Presque quatorze. C’est l’écart, en secondes, qui a séparé les chronomètres de Simon Delestre et Scott Brash dans le barrage du Grand Prix Rolex de Bois-le-Duc. Plus lent que son homologue écossais, le Lorrain a pourtant imposé son inclassable Cayman Jolly Jumper, de retour à son meilleur niveau après une saison 2024 écourtée et perturbée. Plus bondissant que jamais, le fils de Hickstead a conquis la plus belle victoire de sa carrière, devant Hello*Chadora Lady et Miss Blue Mystic Rose*Saint Blue Farm, deux excellentes filles de Chacco-Blue âgées de douze ans et montées par Scott Brash et Yuri Mansur, les deux seuls autres barragistes du jour.
Il y a deux ans de cela, Simon Delestre et Cayman Jolly Jumper, bien nommé fils d’Hickstead né chez Nathalie Chevalier, dans le Morbihan, signait le barrage le plus rapide du Grand Prix Rolex de Bois-le-Duc. Mais, en 2023, une barre, concédée sur le dernier, les reléguaient au neuvième rang final. Fort d’une expérience plus grande et plus riche, bien que ponctuée par plusieurs coups du sort et temps d’arrêt, le duo a, dimanche 16 mars, enregistré le chronomètre le plus lent de ce même rendez-vous, première étape du Rolex Grand Chelem de saut d’obstacles de l’année civile. Dans une finale au scénario pour le moins atypique, le Lorrain et son Selle Français de treize ans ont adopté une stratégie payante, qui leur a offert la victoire, malgré les prestations plus rapides de leurs deux concurrents directs du jour. En signant le seul double sans-faute du Grand Prix avec son hongre bai, le numéro douze mondial est devenu le premier français à s’offrir une épreuve du circuit phare de la maison Rolex. S’il veut faire aussi bien que Scott Brash, seul et unique cavalier à être parvenu à réaliser le Grand Chelem entre 2013 et 2014 avec l’inoubliable Hello*Sanctos van het Gravenhof, le Tricolore devra répéter sa performance dans quelques mois, sur la mythique piste en herbe d’Aix-la-Chapelle. D’ici là, le chemin est encore long, très long et l’heure sera d’abord à la célébration de ce premier succès.
“Cayman est sans aucun doute l’un de mes chevaux préférés. Je pense que je n’en ai jamais monté un avec autant d’énergie et de moyens que lui. Il est également très respectueux. Le plus difficile est de gérer son tempérament de feu. Il est très actif. Lorsqu’il y a des endroits qu’il n’apprécie pas particulièrement, il peut très vite se mettre en colère. J’essaye de le garder relâché et de le suivre : il sait faire le reste. C’est un sauteur incroyable. Il l’a prouvé aujourd’hui et méritait cette victoire”, s’est réjoui l’heureux lauréat.
