Président du Stud-book Selle Français de 2007 à 2012, puis de la Société hippique française (SHF) à partir de fin 2012, Yves Chauvin s’est retiré de la vie publique début 2021 pour “raisons personnelles” et d’une “année très difficile à gérer pour la SHF en raison de la pandémie”. Homme de valeurs et de convictions, reconnaissable à sa chevelure blanche, à sa voix et à son franc-parler, apte à rassembler autant qu’à cliver, Yves Chauvin reste une figure de l’élevage de chevaux de sport. Cet été, l’éleveur de Cacao, Jazz Band, Ominérale, Ricoré, Rialto, Uruguay et Baschung, parmi tant d’autres chevaux nés sous l’affixe Courcelle, a ouvert à Studforlife.com les portes dans sa demeure bressanne, sous les fenêtres de laquelle s’ébrouent ses poulains de l’année. Un entretien à lire en trois parties. Voici la deuxième.
Le premier volet de cette rencontre est à (re)lire ici.
Quand avez-vous commencé à élever ?
Cela remonte à loin (rires) ; j’ai commencé alors que j’étais encore étudiant dans le Jura, sous l’affixe la Doye, tirée du nom de la commune où je résidais à l’époque. Par la suite, je me suis installé ici à Bruailles, en Saône-et-Loire. Ma première vraie génération d’élevage date de 1988, une année des A, même si je mûrissais ce projet depuis bien longtemps. J’ai alors eu la chance de faire naitre assez vite Cacao Courcelle (SF, Jalisco B x Mersebourg). Pour l’anecdote, à l’époque, le tirage au sort des étalons diffusés par les Haras Nationaux avait lieu en décembre, lors du salon du cheval de Paris. Grand Veneur (SF, Amour du Bois x Le Mioche PS) avait eu plus de deux cents demandes alors que Jalisco B (SF, Almé x Furioso PS) avait tout juste été tiré au sort, les Haras Nationaux ayant un quota restreint de cartes de saillies disponibles. Au départ, j’avais des idées, mais pas beaucoup de moyens ; puis mes affaires se sont développées, ce qui m’a permis de mettre en œuvre mes idées. Ces années passées sans trop de moyens financiers m’ont obligé à bien étudier les souches maternelles et à arpenter les concours de poulinières de la Manche pendant mes vacances. L’élevage est une école de patience. La nature nous imposant un tempo qui nous oblige à freiner nos ardeurs.
Outre Ici et Là Courcelle, y a-t-il un autre produit sur lequel vous fondez de nouveaux espoirs ?
Oui, j’ai toujours Gousstavv Courcelle (SF, Vagabond de la Pomme x Apache d’Adriers), qui avait été champion de France des mâles Selle Français de deux ans. Depuis, il a malheureusement enchaîné les pépins de santé. À trois ans, il a attrapé la leptospirose, ce qui lui a valu une convalescence de près de deux ans. Puis, il a dû être opéré d’une hernie inguinale. Heureusement, il n’a pas été nécessaire de le castrer, mais il n’a pas pu préparer sa carrière sportive comme je le souhaitais. Il reprendra la compétition en 2024. Je dois dire que je crois beaucoup en lui.
“Je reconnais bien volontiers que le métier de cavalier de jeunes chevaux est très difficile”
Avec quels cavaliers collaborez-vous pour la formation de vos chevaux ?
Dans un premier temps, j’ai loué des installations et j’ai salarié des cavaliers pendant plusieurs années. Dorénavant, je confie mes jeunes chevaux de cinq, six et sept ans à des cavaliers professionnels. Le métier de cavalier formateur de jeunes chevaux est très difficile car il demande beaucoup de travail et de connaissances. De plus, l’objectif premier est de commercialiser les chevaux formés, ce qui réduit inévitablement les perspectives de concourir à plus haut niveau avec ces chevaux. Il est parfois difficile pour un éleveur de conserver certains chevaux que ces cavaliers ont formé, afin de concourir sur de belles épreuves. Les compétitions équestres ont énormément changé, ne serait-ce que ces cinq ou six dernières années. Les moyens financiers demandés pour concourir fréquemment à haut niveau sont devenus conséquents et seuls quelques propriétaires passionnés peuvent les assumer. D’un autre côté, ce sont ces chevaux qui représentent un espoir de plus-value intéressante. Il faut donc essayer de faire au mieux. Quand vous avez la chance de faire naitre un poulain qui semble avoir beaucoup de qualités, il est préférable de trouver un accord avec un cavalier de haut niveau, comme j’ai pu le faire avec Pénélope Leprévost concernant Baschung Courcelle (SF, Lamm de Fétan x Jazz Band Courcelle, évoluant depuis sous la selle de Mathieu Billot, ndlr).
