En décembre dernier, Genève révélait aux yeux du grand public le fabuleux Picobello van’t Roosakker et son cavalier, Jason Smith. Né en Ecosse, où il a grandi jusqu’à ses seize ans, le jeune père de famille de trente-quatre ans a quitté son pays à seize ans, pour rejoindre l’Allemagne, puis la Suisse, dont il porte fièrement les couleurs depuis la fin du printemps 2023. En l’espace de six mois, le sympathique pilote a vu sa carrière prendre un nouveau tournant, permis, en grande partie, par son étalon de dix ans. Décrit par Daniel Etter, son ancien propriétaire, comme le cheval de sa vie, le gris a d’abord brillé sous sa selle, puis sous celle de Steve Guerdat, avant d’éclore avec Jason Smith. En juin, les deux complices ont sauté dans le grand bain, d’abord à Saint-Gall, en bouclant leur premier Grand Prix 5* - à l’un comme à l’autre - avec deux fautes, puis à La Baule, avec deux parcours sanctionnés d’une faute dans ce qui était, là aussi, leur toute première Coupe des nations de ce niveau. En Loire-Atlantique, le duo n’a pas pris part au Grand Prix Rolex, ni même cherché à se qualifier pour. Preuve s’il en est de la vision à long terme du natif de Glasgow, et de sa patience à toute épreuve avec son cher Picobello. Perle de l’élevage de Marc Kluskens, le gris aurait pourtant eu toutes les capacités et les qualités pour aller encore plus vite, plus haut, mais là n’est pas l’objectif. Son premier grand rendez-vous pourrait bien avoir lieu à Aix-la-Chapelle, lors des Mondiaux de 2026. Ce cadre historique serait un lieu plus qu’à propos pour achever l’éclosion et l’explosion de ces deux talents encore dans l’ombre de leurs pairs. En attendant, Jason Smith revient avec sincérité et simplicité sur ces derniers mois complètement fous, sur ses expériences aux CSIO 5* de Saint Gall et La Baule, ses débuts au plus haut niveau avec ses camarades helvètes, l’évolution de son “arme secrète” One and Only EDA, mais aussi ses objectifs et ambitions.
En décembre dernier, Genève marquait votre première apparition au niveau 5* avec l’exceptionnel Picobello van’t Roosakker (Kassander van’t Roosakker x Canabis). Six mois plus tard, vous voilà au départ de votre première Coupe des nations CSIO 5*, à La Baule. Quel chemin parcouru !
Oui, c’est une aventure formidable ! Genève était notre tout premier 5*, à Picobello comme à moi. Depuis, nous avons concouru à ce niveau à Bâle, puis à Saint-Gall. La Baule est notre quatrième CSI 5*. L’évolution et les progrès de Picobello sont remarquables : rien ne le perturbe. Il s’améliore à chaque concours. Il adore aller en piste, et encore plus dans des événements comme celui de La Baule, avec ce public et cette ambiance. Il est fait pour cela. C’était ma première fois à La Baule, et j’espère que ce ne sera pas la dernière ! Ce concours est fantastique, l’un des meilleurs que je n’ai jamais connu.
À chaque saut, Picobello van't Roosakker semble arrêter le temps. © Mélina Massias
À La Baule, chaque année les supporters suisses donnent de la voix pour leurs représentants. Les entendez-vous lorsque vous êtes à cheval ?
Oui, je les entends. Mais par chance, seulement avant que je commence à sauter. Dès que le parcours commence, je n’entends plus rien. Lorsqu’on sort du paddock et que l’on entre en piste, la ferveur du public nous frappe en pleine tête. J’en ai eu des frissons !
Comment avez-vous appris votre sélection pour La Baule, qui est intervenue quelque peu au dernier moment ?
Nous sommes toujours en discussion autour de Picobello, afin de savoir où il en est dans sa progression, s’il est prêt à franchir un nouveau cap, à faire ses débuts en Coupes des nations de niveau 5*, etc. La semaine précédant le CSIO de La Baule, nous avons participé à celui de Saint-Gall. Il a aussi sauté de façon fantastique là-bas, nous avons déroulé de super parcours et obtenu de bons résultats. Notre chef d’équipe, Peter van der Waaij, est venu me voir et m’a demandé si je voulais venir à La Baule. Il m’a dit que ce serait une bonne expérience, dans la continuité de Saint-Gall, qui nous permettrait d'engranger de l’expérience. Avoir l’opportunité de prendre part à un tel concours et faire partie de l’équipe suisse est un rêve qui s’est réalisé ! Être ici, à La Baule, pour ma première Coupe des nations 5* m’a procuré un sentiment formidable.
Jason Smith avait le sourire à La Baule, théâtre de sa première Coupe des nations 5*. © Mélina Massias
“Lorsqu’on pense que les choses commencent à être difficile, Picobello nous montre qu’elles ne le sont pas !”
