouveau leader. Il est sans aucun doute très attaché à l’esprit d’équipe. Nous avons six cavaliers ici, à La Baule. Nous nous battons tous pour être meilleurs et nous soutenons les uns les autres. Nous organisons souvent des dîners d’équipe et passons beaucoup de temps ensemble. Nous avons beaucoup de cavalières dans notre équipe et je m’attends à de grandes choses pour l’avenir. Pour l’instant, je n’ai pas beaucoup côtoyé Éric. Il m’a prodigué ses conseils aujourd’hui lors d’un entraînement (entretien réalisé vendredi 6 mai, ndlr). Je crois qu’il va être très présent. Il connaît bien les chevaux que nous montons. Il est motivé pour faire progresser chaque cheval et chaque cavalier. C’est un vrai plus. Il sait comment aborder les championnats et comment gagner des médailles ; il sait monter des chevaux faciles, comme des plus délicats. Il a toute l’expérience du monde et il a la volonté de nous offrir ses connaissances. Éric est incroyable. Il a passé beaucoup de temps en Europe. Ian Millar est un cavalier canadien très connu (grâce notamment à dix participations aux Jeux olympiques, ndlr), mais je crois que la réussite d’Éric a propulsé notre nation à un autre niveau.
Les circuits et concours 5* se multiplient à vitesse grand V. Comment, en tant que cavalier, peut-on réussir à suivre ce rythme infernal ?
Il y a tant de compétitions ! Il faut avoir énormément de chevaux. Nous avons participé au Global de Miami et c’était vraiment sympa. Tout le monde devrait aller à Miami au moins une fois et monter sur la plage. Le concours est vraiment comme sur les photos. Il y a la piste, les gens en bikinis et l’océan. On se dit ‘c’est la vraie vie, ce n’est pas photoshopé, c’est vraiment en train de se passer !’ Mexico fait également partie des concours à faire une fois. C’est incroyable. Désormais, nous avons le Global Champions Tour en Europe (le circuit propose également des étapes aux quatre coins de la planète, ndlr), la Major League au Canada (ainsi que sur le continent américain et au Mexique, ndlr), les étapes Coupe du monde, les Coupes des nations, les championnats… Soit il faut avoir un grand nombre de chevaux, soit il faut prendre une décision personnelle sur ce qui est le plus important pour soi ; personne ne peut tout faire.
Le public peut-il encore comprendre les multiples formats, souvent propres à un circuit en particulier ?
Je ne comprenais pas et n’avais aucune connaissance sur le fonctionnement d’un Global avant de prendre part à une étape. Quand on suit l’épreuve à la télé, on n’a pas la même compréhension du concours. Maintenant que j’ai été à Miami, que j’ai suivi une compétition, je comprends davantage le fonctionnement. Une fois que l’on comprend, on a l’impression que c’est facile pour tout le monde d’en faire de même. Si le public est cultivé sur le sport et qu’il sait ce qu’il regarde, il va comprendre. Avec le Global, les épreuves sont aussi individuelles et le gagnant reste le gagnant. Les équipes sont indépendantes (les épreuves de la Global Champions League réunissent deux cavaliers et se déroulent en deux manches, lesquelles sacrent à chaque fois un vainqueur individuel, ndlr). Il suffit d’assimiler le fait que les deux choses se passent en même temps. Ensuite, tout le monde comprend le format des Coupes des nations et des Grands Prix. Finalement, il suffit de se renseigner sur ce que l’on regarde.
Avez-vous des idoles dans le sport ?
Laura Kraut, pour sûr. Nous avons monté le même poney. Elle l’a entraîné lorsqu’il avait trois ans et j’ai pris la suite. McLain Ward aussi l’a monté ! Je connais donc Laura depuis longtemps, en raison de notre lien avec Smarty. C’est une femme, elle a de l’influence et vient d’Amérique du Nord. Elle est une vraie cavalière d’équipe et est très constante dans ses résultats. Elle est ma numéro un.
En dehors des chevaux, avez-vous le temps de vous adonner à d’autres activités ?
Non ! Les chevaux prennent tout mon temps. Le week-end prochain, je ne participe à aucune compétition. Mais je vais aller voir un concours en Europe. C’est comme ça. C'est ce que j’aime faire : j’aime regarder des chevaux sauter.
Crédit photo : © Mélina Massias. Photo à la Une : Erynn Ballard en sortie de piste avec Gahkir.