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‘‘Les chevaux parlent, il suffit de les observer’’, Léa Lansade

 Sous l’impulsion de la FFE, Léa Lansade a participé à une étude sur la notion de bien-être des chevaux athlètes.
Interviews dimanche 17 août 2025 Sophie Lebeuf

Chercheuse depuis vingt-cinq ans en éthologie sur la personnalité, le lien cognition/émotion et le bien-être animal, travaillant pour l’Institut français du cheval et de l’équitation au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, Léa Lansade revient sur l’appréhension des outils de mesure du bien-être équin et élargit le propos au haut niveau, notamment à travers une étude commandée par la Fédération française d’équitation sur le mariage entre bien-être et compétitions. Dialogue.

Comment et pourquoi vous êtes-vous orientée vers l’étude du bien-être équin ?

Cela fait vingt-cinq ans que je travaille sur le comportement et le bien-être équins. Je suis passionnée d’éthologie, avec notamment un doctorat d’éthologie en poche, et passionnée de chevaux, donc cette orientation me permettait d’associer les deux. Les questions liées au bien-être animal sont vraiment une priorité, qui s’est accélérée avec la pression sociétale envers les sports équestres, ce qui incite aussi la filière à s’interroger. Donc les aspects scientifiques et sociétaux m’ont paru évidents.

Que vont ont apporté ces années de recherches comme découvertes et connaissances autour du bien-être animal ?

À titre personnel, je n’avais absolument pas mesuré à quel point l’accès aux 3F (pour ‘‘Freedom, Fourrage et Friendly’’, soit liberté de mouvement, fourrage à volonté et interaction avec des congénères, ndlr) était essentiel au bien-être du cheval. Le mien a donc vécu au box pendant très longtemps. Il était beau et bien nourri, mais je ne savais pas que cela était si impactant. 

Une des recherches qui m’a le plus marquée est ainsi une étude comparative que nous avons menée sur deux groupes de chevaux : les premiers vivaient en box et sortaient au paddock individuel le jour ; les seconds vivaient en box et sortaient toute la nuit au paddock, en groupe. Nous avons alors observé un impact énorme sur l’activation de certains gènes : les chevaux ne sortant qu’individuellement au paddock ont développé une suractivation extrêmement nette des gènes liés à la mort cellulaire. En observant leurs analyses, cela sautait aux yeux. Donc au bout de trois mois de ce mode de vie, nous avons assisté à une dégradation des capacités cognitives ou à l’apparition d’ulcères des chevaux de ce groupe, par exemple. Je n’avais pas pensé que c’était si net, car nous avions l’impression qu’ils s’adaptaient à ce mode vie. Mais nous nous sommes rendu compte que ce dernier était, au contraire, extrêmement délétère. 

Outre une observation éclairée, les données scientifiques mesurées (prise de sang, étude des gènes, etc.) apportent donc aussi un éclairage sur le bien-être animal ? 

Effectivement. De même, nous avons mené étude sur des chevaux très agressifs, qui couchent les oreilles et tentent éventuellement de mordre quand on passe devant leur box. On pourrait croire qu’ils sont tout simplement caractériels, mais on s’est aperçu que cette agressivité était souvent liée à leur mode de vie. Quand on prive les chevaux des fameux 3F et qu’on leur fait une analyse sanguine, on observe une surexpression de gènes liés à l’inflammation. En ayant réalisé un suivi de leur santé, nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient justement soumis à des phénomènes inflammatoires, notamment des engorgements de membre, mais également sujets à des coliques à répétition. De fait, on comprend bien que cet indicateur de comportement n’est pas un indicateur de mauvais caractère, mais de mal-être. Ces chevaux-là présentent également un microbiote complètement détérioré. Cela révèle l’importance évidente du lien entre santé et physiologie. 

Ces gènes, qui sont donc des indicateurs d’un mal-être à un instant T, peuvent-ils disparaître si l’on modifie l’environnement du cheval ? A contrario, si rien n’est entrepris, peuvent-ils devenir héréditaires ?