Début juin, à Saint-Gall, Picobello van’t Roosakker et vous avez pris part à votre premier parcours à 1,60m au niveau 5*. Comment vous êtes-vous senti ?
Je dois dire que j’étais un peu nerveux. Picobello a assurément mieux gérer la situation que moi ! Pour lui, c’était la routine. Il adore relever de nouveaux défis. Nous sommes entrés en piste, et c’était la première fois que nous affrontions un tel Grand Prix. Picobello a été exceptionnel. J’ai commis une erreur d’équitation, qui nous a éloigné du barrage, mais la façon dont il s’est comporté à ce niveau a simplement prouvé tout son talent. Ce niveau est celui auquel il veut être. Lorsqu’on pense que les choses commencent à être difficile, Picobello nous montre qu’elles ne le sont pas ! En effectuant la reconnaissance de la Coupe des nations de La Baule, je me suis dit que c’était un parcours vraiment difficile pour une première à ce niveau. Mais Picobello est entré en piste, a gardé la tête haute et a pris plaisir sur le parcours. Il veut toujours faire du bon travail. La façon dont il se comporte est incroyable.
J’étais à nouveau un peu tendu pour la première manche de la Coupe des nations ici, et j’aurais pu être plus calme dans mon équitation. La faute dont nous avons écopé au deuxième tour était, elle, très malchanceuse. Mais pour une première à ce niveau, c’était extraordinaire. Picobello me donne une confiance folle ! Il grandit lorsqu’il entre en piste et adore cela. Parfois, il a plus de sang qu’on ne pourrait le penser et peut chauffer un peu tant il a envie de sauter. Pourtant, cela ne se voit pas de l’extérieur. Mais cela s’est considérablement amélioré. Nous sommes, l’un comme l’autre, de plus en plus calmes. Picobello montre son vrai potentiel. Il apprend à chaque parcours. Après la première manche de la Coupe des nations, je savais que je devais améliorer certaines choses. En revenant en piste, j’avais l’impression qu’il y avait trois trous de moins sur chaque obstacle ! C’est comme si on avait fait ce parcours cent fois entre les deux manches. Je n’ai pas à m’inquiéter de quoi que ce soit. Je n’ai jamais eu un cheval comme lui. Il est formidable.
Avec une faute dans chacune des deux manches de la Coupe des nations de La Baule, Jason Smith et Picobello van't Roosakker ont largement tenu leur rang pour leurs grands débuts à ce niveau. © Mélina Massias
Votre couple semble aussi être en totale osmose…
Nous commençons à vraiment bien nous connaître l’un et l’autre. Nous avons une bonne relation et j’ai le sentiment que Picobello est à l’aise avec moi tout au long des parcours. Il est parfois un peu joyeux, mais on peut se faire confiance et affronter ces épreuves majeures sans craindre qu’elles arrivent trop tôt dans notre carrière, ou qu’elles soient trop difficiles. Après la Coupe des nations de La Baule, j’ai la sensation de pouvoir tout sauter avec Picobello. Pour lui, tout est naturel. Je n’ai jamais connu un cheval qui réussit à progresser sans avoir à travailler pour. Notre objectif principal est de lui donner de l’expérience, qu’il s’endurcisse. Mais il connaît son travail et n’a pas besoin d’apprendre à sauter. Il se donne à cent pour cent à chaque parcours.
“En temps normal, je regarde les Coupes des nations CSIO 5* à la télé !”
Comment vous sentez-vous au sein de l’équipe suisse de saut d’obstacles ?
Formidablement bien ! L’équipe suisse est composée d’un super groupe de personnes. Avec notre chef d’équipe, les entraîneurs et les cavaliers, nous formons une petite équipe ; tout le monde se connaît très bien. Nous nous soutenons les uns les autres, et cela vaut aussi pour les petits nouveaux comme moi, qui signent leur première apparition dans cette équipe. Je me suis senti très bien accueilli. Tous mes collègues m’ont donné beaucoup de motivation et m’ont permis d’évacuer la pression, ce qui est génial ! Ils m’ont tous aidé à me concentrer et à faire ma part du travail.
Ecossais d'origine, mais Suisse de cœur et époux de Julia, une représentante Helvète, Jason Smith porte parfaitement la veste rouge de son équipe nationale. © Mélina Massias
Quels sentiments éprouve-t-on lorsqu’on monte aux côtés de cavaliers aussi capés que Steve Guerdat ou Martin Fuchs, par exemple ?
C’est un rêve ! On travaille toute sa vie pour vivre des moments comme ceux-là. En temps normal, je regarde ces épreuves à la télé ! Maintenant, je suis ici, je monte aux côtés de ces cavaliers qui ont parcouru le monde entier et tout gagné : faire partie de cette équipe est extraordinaire.
