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Adieu, Canturo

Adieu, Canturo
Elevage mercredi 2 mars 2022 Mélina Massias

Ancien performer au plus haut niveau sous la selle de Bernardo Alves, et propriété du haras du Bois Margot, l’étalon s’est éteint à l’âge de vingt-sept ans.

Étalon charismatique aux belles performances, Canturo a marqué tous ceux qui ont croisé sa route : sa groom, Kay Neatham, qui l’a suivie pendant près de cinq ans lorsqu’il était au plus haut niveau, Laëtitia Viollet, sa dernière propriétaire, et son cavalier, le Brésilien Bernardo Alves. Également remarqué à l’élevage, Canturo s’est éteint à l’âge de vingt-sept ans, laissant à ses proches des souvenirs emplis d’émotions.

“Canturo était encore d’une vivacité incroyable. Il était vif d’esprit. Tout ce qu’il faisait, il le faisait à 100%, avec son cœur. Je pense qu’à vingt-cinq ans, si nous lui avions mis une selle sur le dos et que nous l’avions monté sur le paddock d’Aix-la-Chapelle, il aurait été persuadé qu’il pouvait aller en piste ! Canturo est un cheval incroyable”, lance d’emblée Laëtitia Viollet, à la tête du haras du Bois Margot avec son mari Rodolphe Bonnet, et propriétaire de Canturo depuis près de dix ans. “Il avait un beau poil et demandait ses carottes. Il préférait les pommes, mais ce n’est plus la saison.” À vingt-sept ans, l'Holsteiner, fils de Cantus et Fara, par Calando I, s’est endormi, vendredi 25 février.

Performer au niveau 5*, Canturo a d’abord connu une riche carrière, sous la selle du Brésilien Bernardo Alves. Né chez Diedricht Herbert, le bai est acquis par la famille Johannpeter, qui le confie au jeune pilote, encore peu connu en Europe. Le duo parcourt alors les plus belles pistes du monde ; de Calgary à Aix-la-Chapelle, en passant par Madrid, Rotterdam, Hambourg ou encore Athènes, tous deux engrangent les classements. “Canturo a toujours été un cheval avec du sang. Au début, beaucoup de personnes ne pensait pas qu’il pourrait évoluer à 1,60m tant il était respectueux”, se remémore le cavalier, désormais installé chez la famille de Brabander, au sein des écuries de Muze. “C’était un super cheval. Il ne s’est jamais arrêté avec moi et je pouvais sauter les pires obstacles du monde sans jamais faire de faute. Il était vraiment compétitif. Comme il avait beaucoup de respect, je pouvais vraiment galoper et prendre tous les risques aux barrages ; je ne craignais pas les fautes.” 

À seulement neuf ans, Canturo participe aux difficiles Jeux olympiques d’Athènes. S'ensuivent de nombreux classements : vainqueur du Grand Prix de Spruce Meadows, à Calgary, lauréat du Grand Prix 4* de Madrid, deuxième du Grand Prix CSIO 5* de Rotterdam, des Grands Prix 4* de Madrid et Wiesbaden, quatrième du Grand Prix CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle, … C’est d’ailleurs sur cette piste que Bernardo et Canturo signent leur plus belle victorie. “Si je ne devais garder qu’un souvenir avec lui, ce serait ma victoire dans le Prix d’Europe à Aix-la-Chapelle (épreuve à barrage à 1,60m, qui se déroule habituellement le mercredi au stade équestre de la Soers et réputée pour sa difficulté, ndlr). C’est le plus joli barrage que j’ai fait avec lui”, s’émeut le pilote. “Je pense que les pistes comme Aix-la-Chapelle, Calgary, Madrid et toutes ces grandes pistes en herbe étaient ses favorites. Canturo a été le cheval le plus important que j’ai monté dans ma vie. C’est lui qui m’a donné mes plus grands résultats, et lorsque j’étais dans le top 10 mondial, il était mon cheval de tête.” Et Kay Neatham, groom de Canturo, d’ajouter : “Lors de sa victoire à Aix-la-Chapelle, Canturo a sauté de telle façon que personne n’aurait pu le battre ce jour-là. Il était incroyable. Il était si spécial qu’il était plus calme lorsqu’il savait qu’il avait bien fait. Lors de la remise des prix et du tour d’honneur, il était le cheval le plus heureux du monde.” 


Revivez en images la victoire de Bernardo Alves et Canturo dans le Prix de l'Europe à Aix-la-Chapelle.