Pour la première question, il y a une très bonne nouvelle : oui, c’est réversible ! Notamment sur des troubles peu avancés, comme l’agressivité ou les tics. Attention néanmoins : les tics ne sont pas nécessairement réversibles, mais leurs troubles sur la santé le sont. Nous avons réalisé une étude en déplaçant des chevaux qui présentaient de tels troubles au pré, et au bout de trois à quatre mois, la plupart ont retrouvé un microbiote normal, leurs gènes se sont rerégulés, sauf pour le trouble de l’apathie, qui est vraiment un syndrome dépressif – comme chez l’humain – et là, c’est plus long à se remettre en place. Mais dans la majorité des cas, en replaçant le cheval dans un environnement plus approprié, les tics et troubles du comportements disparaissent. Il y a donc une résilience.

Quant à la transmission des gènes, la réponse est non. En fait, nous sommes tous transporteurs de gènes sur la mort cellulaire ou la prédisposition aux cancers ou à l’inflammation, mais beaucoup de ces gènes ne sont pas actifs. Ils dorment. Un peu comme un robinet qui serait éteint. Et c’est sous l’effet du stress que ces gènes s’activent. C’est exactement ce que nous avons vu chez les chevaux.

Vos travaux portent sur la personnalité, le lien cognition/émotion et le bien-être animal. Au regard de votre expérience, existe-t-il UNE personnalité du cheval ou cette dernière dépend-elle de chaque individu ? De fait, deux chevaux traités de la même manière auront-ils un sentiment de bien-être différent ?

C’est exactement cela : chaque cheval a sa personnalité et vit sa vie à sa façon. On le voit bien : certains chevaux, après quinze ans de vie dans une écurie, ne manifestent aucun trouble de comportement, ni ne subissent aucune répercussion sur leur santé, quand d’autres se dégradent très rapidement. D’où l’importance de regarder chaque cheval de manière individuelle et d’adapter les conditions de vie à chacun, en tenant compte quand même des grandes généralités. 

L’observation des expressions faciales permet d’accéder aux émotions des chevaux. © IStock



Existe-t-il des exceptions qui confirment la règle ? De fait, des chevaux vivant en groupe au pré peuvent-ils dépérir ?

Cela dépend ce que l’on entend par vie au pré. Si un cheval ayant vécu pendant vingt ans en box se retrouve du jour au lendemain dans un pré avec d’autres chevaux qu’il ne connaît pas, il peut effectivement dépérir. Mais si l’on fait les choses bien, le naturel revient au galop ! En fait, si un cheval ne s’adapte pas au pré, c’est que le propriétaire n’a pas créé un environnement approprié à son cheval.

Un cheval qui vivrait dans les meilleurs conditions de vie possibles de son point de vue peut-il être qualifié d’heureux ? Ou ce sentiment est-il profondément humain et ne doit-on parler que de sentiment de bien-être ?

C’est LA grande question : le cheval a-t-il les mêmes émotions que nous ? Pouvons-nous lui calquer nos propres émotions ? Ce qui est sûr, c’est qu’il y a du bien-être et du mal-être. Le mal-être a largement été étudié en éthologie, notamment le stress, les émotions négatives, la peur, la frustration, mais peu d’études ont été menées sur les émotions très positives. C’est exactement l’objet d’un projet de cinq ans financé par la Fédération française d’équitation (FFE) qui s’appelle ‘‘Happy Athlète’’ et qui porte sur la question de savoir si le cheval peut être heureux en compétition. Pour essayer d’accéder aux émotions des chevaux, nous décryptons leurs expressions faciales. Tout comme nous, ils disposent d’une musculature de la face très complexe et manifestent leurs émotions avec leurs expressions. C’est véritablement une porte d’entrée pour essayer d’accéder à leurs émotions, notamment positives, et de voir si le cheval peut être qualifier d’heureux. Donc ce travail est en cours (rire).

Outre l’observation de son ‘‘visage’’, vous appuyez-vous sur des données ou mesures plus scientifiques ?