Simon Delestre, le poing levé ! © Mélina Massias
Un tracé à la hauteur de l’enjeu
Dessiné par Louis Konickx et son équipe, le parcours du Grand Prix Rolex de Bois-le-Duc était à la hauteur du rendez-vous. Pas question de proposer une épreuve au rabais, d’autant plus compte tenu du plateau de couples en lice. En digne date de prestige qu’il est, le temps fort du Dutch Masters a mis en exergue les meilleurs du jour, ne laissant filer que trois paires au barrage. Onze ont achevé leur week-end néerlandais avec un peu de malchance et une faute, comme les vétérans Catch Me Not S et Rokfeller de Pléville*Bois Margot, dix-neuf et vingt ans, l’excellente et très régulière Bonne Amie, le vainqueur du Grand Prix Rolex de Genève, Monaco, les étalons Lucky Won van het Bevrydthof, alias Grand Slam VDL, Grandorado*TN et Ermitage Kalone, ou encore les vifs Toulayna van het Bloesemhof et Baloutinue, venus spécialement des Etats-Unis pour l’occasion. Si aucun d’entre eux n’a démérité, d’autres ont connu plus de difficultés et jeté l’éponge. Ce fut le cas pour Hay El Desta Ali, alias Leone Jei, Coolio 42, Beauville ou encore Iliana, attendus à un tout autre niveau cet après-midi avec Martin Fuchs, Marcus Ehning, Maikel van der Vleuten et Henrik von Eckermann. Plusieurs de ces montures, devraient d’ailleurs disputer la finale de la Coupe du monde Longines de Bâle, début avril…
Dimanche, Rokfeller de Pléville*Bois Margot est apparu en bonne forme du haut de ses vingt ans. © Mélina Massias
Après avoir hérité du dossard numéro 7 dans l’acte initial, Yuri Mansur et sa veste jaune soleil, juchés sur le dos de Miss Blue Mystic Rose*Saint Blue Farm, ont illuminé les tribunes - combles - du Brabanthallen en signant le premier clear round. Le cri du Brésilien, encore en plein planer sur l’ultime oxer, sortie du double numéro 14, a trahi sa joie et sa détermination inébranlable. Juste avant la pause, à mi-épreuve, Scott Brash et sa bouillonnante Hello*Chadora Lady PS, arrivée dans son piquet l’été dernier en provenance de celui de Natalie Dean, ont assuré le barrage, avant d’être rejoints par les numéros 22 : Simon Delestre et Cayman Jolly Jumper. Deux couples plus tard, Pieter Devos et Casual DV, produit maison, ont bien failli se joindre aux festivités - et l’auraient assurément mérité au vu de leur prestation impeccable -, mais ont dépassé le temps imparti de vingt-quatre centièmes. Rageant, mais drôlement encourageant pour le Belge et sa fille de Windows vh Costersveld, qui disputeront la finale de la Coupe du monde de Bâle en avril avec de sacrées chances de classement tant leur régularité, récompensée par trois classements en quatre Grands Prix 5* indoor disputés depuis novembre dernier, parle pour eux.
Et Scott Brash de résumer : “Qu’il y ait trop de sans-faute ou seulement trois, le travail des chefs de piste est toujours remis en question, alors qu’il est extrêmement difficile. Alors bravo à Louis. Le parcours était juste et abordable, mais difficile car le plateau était exceptionnel.”De mois en mois, l'attachante Casual DV s'affirme comme l'une des toutes meilleures juments de sa génération. © Mélina Massias
Chacco-Blue, le vent en poupe
Ouvreur du barrage, surmotivé et assuré de terminer sur le podium, Yuri Mansur a tenté sa chance avec Miss Blue, absente des terrains de concours depuis les Jeux olympiques de Paris et de retour sur la scène internationale depuis fin janvier seulement ! Souveraine durant l’acte initial, celle qui n’avait disputé qu’une épreuve reine d’un CSI 5* en six mois, à Göteborg, a emporté avec elle l’ultime oxer du tracé raccourci, ouvrant les portes de la victoire à ses deux poursuivants. “Lorsque l'on sait que des cavaliers du calibre de Scott ou Simon passent après nous, on doit prendre des risques ! Je n’ai pas de regret : c’était la seule chose à faire. J’estime que les sans-faute doivent être récompensés et mérités. Pour moi, il doit en être ainsi dans un Grand Slam”, a commenté le Brésilien au sujet de sa stratégie et du déroulé du Grand Prix.
