Genève, une histoire d'amitié, de passion et de jeunesse. C'est à découvrir dans ce quatrième volet de l'interview d'Alban Poudret.
Par rapport au concours de Genève, que pensez-vous avoir apporté à ce concours de par votre vision et votre passion ?
« Quatre ou cinq choses. L’amitié d’abord car certes, on travaille mais on travaille en équipe et en toute amitié. Par la suite, on va manger une pizza, on paie sa pizza et on va la manger ensemble après un comité ou une réunion et c’est un bonheur. Je pense que c’est un état d’esprit. Ensuite, je voulais que le concours respire la passion. Je trouvais que le concours de Genève était magnifique mais avec une ambiance un peu cul-pincé. Il y avait parfois une ambiance de cathédrale. L’idée, ça a été d’en faire une fête, que les jeunes osent crier leur joie, leur admiration pour les cavaliers et que tout le monde se sente à l’aise – aussi bien les éleveurs, les gens de la campagne que les citadins. Je voulais que ce soit avant tout une grande fête et pas une réunion chic. Au départ, on m’a reproché, et même des gens que j’estime, d’avoir mis une ambiance trop festive et excitée au concours mais je pense qu’on l’a fait car on voulait que la fibre s’exprime et finalement, ça nous a beaucoup apporté car ça nous a amené beaucoup de monde et si c’est un grand concours, c’est aussi parce qu’il y a un grand public. Ce n’était de nouveau pas un calcul au départ mais une volonté d’être vrai. Je voulais aussi que ce soit la fête du cheval et de tout le cheval, de toutes les disciplines. On a fait venir l’élevage puis des attractions plus diverses puis petit à petit, on a amené de nouvelles disciplines. Je voulais aussi que ce ne soit pas seulement le concours de Genève mais bien de toute la Suisse romande. Il fallait ouvrir toutes les portes aux cavaliers, aux jeunes et à ceux de la région. Qu’il y ait un mélange entre les grandes stars et les cavaliers d’ici. Qu’une fois dans l’année, des cavaliers du coin puissent se frotter à l’élite et parfois réaliser des exploits extraordinaires. Nous avons mis en place un système de wild-cards remises aux plus méritants. Nous avons toujours basé ce système sur des sélections, des épreuves… ce qui nous amène vers un autre sujet très important pour nous. Tout cet esprit de passion vraie était aussi lié au fait de n’avoir aucune pay-card. Pierre Genecand avait toujours été convaincu de cette ligne-là et pour nous, c’est un axiome de base qui est devenu de plus en plus fort. »
Arnaud Boetsch, Sophie Mottu-Morel et Alban Poudret
Vous proposait-on déjà à l’époque de l’argent pour monter ?
« Au début, c’étaient quatre ou cinq cavaliers qui nous demandaient d’être payés et trois ou quatre cavaliers qui nous proposaient de payer. À peu près les mêmes sommes d’ailleurs : 20 à 30 000 francs. On a refusé ça et on a des grands cavaliers, des champions qui n’ont pas aimé et qui ont tiqué devant notre attitude mais on leur a dit qu’un jour, ils seraient aussi contents de venir à Genève quand ils seraient moins bons et quand même invités pour leur fidélité à notre concours. Finalement, beaucoup plus tard, certains s’en sont rendu compte. Notre système a posé question à pas mal de monde car on était un peu les derniers des Mohicans, mais cela nous a beaucoup apporté et cela nous a vraiment lié avec les cavaliers. J’ose prendre un exemple : Eric Lamaze en 2008. On se connaissait très peu. Il y a l’ouragan après les Jeux de Hong Kong et on est dans le même hôtel avec quelques journalistes dont Kamel Boudra, les journalistes de L’éperon… et on passe deux soirées à fêter son titre olympique. On sympathise… et Eric me dit : « Je viendrais bien à Genève cette année mais il y a le problème des coûts pour le transport d’Hickstead. » Je lui dis : « Écoute, je vais voir mais normalement, on ne fait pas ça. Je reconnais qu’ici, tu dois transporter le cheval mais en principe, nous, on ne donne rien aux cavaliers, c’est une règle qu’on s’est fixée. On n’accepte pas d’argent des cavaliers mais on n’en donne pas non plus. Si tu viens, tu gagneras peut-être le Grand Prix mais normalement, on ne paie pas », et je lui explique tout notre concept. Je le revois peu de temps après et il me dit : « Pour Genève, on n’en a pas reparlé mais j’ai bien réfléchi : je viens et tu ne me donnes rien, je vais trouver l’argent autrement. J’ai compris votre philosophie. » ; il est venu et il a gagné le Grand Prix ! Ce sont de belles histoires qui font qu’après, on devient amis. Eric est ensuite venu chaque année. Quand Steve (NDLR : Guerdat) a gagné le Top 10 en 2010, Eric est allé le rechercher dans sa chambre d’hôtel pour qu’il vienne au bar du concours pour trinquer et fêter cette victoire avec Jalisca Solier parce qu’il savait que ça nous ferait plaisir. C’est 1 000 petites choses comme cela. On a beaucoup demandé aux cavaliers, dans nos épreuves spéciales comme le Masters où ils devaient tout à coup faire d’autres disciplines : du dressage, de l’attelage, se déguiser mais au final, plus tu donnes, plus tu reçois. On a décidé de refaire d’ailleurs cette année le Master qui n’a plus eu lieu depuis 2010 et le 50è anniversaire du concours. Ce concours est avant tout une belle histoire et il y a 1 000 belles histoires avec tant de cavaliers qui ont aussi fait preuve de générosité, de compréhension, de sportivité. En tant que journaliste, j’ai parfois pu douter parce qu’on vous raconte aussi beaucoup de choses alors qu’en tant qu’organisateur, on voit un autre côté du décor. Pas spécialement l’envers mais on apprend beaucoup de choses. On voit des choses peu reluisantes aussi : on a sorti des cavaliers manu militari des écuries… mais on voit aussi de très belles choses. »
A Genève, Sophie Mottu-Morel, l'ancien tennisman Arnaud Boetsch, Alban Poudret et Michel Sorg entourrés des photographes du concours sous l'oeil bienveillant de Corine Druey.