La physiologie est beaucoup moins précise que l’analyse fine du comportement. Contrairement à une idée reçue affirmant qu’on pourrait accéder à l’état mental des animaux via la physiologie et les hormones, on s’aperçoit que c’est complètement faux. À l’inverse, le travail sur les expressions faciales permet d’avoir accès en direct à l’état mental de l’individu, donc c’est beaucoup plus pertinent. Même si nous nous appuyons tout le temps sur les deux types d’analyses : comportementales et scientifiques.

Au regard de vos propos, il peut sembler compliqué d’accéder à un état de bien-être pour les chevaux évoluant en compétition, c’est-à-dire ne bénéficiant pas nécessairement des 3F, bien que certains organisateurs fassent le maximum… Les chevaux seraient donc malheureux en concours ?

Nous sommes typiquement dans le domaine de l’étude financée par la FFE. Lors des compétitions, il est vrai que peu de leviers existent. Mais en fait, le levier se situe davantage entre les compétitions. Et nous avons ainsi observé que des cavaliers, certains parmi les médaillés aux JO de Paris, maintenaient leurs chevaux en groupe au pré entre les échéances sportives. De fait, ces chevaux vont très bien et supportent ces événements. En résumé, même si les conditions de vie des chevaux lors d’un concours ne sont pas parfaites pour assurer leur bien-être, si elles le sont ‘‘à la maison’’, l’équilibre peut se faire. Bien évidemment, l’idéal serait que les conditions soient également optimales pendant les compétitions. Il existe d’ailleurs une petite marche de manœuvre, mais ce n’est pas facile de répondre à ces besoins sur de tels événements, notamment en indoor.

Pour Léa Lansade, mieux vaut être un cheval domestiqué appartenant à un propriétaire au fait de ses besoins fondamentaux et bien traitant qu’un Mustang sauvage. © IStock

Compétitions de haut niveau et bien-être peuvent donc être compatibles ?

Oui, c’est ce qu’a démontré notre thèse. Ce n’est pas toujours le cas, mais certains cavaliers montrent que c’est possible.

Quid des animalistes qui souhaitent éradiquer l’existence même de l’équitation ? Vont-ils dans le sens du bien-être animal ?

Je dirais qu’il s’agit d’une posture philosophique. Certaines personnes sont contre le concept d’animaux domestiques. Mais s’il n’y avait plus d’équitation demain, il n’y aurait plus de chevaux puisque les chevaux sauvages n’existent plus.

Certes, le cheval peut vivre sans nous, mais le problème est qu’il n’y a plus de place pour eux dans la nature. Même les Mustangs en Arizona ont dû être déplacés sur des déserts, à cause de l’agriculture. Pour les avoir observés, je n’aimerais pas être un Mustang sauvage aujourd’hui. Dans mon livre Dans la tête d’un cheval, j’explique que, finalement, si j’étais un cheval, l’endroit où je préfèrerais vivre serait chez un propriétaire qui aurait de très bonnes connaissances de mon bien-être, qui me mettrait dans les conditions de vie et d’éducation les plus adaptées, qui me nourrirait et me soignerait, car c’est cela la vie idéale d’un cheval vivant sur une planète gérée par les humains. 

Quelles améliorations pourraient être apportées pour orienter les techniques équestres en faveur du bien-être ?

C’est encore un vrai champ de recherches. Nous travaillons notamment dans le milieu des courses, mais également sur l’impact des mors ou des licols éthologiques, par exemple. Des études ont d’ores et déjà pu confirmer que la pratique du rollkur était hyper délétère pour le bien-être du cheval à long terme. Certaines pratiques sont très correctes et d’autres à bannir, mais on commence à savoir lesquelles. La clé est vraiment d’observer. Les chevaux parlent, et je crois sincèrement qu’en apprenant à les observer, ils nous disent ce qui est bien ou pas.

Photo à la Une : Sous l’impulsion de la Fédération française d’équitation, Léa Lansade a participé à une étude sur la notion de bien-être des chevaux athlètes. © Istock