Aujourd’hui, j’ai envie d’avoir mes jeunes chevaux au plus près de chez moi et de pouvoir profiter de les voir travailler et progresser. C’est un vrai plaisir pour moi. Il faut dire que j’ai la chance d’être dans une région pourvoyeuse en cavaliers talentueux avec lesquels j’ai collaboré, comme Francois-Éric Fédry, Nathalie Mack, Pierre-Alain Mortier, Paul Delforge, Jimmy Moriame... Je suis toujours très proche de Pierre Baldeck avec lequel j’entretiens de solides liens d’amitié et j’échange fréquemment avec Frédéric Delforge, car nos points de vue sur l’élevage et de la valorisation des jeunes chevaux sont très proches. Ces liens personnels sont essentiels à mes yeux pour garantir deux maîtres-mots que sont la confiance et l’honnêteté. Savoir écouter de grands professionnels enrichit votre réflexion et vous permet d’évoluer.
D’un point de vue professionnel, vous avez mis le pied à l’étrier de bon nombre de jeunes gens. À quel point est-ce important à vos yeux ?
Quand on peut donner un coup de pouce à de jeunes gens motivés avec la tête bien faite, il faut le faire. Ces jeunes, ayant souvent des points de vue différents des vôtres, vous enrichissent. Julien Blot, par exemple, est un jeune homme que j’apprécie. Je suis admiratif de ce qu’il a entrepris avec son épouse, Marine Barlet. Ils ont investi dans leur centre d’insémination et créé leur élevage : le haras Numénor. Je suis toujours propriétaire de Bourgeoise Courcelle (SF, Lamm de Fétan x Fakir de Kreisker), mais leur laisse gérer sa carrière de reproductrice. Autre exemple, lorsque je suis devenu président de l’Association Nationale du Selle Français, j’ai fait appel à Brice Elvezi, qui dirige aujourd’hui le Groupe France Élevage. Je me félicite de sa réussite professionnelle. Ainsi, la vie est faite de rencontres et d’opportunités qu’on saisit, ou non.
“J’ai assisté à regret à la suppression des Journées Selle Français”
Quelles mutations percevez-vous concernant le monde de l’élevage ?
Tout d’abord, il y a une évolution globale du marché qui oblige à réfléchir autrement. Élever des chevaux de sport, c’est d’abord de la génétique, avec tous les aléas que cela comporte. Il est nécessaire de faire évoluer son œil d’éleveur en pressentant les évolutions futures et se donner un maximum de chances pour tenter de faire les meilleurs croisements possibles. Pour cela, il faut avoir testé sa jumenterie, être drastique en matière de sélection et ne garder que les meilleurs, y compris au sein des souches maternelles performantes. La compétition actuelle exige des chevaux avec plus de sang, de respect, de souplesse, sans pour autant oublier la force et le mental. Cette dernière qualité est même essentielle. On peut penser qu’un jeune cheval présente les qualités nécessaires pour le haut niveau, mais on ne peut juger de sa réelle capacité à franchir mentalement ce cap qu’au moment où il y est confronté. Pour cela, de nombreuses années de travail et de patience sont nécessaires afin de savoir si un de vos poulains va confirmer les espoirs placés en lui. Il faudrait être sacrément visionnaire et chanceux pour pouvoir prédire que le produit de tel ou tel croisement compilera toutes les qualités attendues afin de devenir un excellent cheval de sport. Ne dit-on pas qu’il n’y a “rien de mieux qu’un cheval pour vous faire mentir” ? Bref, en matière d’élevage, 1 + 1 ne fait pas souvent 2. Il est donc important de rester humble et très réservé sur l’avenir de chaque cheval.
