Le maréchal ferrant d'Henrik von Eckermann, Vincent Lamaille, est revenu pour nous avec beaucoup d'humilité sur ce choix.
A Tokyo, deux chevaux de l’équipe suédoise ont remporté l’or par équipe en évoluant « pieds nus ». Un choix qui a tout de suite fait couler beaucoup d’encre, autant dans les médias que sur les réseaux sociaux. Pourtant All In et King Edward ont une histoire très différente : les raisons et même la manière de gérer ces « pieds nus » est fort différente pour chacun d'entre eux. Nous sommes partis à la rencontre de Vincent Lamaille, maréchal ferrant des écuries d’Henrik von Eckermann, Janika Sprunger et de leur élève Evelina Tovek au sein de leurs nouvelles écuries.
« Une fois mes humanités terminées, je suis parti deux ans aux études pour devenir ingénieur civil … mais ce n’était pas pour moi. Je suis parti dans une écurie travailler et chaque semaine, je voyais le maréchal ferrant venir et ça m’a rapidement intéressé. Je me suis inscris à l’école d’Anderlecht. Quand j’ai terminé mes études, j’ai rapidement ferré des chevaux de sport… mais ça ne s’est pas spécialement bien passé, le manque d’expérience s’est rapidement fait sentir. J’ai préféré arrêter pendant quelques temps ces chevaux-là puis il y a quelques années, j’ai rencontré Piergiorgio Bucci et c’est avec lui que j’ai renoué avec le haut niveau. »
Habitant de Francorchamps, très connu pour son circuit de voiture, l’homme est avant tout un grand passionné par le travail à la forge. « J’ai participé à de nombreux concours de maréchaux ferrants et j’ai moi-même également jugé beaucoup de concours. J’ai appris énormément de choses lors de ces évènements. Rencontrer des maréchaux ferrants du monde entier qui ont chacun leurs idées, qui viennent d’autres écoles, qui ont d’autres approches, cela permet de retirer à chaque fois le meilleur. Pour moi, c’est très formateur… Même plus que les congrès et autres. Dans les congrès, on a les expositions d’idée mais rarement la discussion. Au concours, on se retrouve au bar et on a l’occasion de parler ! Dans un concours, on doit exécuter des ferrages classiques, le juge demande des spécificités pour le fer et tout le monde doit faire la même chose. Si nécessaire, on déferre les chevaux après le concours et on les remet dans la ferrure qui leur convient le mieux. Le but est d’aller chercher le détail de chaque étape, dès le parage où tout doit être précis au millimètre près. Cela apporte un plus dans la vie de tous les jours. La forge apporte ensuite une facilité d’ajustage que ce soit en fer classique ou autre. Tous les fers en concours sont forgés à partir d’une barre droite. Cela aide à identifier les courbes du pied dans le fer. »Glamour Girl lors des Stephex Masters avec des fers en caoutchouc collés.
Aujourd’hui, la pluralité des matières qui composent les fers nécessite une remise en question des maréchaux ferrants dans leur travail et notre homme n’y échappe pas. « Honnêtement, j’ai toujours une petite réticence. On s’est toujours dit que l’on savait tout faire avec des fers en acier ou aluminium … puis finalement, on se rend compte de nos limites. Il faut vraiment garder l’esprit ouvert que ce soit à notre niveau mais aussi pour les cavaliers lorsqu’ils parlent avec d’autres cavaliers au concours. Cela demande une remise en question permanente et ce n’est pas toujours évident de pouvoir le faire. »
Comme vous l’avez compris, Vincent Lamaille ne prône pas le pied nu à tout va… et Henrik von Eckermann non plus. Dans l’écurie du Suédois, seuls deux chevaux sont dans cette configuration. Lors de notre arrivée, Glamour Girl était en train de se faire poser des fers en plastique collé. « Il est évident qu’une certaine partie des cavaliers vont faire cela pour suivre la mode. Je pense, j’espère, que la plupart des cavaliers ne vont prendre que le bon côté de cela et ne l’appliquer qu’aux chevaux qui en ont vraiment besoin. Je reste persuadé que certains seront moins bien pieds nus que ferrés. Comme dans tous les domaines, l’extrémisme nuit aux fondements - quelle que soit l’idéologie d’ailleurs. »
Vincent Lamaille & Henrik von Eckermann autour de King Edward
Mais du coup, comment King Edward s’est-il retrouvé déferré ?