“Canturo ne mangeait que des pommes vertes !”, Kay Neatham

Pendant ses heures de gloire dans le sport, Canturo pouvait compter sur son ange gardienne, Kay Neatham. Passée par les écuries Pessoa, puis par celles de Marcus Ehning, Kay a été groom pendant près de vingt ans. La soigneuse garde un souvenir ému de Canturo, qui aura toujours une place particulière dans son cœur. De septembre 2004 à 2009, la jeune femme à accompagner Canturo à tous ses concours, à une exception près. Malgré le caractère particulier de l’étalon, Kay a su percer à jour sa personnalité et tisser un formidable lien avec lui. “Canturo était un plaisir. Il semblait vraiment grand mais ne mesurait en fait qu’1,62m. C’était un étalon très musculeux. Il aimait que les gens sachent qu’il était un mâle”, débute la groom, qui ne manque pas d’anecdotes au sujet de son ancien protégé. “Il aimait bien mordre, ce qui était toujours un défi en tant que groom : il était magnifique et on avait toujours envie de le câliner. Il n’essayait jamais de mordre pour nous faire mal ; il le faisait juste avec ses lèvres. Il avait une toute petite trace blanche sur son postérieur droit. Autrement, il était entièrement bai, très foncé ; une superbe couleur. Il n’avait pas de marque sur sa tête et il avait de magnifiques grands yeux. Il avait une énorme générosité. Tout ce qu’il faisait, il voulait bien le faire. Il essayait toujours de vous faire plaisir. Et il avait de l’énergie à revendre ! On pouvait le faire galoper pendant deux heures, il n’était jamais fatigué. Il adorait aller en concours, monter dans le camion et prendre l’avion. Aix-la-Chapelle était son concours préféré. Quand je l’ai emmené aux Jeux équestres mondiaux, j’ai baissé le pont du camion, il a regardé dehors et était très impatient. Il savait qu’il était à Aix-la-Chapelle. Il adorait les grandes pistes, où il pouvait galoper et sauter des obstacles imposants. Certains chevaux sont impressionnés par ce genre d’endroits, mais lui n’en était que meilleur. Il aimait les grandes foules et savait quand on était dimanche. Il devait toujours être le premier à sortir de son box, peu importe si nous étions en concours ou à la maison. Sinon, il était vraiment contrarié. Il avait un gros caractère, mais une fois qu’on le connaissait, il était facile.” 

 Canturo et sa bonne fée, Kay Neatham. © Collection privée

Ces cinq années passées auprès de Canturo ont permis à Kay de le connaître dans le moindre détail. “J’ai connu beaucoup de premières fois avec Canturo. Une fois que l’on établit une connexion avec un cheval si spécial, il gagne une place dans notre cœur. Pendant mes vingt ans dans le sport, je me suis occupé de beaucoup de chevaux adorables et très doués. Mais il n’y en a que trois ou quatre qui étaient aussi spéciaux et avec lesquels j’ai eu une telle alchimie.” Plus qu’un cheval de sport et un reproducteur, Canturo a marqué celles et ceux qui l’ont côtoyé par sa personnalité. “Cancan était un vrai personnage”, complète Laëtitia Viollet. “Il adorait écouter les oiseaux. Il levait la tête, regardait vers le ciel et entendait les bruits. Il pouvait passer un temps fou à faire cela, comme un humain pourrait regarder la télévision. Dans son box, il rangeait tout comme il l’entendait, avec son foin à un endroit, etc. Il était super organisé et un spectacle à lui tout seul. Il n’était pas fou ni agité, mais il avait une activité cérébrale permanente. Il était vraiment brillant. Canturo était dans le box à côté de celui de Montender, qui a lui aussi participé aux Jeux olympiques d’Athènes. C’était un choc des cultures. Montender était très calme ; dès qu’on lui mettait son licol, on pouvait le toucher partout, il ne bougeait pas d’un millimètre et était très codé à l’allemande. À l’inverse, Canturo sortait de son box dès qu’on ouvrait la porte et venait fouiller dans nos poches (rires). Lorsqu’il galopait, il faisait souvent l’idiot, à l’inverse de Montender qui était très respectable, sans débordement. Tous deux étaient des chevaux imprégnés de sang allemand, mais élevés selon deux cultures différentes.” 

Et Kay de confirmer : “Son box était le plus propre que je n’aie jamais vu. Il faisait ses besoins au même endroit, et tout était très propre et ordonné. Quand il se roulait, il faisait toujours attention à ne pas se mettre des copeaux dans les crins. Il était toujours très attentif à son apparence. Il ne mettait jamais du foin partout dans son box et le mangeait au même endroit. Aussi, il ne mangeait que des pommes vertes ! Il n’en a jamais mangé une rouge (rires).” En début de semaine dernière, quelques jours avant le départ de Canturo, Kay et Bernardo se remémoraient les bons moments passés en sa compagnie. Comme un symbole, l’étalon a semblé dire à ses anciens compagnons de route de ne pas l’oublier. Particulièrement attachée à Canturo, Kay a régulièrement reçu des nouvelles de son ancien compagnon de la part de Laëtitia Viollet ces dernières années. Une formidable reconnaissance pour le travail accompli par une soigneuse dévouée et toujours aux petits soins de ses protégés.