L’apparition de nouvelles techniques de reproduction a aussi révolutionné le monde de l’élevage et la médiatisation des épreuves sportives permet dorénavant de suivre les meilleurs chevaux sur tous les continents. Enfin, le monde rural a aussi beaucoup changé. On voit de plus en plus de cavaliers devenir également éleveurs ; leurs enfants prenant souvent le relais et perpétuant ainsi la valorisation de la production de leurs parents. À mon sens, ce sont eux les vrais professionnels de demain. Parallèlement, beaucoup de gens élèvent dorénavant des chevaux pour le plaisir, où vendre est une moindre nécessité pour eux en comparaison des professionnels vivant de la filière.
Continuez-vous à suivre l’actualité du Stud-book Selle Français ?
D’assez loin, je dois dire. Quand j’ai été élu à la présidence du Selle Français, il a fallu commencer par remettre l’association à flot financièrement, tout en lui donnant un nouvel élan. Pour cela, il a fallu trouver des ressources propres, apporter de nouveaux services et rassembler les éleveurs au sein d’une communauté active. Les services qui existent aujourd’hui sont la continuité du travail réalisé à l’époque. Trouver des ressources propres, venant principalement de l’inscription des poulains au stud-book, mettre en place le guide des étalons, concevoir le site d’engagement actuel, sont des actions qui ont demandé du temps. J’ai toutefois assisté à regret à la suppression des “Journées Selle Français” (JSF ; organisé début octobre, cet événement regroupait les championnats de France des mâles de deux et trois ans, et des foals, ndlr). Concentrer sur quatre jours, cet événement était un point de ralliement pour les éleveurs et attirait également une clientèle étrangère, en préambule du salon des étalons de février. De nos jours, j’ai le sentiment que les éleveurs de Selle Français semblent avoir perdu de leur motivation à participer aux événements d’élevage, qui m’apparait dommageable pour l’ensemble de la filière.
“Multiplier le nombre de produits issus de quelques souches maternelles recherchées pourrait amener à un éloignement de la diversité génétique ”
Ayant été et étant vous-même propriétaire d’étalons, quel regard portez-vous sur l’étalonnage ?
En préambule, je me félicite que le Selle Français ait trouvé un accord avec les étalonniers afin que ceux-ci reversent une contribution financière au Stud-book comme c’est le cas dans de nombreux pays étranger. Cependant, je trouve que l’influence des étalonniers n’a fait que progresser au sein du stud-book Selle Français. Après, la médiatisation des compétitions équestres relayée par les sites de vidéos en ligne comme ClipMyHorse.tv, GRANDPRIX.tv, l’Éperon ou SHF Vidéo, a permis à chaque éleveur passionné de découvrir et de suivre les performances d’étalons mis sur le devant de la scène. On peut parler d’effet de mode pour certains d’entre eux, mais cet effet de mode a toujours plus ou moins existé. L’utilisation de semence congelée a concentré la demande des éleveurs sur un nombre plus réduit d’étalons. Ainsi ces étalons peuvent tout à fait honorer plus de cinq cents juments dans toute l’Europe, sur une saison de reproduction. À ce titre, multiplier le nombre de produits issus de quelques souches maternelles recherchées pourrait amener à un éloignement de la diversité génétique. Dès qu’un étalon charismatique gagne à haut niveau, il saillit deux à trois cents juments, voire plus, les années suivantes. En parallèle, il peut y avoir de très bons mâles compétitifs en CSI 2* ou 3*, mais qui ne connaissent pas le même engouement. C’est dommage à mon sens… Il me semble important de rappeler ainsi que la transmission de la qualité intrinsèque d’un étalon vient souvent de son aptitude naturelle.
Photo à la Une : Yves Chauvin au milieu de son élevage. © Thomas Danet Tribut / @un_hibou_dans_le_lune
La troisième et dernière partie de cet entretien sera publiée la semaine prochaine sur Studforlife.com...