Finalement, on vous a donné votre chance très jeune, et vous avez donc voulu rendre la pareille plus tard en donnant leur chance à de nombreux jeunes comme Sophie Mottu Morel, Michel Sorg qui a travaillé avec vous au Cavalier Romand avant d’intégrer l’équipe du concours, Oriane Grandjean ou encore aujourd’hui Elisa Oltra ?
« Oui, bien sûr et ils ont aussi su provoquer leur chance, ils n’avaient pas besoin de moi ! De toute façon, le mélange entre jeunes et expérimentés est excellent. À Genève, je pense que c’est merveilleux qu’il y ait autant de différences d’âge, autant de femmes que d’hommes, autant de gens de la terre que de gens de la ville, de différents niveaux sociaux. Ce joyeux mélange-là fait aussi l’amitié, la convivialité et le fait qu’il n’y ait pas de rivalité. Cela crée une complémentarité. Cela donne de la confiance, chacun a ses atouts, ses qualités qui sont très différentes. Je pense que je l’ai peut-être appris au sein du concours et du coup, au sein du Cavalier Romand, c’est vrai qu’il a certainement eu un moment où on s’est dit que la relève n’était pas suffisante. On était un peu une équipe de la même génération et on s’est rendu compte, aussi à travers d’autres médias, d’autres revues, que c’était très important d’avoir des gens d’âges différents et de se remettre en question : d’échanger, de débattre, de ne pas être d’accord entre nous. C’était néanmoins déjà le cas quand on n’était pas du même âge, il y avait déjà des séances de rédaction mouvementées. Ça m’est apparu de plus en plus important. J’ai aussi eu l’occasion de travailler pour la fondation Little Dreams de Phil Collins, ce qui était un honneur pour le monde de l’équitation avec Rodrigo Pessoa, Steve Guerdat et Malin Baryard qui sont venus gratuitement comme professeurs pour aider des petits jeunes dont Oriane Grandjean, ce qui a encore fait un lien supplémentaire entre nous. Sophie Mottu, je la connaissais enfant, étant ami de son père mais tout d’un coup, elle s’est tellement vite affirmée qu’elle a très vite trouvé sa place aux côtés de Pierre Genecand et de moi-même. C’était presque naturel qu’à 28 ans, elle devienne directrice du concours. Ça a apporté énormément au concours que ce soit une femme, que ce soit une jeune, c’était formidable. Michel Sorg, c’est une rencontre incroyable. Il était speaker dans les concours et il est venu au Cavalier Romand à 18 ans car j’avais repéré sa voix et je le trouvais épatant puis un copain commun, Pascal Mathieu, l’a amené ici et on a tout de suite sympathisé.
Alban Poudret et son épouse Nathalie dans la "cave", juste à côté de l'entrée du Cavalier Romand, qui a déjà accueilli un concert dans ses installations.
Nous avons une sacrée connivence et sommes souvent du même avis malgré le nombre d’années qui nous séparent, plus d’un quart de siècle. C’est très complémentaire et enrichissant. Nous formons un sacré trio, Sophie, Michel et moi sommes très potes et très complémentaires à la fois. Je pense que la transmission est quelque chose de très important et, mon âge avançant, j’y pense de plus en plus. Pour le concours, c’est déjà bien dessiné et pour le Cavalier Romand, nous avons Elisa Oltra qui est formidable ; elle a 22 ans, est étudiante en lettres et a décidé de faire ses études sur une année supplémentaire pour pouvoir travailler à 50 % au Cavalier Romand. Elle m’aide énormément, elle fait volontiers l’édito ou le papier principal. Ce qui la branche peut-être moins pour l’instant, c’est le travail lié au boulot d’éditeur mais je compte sur Elisa et quelques autres jeunes parmi nos correspondants. Nous avons trois étudiantes en lettres qui sont motivées et je pense que c’est génial, cela nous encourage à nous battre pour que cela existe encore longtemps, même si on dit que les jeunes ne lisent plus. Nous, pour le moment, on ne constate pas trop de baisse dans nos ventes et on voit aussi des jeunes concernés. »
Le Cavalier Romand, c'est avant tout un esprit de famille.
La suite, demain !
Crédit photo : Julien Counet