Quelle performance pour Yuri Mansur et Miss Blue Mystic Rose, qui ont repris le chemin de la compétition depuis janvier après plusieurs mois d'arrêt. © Mélina Massias
La demi-sœur de Miss Blue, Chadora Lady PS, faisait, elle aussi, partie des prétendants à la première place. Si les deux juments baies de douze ans n’ont aucun lien maternel - la première étant issue d’une lignée holsteiner ensuite développée au Brésil où l’on retrouve les sangs de Quamikase des Forêts, alias Zirocco Blue, en père de mère, puis ceux de Cardento et Quidam de Revel, et la seconde ayant une mère par Nintender et une grand-mère par Sandro Boy -, toutes deux ont fièrement représenté le très utilisé Chacco-Blue. L’ancien numéro un mondial, mort prématurément en 2012, comptait trois produits directs engagés dans ce Grand Prix, dont deux se sont donc hissés sur le podium. Comme Miss Blue, Chadora Lady n’a pu éviter une faute sur l’avant-dernier, malgré un chronomètre canon de 41’’57. “Je suis ravi de Chadora Lady. Elle était absolument fantastique. Je trouve qu’elle a sauté de manière incroyable. Cela me réjouit. Mais pour être honnête, je suis énervé contre moi-même. Je connais Chadora et je sais qu’il fallait faire une foulée de plus pour aborder l'avant-dernier au barrage… Dans tous les cas, Chadora aurait été très rapide ! Mais en sachant que Simon et Cayman restent à passer, et qu’ils sont très rapides, on se met la pression pour réussir un sans-faute rapide. Je suis un peu déçu de moi, mais enchanté du comportement de Chadora”, a décrypté l’Ecossais en conférence de presse. “Chadora est une jument relativement nouvelle pour moi. Notre histoire est intéressante : je l’ai essayée il y a quelques années et je l’ai adorée. Nous ne l’avons finalement pas achetée, mais le destin nous a réunis ! Chadora est à nos côtés depuis maintenant sept ou huit mois. J’ai toujours trouvé qu’elle était une jument géniale, dotée de beaucoup de qualités et très rapide, mais la question était de savoir si elle était capable d’affronter les Grands Prix les plus importants du monde.” Après cette performance, et de précédents classements à Londres et Hong Kong, la réponse ne pourrait être plus limpide.
Scott Brash retrouve un solide piquet de chevaux, dont fait partie cette nouvelle pépite, Chadora Lady PS. © Mélina Massias
Alors, dernier barragiste à entrer en jeu, Simon Delestre avait le choix : assurer le sans-faute, au risque de commettre à son tour une faute et se retrouver relégué derrière ses collègues, ou bien tenter le tout pour le tout, en espérant aller plus vite sans concéder plus de quatre points. Sûr des qualités de Cayman Jolly Jumper, qui ne cesse de donner son cœur en piste malgré une impression d’harmonie et de sérénité questionnables, le Lorrain a opté pour la première option… et a eu raison ! Malgré près de quatorze (!) secondes de retard sur son rival Ecossais, le Tricolore a raflé la victoire, la première pour un cavalier français dans une étape du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles. “Simon, tu savais quel était le temps imparti au barrage ?”, lui a demandé, en plaisantant, son homologue néerlandais Harrie Smolders, bon sixième avec Monaco. “À un moment, avant le dernier, je me suis dit qu’il fallait peut-être que j’aille un peu plus vite !”, lui a-t-il répondu dans un rire. Et Scott Brash d’ajouter : “La seule erreur commise par Louis a été d’être trop généreux avec le temps accordé au barrage !” Ambiance bon enfant et joviale, qui aura régné tout au long du week-end et ce sera certainement prolongée durant plusieurs heures pour le clan Delestre, pas près d'oublier ce 16 mars. Qu'importe le scénario, toute l'équipe de Simon Delestre, tout sourire, la bombe levée au cœur d'une ovation néerlandaise, avait de quoi exulté. Cette victoire a été partagée, avec la groom du généreux Cayman Jolly Jumper, Margaux Guilly, et le co-propriétaire du petit phénomène, rare fils du regretté Hickstead et petit-fils de Quincy, alias Quaprice Bois Margot, Philippe Berthol.
Simon Delestre et Cayman Jolly Jumper galopent déjà vers Aix-la-Chapelle. © Mélina Massias
Photo à la Une : Cayman Jolly Jumper a propulsé son cavalier dans les étoiles et dans l'histoire à Bois-le-Duc. © Mélina Massias
Les épreuves du CSI 5* de Bois-le-Duc sont à (re)voir sur Clipmyhorse.tv.