« Nous avions quelques petits soucis avec lui au niveau de la sensibilité du pied. Une fois au talon médial, une fois latéral, une fois à gauche, une fois à droite … Que ce soit au vétérinaire ou à moi-même, il posait des problèmes. Nous avons finalement décidé de le déferrer pour remettre tout cela à zéro. L’objectif était alors de le referrer par la suite. Mais au fur et à mesure des entrainements et lorsqu’il a repris les concours, Henrik s’est rendu compte que le cheval se sentait de mieux en mieux… Et nous avons donc décidé de continuer comme cela. » Mais cette démarche « pieds nus », contrairement à ce que l’on pourrait penser, amène une surcharge de travail pour tout l’entourage du cheval : « Il y a des contraintes supplémentaires qui viennent surtout du terrain et de l’environnement du cheval. Lorsqu’il est pieds nus, il faut que les chemins qu’il emprunte soient meubles et sans caillasse. Ici, dans l’écurie, les allées sont en caoutchouc autobloquant. Pour aller au paddock, le chemin est court et les pavés sont durs mais lisses, du coup, il y va pieds nus également. On pare ces chevaux-là toutes les cinq semaines pour maintenir les boites cornées à leur place. On garde à l’esprit la manière dont il use ses pieds. L’objectif n’est pas de le contraindre mais bien de conserver l’esprit de ce que le cheval veut puisque c’est comme ça qu’il se sent bien. Henrik lui-même n’hésite pas à donner un coup de râpe pour arrondir le pied lorsqu’un morceau casse. Après cinq semaines, il y a toujours des petits évasements mais il faut bien faire attention à ne pas déforcer le pied. Il faut laisser la sole et la fourchette solide car il en a réellement besoin. Après lorsqu’ils sont au concours et qu’il y a de longs chemins durs ou caillouteux, ils mettent alors des chaussures qu'ils enlèvent en arrivant au paddock, ce qui représente continuellement des contraintes supplémentaires. Il faut vraiment faire attention aux terrains sur lesquels évoluent ces chevaux. C’est le point qui peut poser le plus de problèmes. Contrairement au maréchal ferrant de Peder Fredricson, ici, nous ne mettons jamais de résine. Eux ont choisi l’option d’utiliser de la résine lorsque le terrain est très abrasif au concours alors que nous préférons la solution des chaussures. Simplement parce que j’estime que pieds nus, c’est sans rien alors que si on utiliser de la résine, on l'utilise aussi en piste et pour moi, l’effet n’est pas celui recherché. Il y a une épaisseur supplémentaire par exemple… Mais c’est une question d’avis. »
Ces décisions sont le travail d’un véritable trio et de nombreux échanges entre le cavalier, le vétérinaire et le maréchal ferrant.
« On essaie d’échanger directement nos idées dès que l’un d’entre nous en a une que ce soit par téléphone ou en direct. Si Henrik souhaite changer une ferrure, il me prévient quelques jours en avance pour que j’aie le matériel nécessaire. Nous sommes heureux de travailler ensemble et de trouver comment résoudre un paquet de problèmes sur beaucoup de chevaux. C’est très gratifiant et très agréable. La confiance met toujours du temps à s'installer, avec les cavaliers comme avec les vétérinaires, mais c’est vraiment quelque chose d’appréciable. J’ai la chance aujourd’hui de ne plus travailler qu’avec des clients que j’apprécie et qui ont cette même philosophie, c’est un luxe considérable. J’aime les gens qui assument leurs responsabilités car tout le monde peut faire des erreurs et ce n’est pas toujours de la faute des autres. Il est certain qu’aujourd’hui mes clients de haut niveau me prennent beaucoup de temps mais j’ai une clientèle de tout niveau près de la maison que je ne lâcherai pas. Aujourd’hui, mon fils commence à travailler avec moi, ce qui est très agréable. On pourrait se dire que le cheval n'est que "pieds nus", mais au contraire, cette médaille est très agréable. C’est l'aboutissement de travail énorme de voir des chevaux dont on s’occupe arriver à des résultats comme ça… Et malgré tout, il y a ma partie "tradition de forge et ferrage" qui me dit "il n’est que pieds nus" mais au final, c’est une des solutions parmi les autres qui convient très bien à ce cheval-là.» Une solution qui ne fonctionne par contre pas sur l'herbe ! « Pour aller sur l’herbe, il y a deux solutions. Soit on décide de coller des fers en caoutchouc ou des fers en acier ou alu, soit plus traditionnellement de clouer des fers en aciers. Par contre dans ce cas, le fer sert juste de support pour les trous des crampons, est ajusté très « juste » au pied, et il arrive de mettre des fers de 6mm au lieu des 8mm habituels. Personnellement, je préfère les fixer avec 4 clous par pied car je trouve cela moins destructif que la colle. L’objectif étant d’enlever les fers dès la fin du concours.»
Mais qu’est-ce que ça change ?
« Sans fer, cela permet une meilleure élasticité transversale du pied, notamment lors de la réception des obstacles. Cela permet aux parties postérieures du pied de bouger indépendamment l’une de l’autre. Cela fait partie des raisons pour lesquels certains chevaux sont mieux pieds nus. L’autre partie, ce sont des chevaux assez sensibles au niveau des boulets qu’il faut traiter assez fréquemment. Ceux-là sont impactés par la longueur totale qui est en dessous du boulet. Du coup, pieds nus, on ne peut pas être plus court ! D’autant que ce sont des chevaux qui, ferrés, nécessitent souvent une plaque. On se retrouve alors à 12-13 millimètres du sol sans compter la repousse du pied alors que pieds nus, il use toujours sa corne et garde une longueur presque semblable. Avec les efforts qu’ils font, le moindre levier supplémentaire de quelques millimètres, c’est énorme déjà. Pour moi, ce sont principalement dans ces deux particularités là que cette solution est intéressante. King lui a un truc en plus car il a une légère déviation en varus, il est donc légèrement cagneux, ce qui fait qu’il vient toujours buter sur sa mamelle externe et il la maintient arrondie par lui-même en permanence ce qui fait qu’avant, même en donnant un maximum de rolling sur les fers, on n’arrive pas à donner un tel résultat. Surtout lorsque le pied pousse car plus il y a de la longueur, plus le levier est grand alors qu’ici, il se maintient bien à la même longueur et il est bien tout au long des cinq semaines. Pour certains chevaux, c’est vraiment un souci de longueur, ce n’est pas ici vis-à-vis de son boulet mais bien de sa démarche. » Le pied de King Edward