Vous ne nourrissez donc aucun regret quant au fait de porter les couleurs suisses ?
Non, absolument pas ! La Suisse est ma maison. Je vis ici depuis si longtemps ; c’est vraiment le pays que j’ai envie de représenter.
Comment sont vos relations avec votre chef d’équipe ?
Super ! Peter van der Waaij est un chef d’équipe génial. Il est très proche des cavaliers et ouvert à la discussion. Je dirai que nous avons avant tout une relation amicale, ce qui est très appréciable. On peut parler ouvertement de nos ressentis avec nos chevaux, de nos résultats, des concours que l’on envisage de faire, etc. Nous avons une très bonne communication et je trouve très agréable d’avoir une personne avec qui échanger librement.
“J’ai la chance de pouvoir dire aujourd’hui que je monte l’un des meilleurs chevaux du monde”
Quel rôle a joué Daniel Etter dans votre avènement sur le devant de la scène ?
Son influence a été énorme ! Sans Daniel, tout cela n’aurait jamais été possible. Il est toujours à mes côtés, m’aide avec les concours, l’entraînement, Picobello, etc. C’est un rouage essentiel de mon équipe. Malheureusement, il n’a pas pu être présent à La Baule. D’habitude, il m’aide à pied, ce qui me permet, encore une fois, de me décharger d’une grande dose de pression. Il a l’expérience de ces grands événements, dans lesquels il a lui-même concouru. Il connaît très bien Picobello, ce qui nous permet d’établir le meilleur plan possible pour aborder les lignes les plus compliquées d’un parcours, ou les difficultés techniques. Cela me permet de me concentrer sur mon plan et mon équitation. Avoir un regard avisé à pied, auquel on peut faire confiance, est nécessaire, d’autant plus pour un cavalier et un cheval inexpérimentés à ce niveau. Cela permet de savoir quand pousser pour franchir le cap suivant ou quand, au contraire, prendre son temps. J’ai la chance de pouvoir dire aujourd’hui que je monte l’un des meilleurs chevaux du monde. Mais nous devons être vigilants dans sa progression et rester patients. Picobello fait tout avec facilité, nous devons donc redoubler d’attention et ne pas trop lui en demander. Il n’a que dix ans et n’a pas beaucoup de métier. Il fait presque tout grâce à son talent naturel, ce qui est incroyable. Je pense que nous avons une bonne équipe derrière nous, une bonne gestion et que nous sommes sur la bonne voie.
Garder les pieds sur terre et prendre son temps doit pratiquement être ce qu’il y a de plus difficile avec un tel cheval, n’est-ce pas ?
Complètement, car j’adorerai sauter tous les week-ends avec Picobello ! (rires)
La progression du brillant Picobello van't Roosakker se fait patiemment et avec sagesse. © Mélina Massias
Il y a dix ans de cela, vous attendiez-vous à vivre de telles expériences ?
Non. Tout cavalier rêve d’atteindre le niveau 5*. Il y a dix ans, je faisais mon travail, concourait ci et là et tout allait bien. On espère toujours pouvoir franchir le cap du très haut niveau à un moment donné, trouver un cheval qui puisse nous permettre d’accéder aux plus belles épreuves, ou de merveilleux propriétaires comme ceux que j’ai aujourd’hui et qui me soutiennent totalement. Sans eux, je n’aurais eu aucune chance de faire tout cela. Mais je n’aurais jamais pu rêver d’avoir l’équipe qui m’entoure aujourd’hui, et un cheval comme Picobello. Si les choses continuent d’aller dans le bon sens, il n’y a pas un concours que Picobello ne pourra pas sauter.
Quid du jeune One and Only EDA (Ogano Sitte x Cherubin van de Helle), huit ans, qui vous accompagnait également à La Baule ?
J’aime à dire que One and Only est mon arme secrète. Je l’ai gardé dans l’ombre jusqu’à présent et il n’a pas beaucoup concouru. Il appartient aux mêmes propriétaires que Picobello, et nous l’avons aussi acheté à Daniel ! Ils sont arrivés à la même période, ce qui est assez marrant. One and Only a toujours été très respectueux, mais il a peu d’expérience. J’ai vraiment pris mon temps avec lui, progressé lentement dans les hauteurs afin de ne pas lui faire peur. Ces dernières semaines ont été une grande marche à franchir pour lui. Il a sauté à Saint-Gall dans les épreuves jeunes chevaux et vécu son premier concours majeur à cette occasion. Il avait tellement progressé, qu’il était prêt à affronter ce genre d'atmosphère. Mais les parcours jeunes chevaux et ceux de niveau 5* sont incomparables. En apprenant ma sélection pour La Baule avec Picobello, je me suis dit qu’il n’y avait pas meilleure opportunité que de sauter sur une telle piste pour que One and Only prenne de l’expérience. J’ai participé à la warm up du premier jour avec lui, afin de lui montrer la piste. Il était tellement bien que je l’ai engagé directement dans l’épreuve à 1,50m. Il n’était certainement pas tout à fait prêt pour sauter cette hauteur, mais nous voulions voir comment il allait se comporter. Et il a répondu à toutes nos attentes ! Nous avons commis quelques fautes (trois, ndlr), mais il n’avait jamais vu un tel parcours avant. Ensuite, il a signé deux sans-faute dans les épreuves à 1,45m, en sautant à chaque fois de manière formidable. Il prouve qu’il peut vraiment évoluer dans ce sport. D’ici la fin d’année, ou en 2026 au plus tard, il sera un atout précieux dans mon piquet.