Le charismatique Canturo, ici au haras du Bois Margot. © Aline Lecourt / ALC

Une génétique précieuse

Le courage, le respect, le style et la classe de galop de Canturo ont tapé dans l'œil de nombreux observateurs. Une fois sa carrière sportive achevée, l’étalon, qui n’avait alors que peu produit en parallèle des compétitions, a suscité l’intérêt des éleveurs, et celui du haras du Bois Margot. “Nous surveillons Canturo et nous voulions absolument en faire l’acquisition. Canturo était bien-sûr un grand champion, mais notre démarche était vraiment tournée vers l’élevage. Avec mon mari, nous avons eu la chance de ne jamais quitter le haut niveau pendant près de dix ans grâce à Quaprice puis Qlassic Bois Margot. Nous avions remarqué que le sang de Cantus était présent dans un très grand nombre de chevaux présents à haut niveau. À l’époque, Calido I et Canturo se démarquaient parmi ses fils, avec une bonne souche maternelle. Calido était plus âgé, donc notre choix s’est porté sur Canturo, qui avait alors dix-huit ans”, retrace Laëtitia Viollet. “Il était à la retraite en Allemagne, et nous savions où il se trouvait. Nous avons contacté deux ou trois intermédiaires, mais tous ont été catégoriques ; pour eux, Canturo ne serait jamais à vendre. Nous avons finalement trouvé quelqu’un pour nous aider et avons acheté Canturo en moins d’une semaine.”

S’inscrivant dans une démarche à long terme, avec la volonté de marquer l’élevage, le haras du Bois Margot fait confiance à Canturo, à sa souche maternelle et aux précieux courants de sang de Cantus et Cor de la Bryère, ce-dernier étant présent deux fois dans le papier de l’étalon. Dans l’Hexagone, les générations issues des premières années de monte du bai, entré au haras en France il y a moins de dix ans, ne prennent que huit ans. Toutefois, Canturo compte déjà plusieurs représentants dans le grand sport. Citons bien-sûr l’exceptionnel Good Luck, médaillé d’or par équipe et de bronze en individuel aux championnats d’Europe de Göteborg avec Cian O’Connor, en 2017, Zypria S, qui a représenté les Pays-Bas aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 avec Willem Greve et toujours très régulière en Coupes des nations, Camargo 2, fils de l’excellente Fit For Fun 13, Cristy Z, ancienne partenaire de Marcus Ehning, ou encore Coleraine des Bergeries, qui vient d’intégrer le programme Mares of Macha et de passer sous la selle de Pieter Devos.

Cian O'Connor et Good Luck, l'un, si ce n'est le, meilleur descendant de Canturo. © Scoopdyga

"Au-delà du sang de Cantus, qui a fait ses preuves en Allemagne, Canturo a rapporté pour l’élevage français la frappe, l’énergie, un bon mental et un respect ultime”, complète Laëtitia Viollet. “Surtout, Canturo est très bien né. Il est issu de la même famille que Carthago, Cöster, Waterford Cristal et Sapphire. Sa mère a, en plus, sauté jusqu’à 1,50m, tout comme sa grand-mère.” Bien qu’enregistré au stud-book Holsteiner, Cantus a su se faire sa place dans l’élevage tricolore, en donnant des chevaux au look plus français qu’allemand et en rapportant le sang de Cor de la Bryère. Parmi ses jeunes produits, qui font de lui un excellent père chaque année à Fontainebleau lors des finales nationales, Canturo compte notamment Friendly Farmer, indicé 149 - le deuxième meilleur ISO de sa génération -, ou encore Floride VA, El Rey Batilly, Eldorado de Laume, etc. Surtout, en France, l’étalon bai a engendré le phénomène Upsilon, très performant en concours complet avec Thomas Carlile avant de voir sa carrière être interrompue par une grave maladie. Désormais, Upsilon, mais aussi Canto, fils de Canturo, produisent de prometteurs chevaux, notamment en concours complet. Enfin, parmi sa production, Canturo semble donner d’excellentes filles. Pour preuve, RMF Zecilie, gagnante du Grand Prix CSI 5* de Bruxelles l’an passé sous la selle de Jessica Springsteen, est une petite-fille de Canturo. “Canturo est né en 1995, mais il aurait pu naître maintenant. Il était d’une modernité folle”, reprend Laëtitia Viollet. “Il avait la vélocité des chevaux de maintenant, le respect et le recul. On pourrait tout à fait l’imaginer dans les Grands Prix d’aujourd’hui : il serait à la page.” 

Dernier fils de Cantus à être approuvé par l’Holsteiner Verband et son seul descendant à la robe ébène, Canturo aura marqué son ère. En plus de ses performances dans le sport et à l’élevage, le charismatique étalon aura légué sa fameuse balzane herminée, présente chez la quasi-totalité de ses poulains, ainsi que son hennissement caractéristique. Le charisme de Canturo continuera longtemps d’imprégner le sport et l’élevage européen.

Upsilon et Thomas Carlile. © Scoopdyga

Photo à la Une : Canturo et Bernardo Alves aux Jeux olympiques d'Athènes, en 2004. © Scoopdyga