One and Only EDA a accumulé une expérience extrêmement précieuse à La Baule, début juin. © Mélina Massias
Pouvez-vous compter sur d’autres chevaux pour suppléer Picobello au plus haut niveau ?
J’ai quelques autres chevaux, plus jeunes, qui font leurs armes. Pour l’instant, aucun d’eux ne peut concourir directement à ce niveau, dans les épreuves majeures. Je continue de façonner mon piquet. J’espère avoir, d’ici à l’année prochaine, de nouvelles options pour aider Picobello lorsque nous commencerons à prendre part à davantage de concours à très haut niveau. De cette façon, la pression ne reposerait pas seulement sur lui et il n’aurait pas besoin de tout sauter.
“Juste parce que Picobello en est capable ne signifie pas que nous devons aller aux championnats d’Europe”
Quels sont vos objectifs pour les mois à venir, notamment pour Picobello ?
J’espère que nous pourrons engranger de l’expérience au niveau 5*. J’adorerais sauter quelques Coupes des nations de plus. Je pense que ce serait bénéfique pour nous deux. Nous avons besoin de faire des parcours. Bien sûr, pour cela je dois établir un bon plan avec notre chef d’équipe et notre entraîneur national. Mon objectif pour cette année est de nous établir de façon stable et durable au niveau 5*, puis envisager la saison 2026. Je pense que nous pourrons vraiment être compétitifs au plus haut niveau à partir de l’an prochain. Mon rêve serait évidemment de participer aux championnats du monde d’Aix-la-Chapelle en 2026. Quand je vois la façon dont Picobello saute actuellement, je suis certain qu’il pourra participer à cette échéance. Nous devons simplement voir dans quel état de forme il se trouve et comment se déroule notre plan.
"Mon rêve serait évidemment de participer aux championnats du monde d'Aix-la-Chapelle en 2026", assure Jason Smith, dont le partenaire a déjà foulé l'emblématique piste en herbe allemande. © Mélina Massias
Songez-vous aux championnats d’Europe de La Corogne, qui auront lieu le mois prochain ?
Oui et non. Les championnats d’Europe sont dans un coin de notre tête, mais, comme je l’ai déjà dit, Picobello est jeune et n’a pas participé à beaucoup de compétitions. La Baule était sa première Coupe des nations 5* ! Il pourrait assurément sauter les championnats d’Europe, je n’ai aucun doute à ce sujet. Mais je suis encore indécis. Il est peut-être préférable de faire un pas en arrière et d’attendre d’être plus régulier à ce niveau. C’est suffisamment difficile pour nous en ce moment. Juste parce que Picobello en est capable ne signifie pas que nous devons aller aux championnats d’Europe. Mais nous verrons ce qu’il en est. Je n’ai pas encore de réponse définitive à apporter à cette question (pour l’heure, le couple n’apparaît pas sur la longue liste publiée par la Fédération équestre internationale pour l’événement, et aurait besoin d’un troisième résultat qualificatif à 1,60m pour être éligible, ndlr). Picobello a le potentiel pour ces grands rendez-vous, mais il reste très jeune. Je pense que je ne retrouverai jamais un cheval comme lui. J’ai envie qu’il reste en bonne santé autant que possible et de lui donner les meilleures conditions pour éclore. Parfois, moins, c’est mieux.
Êtes-vous toujours assuré de pouvoir conserver Picobello sous votre selle ?
Assurément ! Le plan est qu’il reste avec nous et que voyions jusqu’où il peut aller. Mes sponsors sont fantastiques. Ils sont très fidèles et complètement amoureux de Picobello ! Alors, je ne vois pas pourquoi les choses changeraient.
Grâce à ses propriétaires, le Suisse de trente-quatre ans peut envisager sereinement l'avenir. © Dirk Caremans / Hippo Foto
Photo à la Une : À La Baule, Jason Smith et Picobello van't Roosakker ont bouclé leur première Coupe des nations CSIO 5* avec la mannière. © Mélina Massias